Alain Baraton, jardinier en chef du Domaine national de Trianon et du grand parc de Versailles, a fait salle comble samedi 9 décembre 2006 où il est venu présenter son dernier livre (1). Très rodé, il a répondu avec aisance et brio aux questions préparées par Nicole Volle et les auditeurs dans le cadre du Café littéraire de Louveciennes.
Lors de sa conférence, Alain Baraton a abordé divers thèmes dont nous avons sélectionnés quelques uns.
« Ma vie est une erreur, je n’avais pas la passion du jardinage »
Alain Baraton l’affirme. Jeune il n’a pas la passion du jardinage. Son seul vrai centre d'intérêt est alors la photo, et c'est pour acquérir son premier appareil reflex qu’il se met au jardinage, sillonnant à vélomoteur les environs de La Celle Saint Cloud pour proposer ses services, durant les vacances. Au début de l'été 1976, en quête de travail, il se rend à Versailles, se perd dans les couloirs du château et finit par pousser la porte du bureau du conservateur en chef. Celui-ci l'écoute avec bienveillance et l'engage pour l’été, comme caissier aux portes du domaine. Deux mois plus tard, on lui propose un poste d’aide-jardinier avec un avantage à la clé, un logement de fonction, à Versailles.
Un grand père adulé
Il est né au sein d'une famille nombreuse - il est le cinquième de sept enfants - d'un père distant et d'une mère dont la tendresse n'est pas le fort. Il est éclipsé par ses frères. Il n'y a guère que son grand-père qui croit en cet adolescent qui ne brille ni en famille, ni à l’école.
« Exercer ce métier est sans doute une manière de rendre hommage à mon grand père. On m’a remis de nombreuses décorations suite à la tempête de 1999 mais pas encore la Légion d’honneur. J’en rêve car mon discours me donnerait l’occasion de rendre grâce à mon grand père et à tous les jardiniers de France. »
Ses détestations
Alain Baraton n’a pas peur d’être iconoclaste. C’est ainsi qu’il déteste Louis XIV.
« Il n’a rien d’un génie, c’était un homme cruel qui n’a jamais rien créé. » De même, il est particulièrement sévère pour Le Nôtre qu’il ne place pas parmi les grands. « C’était un homme d’architecture, un urbaniste, pas un jardinier au sens où cela m’intéresse. Il ne transmettait rien. Il meurt richissime, ce qui est suspect pour un passionné. » A sa mort on ne construit quasiment plus de jardin de ce style à la française… Il est jardinier parce que son père l’était avant lui. » Selon Alain Baraton sa réputation est quelque peu usurpée. Un geste de Le Nôtre trouve cependant grâce aux yeux de notre censeur, c’est celui que le jardinier illustre accomplit sur le chemin de retour d’un voyage à Rome en allant visiter en prison, Nicolas Fouquet, son ancien maître et protecteur.
Alors que dans sa conférence Alan Baraton a beaucoup égratigné Le Nôtre, il se montre en revanche beaucoup plus nuancé dans son livre. Le Nôtre « était d’une docilité exemplaire, et d’un grand talent : car il n’a jamais dit non au roi : le marécage de Versailles, le cloaque de Marly, tous les défis de Louis XIV avaient été relevés et aucun n’avait échoué. »
Son grand homme
Son grand homme est Jean-Baptiste de La Quintinie qui fut le fondateur du Potager du Roi. C’est un érudit et un lettré. Avocat à la cour du Parlement, il a fait vraiment le choix de devenir jardinier. On lui doit notamment une « Instruction pour les jardins fruitiers et potagers » encore utilisée de nos jours.
Alain Baraton estime que le potager a quelque chose de beaucoup plus satisfaisant et plus sensuel que le parc. Et d’ajouter dans son livre : « Croyez-moi, j’ai été mosaïste pendant longtemps : on se lasse rapidement de tailler des buis en cônes, mais jamais de déguster les fraises qu’on a fait pousser. Alors que Le Nôtre s’évertuait à compliquer parterres et broderies, tandis que La Quintinie récoltait des poires à la chair toujours plus ferme et fondante. »
La banalité des guides sur Versailles
Alain Baraton regrette que les livres et guides consacrés à Versailles se ressemblent tous et qu’on n’y présente que la face aimable en oubliant que sur le chantier de Versailles travaillaient 36 000 personnes et que chaque jour des charrettes évacuaient les morts. On n’évoque pas non plus l’épisode tragique des communards lorsque la grande Orangerie de Versailles avait été transformée en 1871 en prison pour y enfermer les révoltés. Arrive le mois d’octobre. Il faut rentrer les orangers ! Les prisonniers sont déportés ou exécutés.
