Tous les amoureux de Louveciennes connaissent l’ouvrage de référence sur leur ville, « Louveciennes, mon village » et leurs auteurs, Jacques et Monique Laÿ. Ce livre nous convie à une promenade à travers la ville où châteaux, parcs, rues et ruelles, maisons bourgeoises ou plus modestes, évoquent une histoire (parfois la grande), des souvenirs, des anecdotes. Nos historiens font revivre d’une plume alerte ce passé qui nous aide à comprendre le présent. On va à la rencontre de nombreux personnages célèbres qui ont un lien avec Louveciennes pour y avoir séjourné plus ou moins longuement. L’ouvrage est largement illustré par des gravures, des cartes anciennes, des photos…
Le livre est daté de 1989...Rassurons-nous, nos auteurs préparent une suite, un tome II, dont la rédaction est pratiquement achevée.
Pour vous faire patienter, il nous ont confié un extrait de leur ouvrage à paraître ; il est consacré à une personne attachante qui a vécu de longs mois au château de Voisins à Louveciennes, l’épouse du navigateur La Pérouse.
Madame de La Pérouse
Madame de La Pérouse
Abraham Broudou exerce la profession d’armateur à Nantes. Le 15 mai 1755 un enfant vient agrandir la famille : une petite Éléonore, qui le jour même, est baptisée en l’église Ste Croix. Elle sera suivie, en 1760, d’un garçon, Frédéric. Lorsqu’il est nommé administrateur de l’hôpital de Port-Louis, petite ville sur la côte nord-ouest de l’île de France, aujourd’hui la Réunion, Abraham Broudou s’y installera avec sa famille.
En 1773, Éléonore n’a pas encore vingt ans lorsque le hasard malicieux lui fait rencontrer un beau marin dont le bateau fait relâche à Port-Louis, Jean-François Galaup, comte de La Pérouse, jeune enseigne de vaisseau qui a commencé sa carrière maritime en entrant en 1756 à l’École des Gardes de la Marine de Brest, Jean François est né le 23 août 1741 au château de Gô, un grand domaine rural dans une boucle du Tarn, proche d’Albi.
Éléonore est très jolie fille, il est beau garçon, la suite était prévisible : une tendre idylle ne tarde pas à se nouer.
LE NAVIGATEUR
Le 29 juin 1785, Louis XVI qui est un roi à l’esprit ouvert, passionné par les sciences et les techniques, attentif aux grandes découvertes. Il demande à Jean François Galaup de La Pérouse, dont on lui a vanté les mérites, d’organiser une expédition avec 112 personnes, marins et savants, dans les eaux mystérieuses de l’océan Pacifique.
Le but de l’expédition est double : d’abord préciser des données cartographiques encore très lacunaires, notamment en ce qui concerne les possibilités d’escales pour les navires, mais, en même temps prévoir de nouveaux débouchés pour le commerce de la fourrure. Cette mission enthousiasme le jeune navigateur. C’était la découverte pacifique du monde, pour en connaître les habitants et en mesurer les limites. Il est alors nommé chef d’escadre et brigadier des Armées Navales du Roi de France.
Dans ses Souvenirs, Madame Vigée Lebrun évoque l’époque : on me raconta par exemple, que peu de temps après mon départ (pour les Flandres et la Hollande en 1781) on suppliait le roi de se faire peindre, il avait répondu « Non, j’attendrai le retour de Madame Le Brun, pour qu’elle fasse mon portrait en pendant avec celui de la Reine, je veux qu’elle me peigne en pied, donnant l’ordre à monsieur de La Pérouse d’aller faire le tour du monde.
Quelque temps plus tard, le peintre se souvient que quelques femmes d’un rang élevé ayant demandé des nouvelles du navigateur à l’un de ses amis qui revenait de Versailles celui-ci leur répondit qu’il venait d’apprendre que M. de La Pérouse devait partir pour faire un tour du monde : en vérité, s’écria la maîtresse de maison, il faut que cet homme soit bien désœuvré (Souvenirs de Mme Vigée Le Brun, Tome I, lettre III). Ce n’est toutefois pas l’opinion de Geoffroy Guerry qui écrit, dans ses notes manuscrites rédigées en 2005 sur l’histoire de la famille Hocquart de Turtot : A Paris on s’enthousiasme, on prépare activement le voyage, et il est présent dans toutes les discussions de salon. Seule Eléonore ne goûte pas cette joie, mariée récemment elle craint ce voyage long et périlleux.
Malheureusement, le marin est presque constamment absent. En fait, ces huit interminables années de fiançailles ne seront que déchirantes séparations, entrecoupées de courtes retrouvailles heureuses, sous l’œil soupçonneux de Monsieur de Galaup, le père de Jean-François, qui ne peut comprendre que son fils se soit entiché d’une gamine ayant quinze ans de moins que lui, quoique pourtant, il la trouve « modeste, douce et charmante ».
Il faudra attendre 1783 pour que le 8 juillet, enfin, le mariage vienne apporter la félicité aux jeunes amoureux. Éléonore a vingt-huit ans, son mari en a 43. Au cours des années qui suivent, les billets qu’Éléonore adresse à Jean-François montrent la mesure de ses sentiments, il est « son mari, « son cœur », « le plus parfait des êtres », dont la moindre peine est pour elle « un tourment ». Bien qu’Eléonore soit fière de son mari, elle s’inquiète. En dépit de ses larmes et de ses supplications qui redoute les périls du long et périlleux voyage demandé par le souverain, tenaillé par sa soif de découvertes, son attrait pour l’inconnu, Jean-François prend à nouveau la mer, sans arrière-pensée, sans crainte, pour un voyage vers l’inconnu.
Le 1er août 1785, toutes voiles dehors, deux frégates de la Marine Royale, La Boussole et L’Astrolabe, quittent Brest. Jean-François de Galaup, comte de la Pérouse et son ami le Breton Paul-Antoine Fleuriot de Lange, vicomte de Lange, sont aux commandes des bateaux. Jean-François s’arrache aux bras de sa jeune femme qui tente en vain de le retenir. Elle a trente ans, voilà deux ans qu’ils sont mariés, ils ne se retrouveront jamais. Consciente du fait qu’il se passerait un très long moment avant de pouvoir recevoir quelque nouvelle de l’expédition, mais néanmoins confiante dans les qualités de navigateur de son mari, comme toute épouse de marin, elle se résigne.
Tendrement accueillie dès le début par la famille de son mari, Eléonore vit quelques temps à Albi, mais l’atmosphère souvent lourde et pesante la conduit à remonter sur Nantes afin d’y retrouver les siens.
Les semaines, puis les mois, passent. L’absence de nouvelles devenait chaque jour plus angoissante. De faux espoirs venaient parfois rendre la situation plus insupportable encore lorsqu’ils s’évanouissaient. Dans le but de rechercher les navires, ayant pour mission de recueillir des informations, le Breton Huon de Kermadec et l’Amiral d’Entrecasteaux prennent la mer. Bien qu’ils n’aient rien trouvé, Éléonore refuse pourtant de croire que Jean-François ne reviendra jamais. Elle fuit la vie nantaise, elle tente, en vain, de survivre dans le petit appartement mis par la Couronne à sa disposition dans le château de Vincennes, mais, entre ces murs gris, la solitude lui pèse chaque jour davantage.
Pour l’aider à se défaire de ses noires inquiétudes, son amie Madame Pourrat l’invite tantôt à Paris, tantôt dans son château de Voisins, à Louveciennes.
ELEONORE A VOISINS
Le château de Voisins, c’est cette grande demeure, autrefois construite pour la princesse de Conti, achetée le 16 mai 1787 par Laurent Vincent Lecouteulx qui, deux années auparavant à épousé la douce Françoise Charlotte Pourrat, l’amour secret du poète André Chénier, qui l’immortalisera sous le nom de Fanny.
Mme Pourrat tient salon, elle reçoit les Marmont, Benjamin Constant, Lacombe de St Michel, un camarade de Choderlos de Laclos.