Un autre motif de colère de notre jardinier s’exprime « lorsqu’on ne respecte pas l’Histoire. Ainsi la grille royale qui avait été arrachée au moment de la révolution sera remise en place. C’est une tromperie ! »
« On ne recrute plus de jardiniers à Versailles »
« J’ai mené une carrière qui ne serait plus guère possible, aujourd'hui que le monde des jardins a cessé d'être tenu pour une simple technique mais participe pleinement de la stratégie de prestige jusque-là réservée aux bâtiments. » Avant l’apprentissage était un passage obligé. A l’heure actuelle, les « bleus » connaissent certes sur le bout des doigts leurs manuels de botaniques mais sont incapables de reconnaître une plante quand elle est dans un bosquet et non plus dans un livre ou un cédérom.
« A mon arrivée, nous étions 150 jardiniers et 40 personnes dans les bureaux, aujourd’hui le rapport c’est 30 jardiniers sur le terrain et 450 dans les bureaux…. ». Jusqu’aux années 1970, les jardiniers utilisaient les râteaux et les pelles pour enlever les feuilles mortes, aujourd’hui ce sont des souffleuses qui sont à l’œuvre. De même les tracteurs, les motoculteurs, les tronçonneuses ont remplacé les chevaux, les charrettes et les serpettes. Les machines modernes sont efficaces mais tristes et froides.
Bientôt un vin nommé « Château de Versailles »
1 857 pieds de vigne viennent d’être plantés sur un coteau du Hameau de la reine, à Trianon. Les grappes seront traitées à la main dans le respect des techniques anciennes. Déjà, la construction de chais, de cuves et de pressoirs est programmée dans l'orangerie de Trianon.
Les premières vendanges, prévues dans trois ans, devraient permettre de produire 2 000 bouteilles. « Mais nous n'en attendons aucun rendement ! Avec Erik Orsenna, l’académicien, l’amoureux des jardins, et quelques autres amis, je compte traverser la France en minibus pour proposer un troc, bouteille de « Château de Versailles » contre les meilleurs crus du pays…. »
Sa passion pour les arbres
« Aucun arbre n’est protégé, comme on protège un monument historique. » Et pourtant, qu’on songe à ce chêne ramené d’Amérique et qui a été planté en 1681. Il aura connu les indiens d’Amérique, le roi et sa cour,…. A l’origine, Versailles était planté d’ormes mais qui disparaissent malheureusement victimes d’une maladie (comme les châtaigniers, les platanes….). Pour éviter les risques, on multiplie actuellement les essences, des tilleuls majoritairement, des peupliers, des hêtres,…. Au cours de la tempête, 18 000 arbres furent détruits. Ils ont été remplacés et on a planté 40 000 arbres supplémentaires.
En conclusion de son livre, Alain Baraton exprime le souhait de pouvoir, le jour de son départ du Domaine, planter un arbre, un chêne, un bon Quercus robur, sans prétention, solide et majestueux, « un arbre libre » car l’espèce n’a pas besoin de la main de l’homme pour prospérer sous nos climats.
Références
(1) Alain Baraton : "Le Jardinier de Versailles". Éditions Grasset, Paris 2006. 336 p., prix : 19 euros.
Le livre d’Alain Baraton « Le Jardinier de Versailles » retrace à la fois son itinéraire personnel et l'histoire du parc. En ouverture, le récit de la nuit tragique de tempête, fin décembre 1999, qui dévasta une partie du jardin. Fichier à annexer
Son ouvrage fourmille d’anecdotes et de considérations souvent mélancoliques sur le métier de jardinier.
Le livre donnera au lecteur beaucoup de plaisirs et celui-ci attendra avec impatience la sortie prochaine de son ouvrage de photos consacré à Versailles. Alain Baraton pourra alors concilier sa passion ancienne pour la photo et son amour pour le jardinage.
(*) Alain Baraton tient un chronique sur le jardinage sur France Inter tous les samedi et dimanche de 7h45 à 8h00.
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