Après la mort de Fanny en 1796, ses deux enfants, recueillis par leur grand-mère Augustine Madeleine Boisel, veuve de Louis Pourrat, gardent Voisins. Profondément marquée par la mort tragique de son mari, guillotiné le 9 juillet 1794, femme non moins remarquable par sa beauté que par sa bonté et par la pureté de son goût que par la générosité de ses sentiments, Mme Boisel reprit doucement sa vie mondaine. Revenue d’immigration, Mme Vigée Le Brun, renoue les liens qu’elle avait tissés avec la famille Lecouteulx avant la Révolution.
Mme Boisel vit au château avec sa fille Jeanne, la sœur de Fanny, comtesse Hocquart de Turtot. Avec sa mère, celle-ci fait les honneurs de la maison, une jouissance de plus pour moi dans mon établissement champêtre, écrit Mme Vigée Le Brun, Mme Hocquart est une de ces femmes distinguées avec lesquelles on aimerait à passer sa vie … son esprit, sa gaieté naturelle me l’avaient fait toujours rechercher … parmi les talents qu’elle possédait elle en avait un si remarquable pour jouer la comédie que, dans certains rôles on pouvait la comparer sans aucune flatterie à mademoiselle Contat. Il en résulte qu’il y eut souvent spectacle au château. Dans cette ambiance divertissante Eléonore tente en vain de cacher ses angoisses, ne perdant jamais espoir. Telle un spectre, Éléonore traversera, presque inconsciemment, cette époque dramatique, mettant toutefois un point d’honneur à régulièrement prélever sur la dérisoire pension qui lui avait été allouée, les sommes destinées à l’éducation de son neveu Léon, futur commissaire de la Marine, dont le père, Frédéric, frère d’Eléonore avait embarqué comme engagé volontaire sur la Boussole, avec Jean François.
Des lettres aux termes affectueux dénotent les bonnes relations qu’elle entretenait avec ses belles-sœurs, et leur famille (Jacques Thomas). La Pérouse avait deux sœurs, Mme Chalmas de la Bessière dont les descendants comprendront de nombreux officiers, même des généraux, et Mme de Barthes, la plus jeune.
Le 3 avril 1807, après deux ans de vie conjugale, entrecoupée par les absences de son époux, après avoir accidentellement perdu l’enfant qu’il lui avait donné, après avoir pendant vingt-deux ans vainement espéré le retour de l’être cher, Éléonore Broudou rendait son âme à Dieu, elle avait 52 ans.
Lorsque fut créée l’association « La Pérouse - Boomerang de France ».dont le nom évoque la découverte en 1770 par James Cook à Bonaty Bay, des boomerangs utilisés par une tribu aborigène australienne, l’association se pencha sur le sort de Mme La Pérouse, voulant savoir ce qu’elle était devenue, le fondateur-président d’honneur de l’association, M. Jacques Thomas, entreprit des recherches. Il la retrouvera enfin dans la sépulture de la famille Hocquart, dans le cimetière du Père Lachaise, en compagnie de six autres personnes alliées à la famille des comtes de Turtot, auparavant accueillies dans le parc de la propriété du château de Voisins avant d’être transférées à Paris, lorsque le château fut vendu à M. Tavernier le 15 avril 1857.
Le 2 juillet 1988, devant de nombreuses personnalités, famille et amis un solennel hommage était rendu à Eléonore Brodou. Comme il en avait déjà été de même cent quatre-vingt-un ans auparavant, le jour de la messe célébrée à Louveciennes le lendemain de son décès, le 5 avril 1807 Louise, femme de La Pérouse,(avait été) inhumée selon le rite de l’église catholique, dans le parc de Mme Pourrat, situé à Louveciennes, en présence d’un grand concours de monde.
Éléonore avait toujours espéré le retour de son époux, pour elle il ne pouvait être mort, elle était sûre qu’il lui reviendrait, sinon comment expliquer que dans le registre paroissial il soit écrit femme de M. de la Pérouse, alors que normalement la mention aurait du être veuve de.
Démunie de fortune, traversant les affres de la Révolution et de la Terreur, Eléonore de la Pérouse vécut vingt années de détresse faisant montre de ce qui nous semble avoir été la plus grande dignité. Par ces mots M. Jacques Thomas terminait son discours, le jour de la cérémonie officielle au Père Lachaise, le 2 juillet 1988.
Extraits
Jacques et Monique Laÿ
« Louveciennes, mon Village » Tome 2
à paraître