Auguste Renoir, Camille Pissarro, Elisabeth Vigée-Lebrun, Camille Saint-Saens, Charles Münch, Kurt Weill, Anaïs Nin, François Arnoul, Brigitte Bardot. …. La liste est longue de ces artistes, peintres, écrivains, musiciens ou autres personnalités qui ont séjourné plus ou moins longuement à Louveciennes.
Jacques et Monique Laÿ, dans leur classique « Louveciennes, mon village », nous proposent une liste quasi-exhaustive de ces personnalités.
Nous nous intéresserons ici à des personnages qui ont marqué de leur empreinte l’histoire contemporaine. En nous appuyant sur des biographies, sur des témoignages, nous essaierons de les faire revivre dans le décor louveciennois. Le lecteur ne cherchera évidemment pas dans ces courtes séquences une vérité absolue mais simplement une occasion de se replonger dans un passé récent.
Pierre Lazareff, le seigneur de « La Pelouse »
Notre première évocation sera consacrée à Pierre Lazareff, grand patron de presse (France-Soir) et à son épouse Hélène Gordon (Elle). En 1952 il s’installèrent dans le domaine de Louveiennes, au domaine de « La Pelouse », en face de la grille Royale, pendant vingt ans.
Dans ces années là, le déjeuner dominical de de Pierre et Hélène Lazareff à Louveciennes était le rendez-vous « le plus couru de tout ce qui avait un nom en France », selon lea biographie d'Yves Courrière (1). A table,
des hommes politiques comme Vincent Auriol, Antoine Pinay, François Mitterrand, Georges Pompidou, Pierre Mendès France, Jacques Chaban-Delmas, mais aussi des avocats comme Me Fleuriot, des chanteurs en vogue comme Yves Montand, Guy Béart, des actrices comme Marlene Dietrich, Simone Signoret, sans oublier les écrivains-maison, Lucien Bodard et Joseph Kessel.
Tous les témoignages qui vont suivre souligneront l’importance de ces rencontres.
Une ambiance d'intrigues IVème République ; bien des remaniements ministériels ont été préparés à Louveciennes.
L’assiduité des hommes politiques était facile à comprendre : France Soir de la belle époque, c’était le plus grand quotidien national, sept éditions quotidiennes, 1 300 000 exemplaires vendus (en 1957), 400 journalistes, une centaine de pigistes, autant de correspondants. Le tout dans une débauche de moyens, on ne lésinait pas sur les notes de frais.
Le personnel politique qui accourt le dimanche dans la maison de Louveciennes mesure bien que l'influence de France-Soir est grande, et qu’il est prudent de ne pas se mettre à dos le directeur.
« C'était le temps où la presse affichait une santé insolente avec des tirages qui se comptaient en millions chaque jour... C'était l'époque où un petit bonhomme d'un mètre cinquante-neuf, à la voix de crécelle, un certain Pierre Lazareff, régnait rue Réaumur et animait le «chocolat» - entendez la conférence de rédaction - de «France-Soir», le quotidien «lu aussi bien au Quai d'Orsay que chez Renault». L'après-guerre le propulsa au firmament, et c'est ce Pierrot-là qu'on garde en mémoire, celui de «Cinq Colonnes à la Une», de «France-Soir», l'homme qui aimait les femmes et leur ouvrait la voie de la réussite professionnelle. » (Véronique Jacob, Lazareff, le patron, article paru dans l’Express le 2 mars 1995)
Le témoignage de Françoise Giroud, l’amie du couple Lazareff
Dans la biographie qu’elle a consacré à Françoise Giroud, Christine Ockrent (2) a recueilli un portrait passionnant du couple Lazarref et de son mode de fonctionnement.
«Les Lazareff ont régné pendant plusieurs années sur Paris, et ils m'ont introduite dans une certaine société parisienne qui était alors brillante et stimulante ...»
Lui, avait été le tout-puissant patron de Paris-Soir puis fut celui de France-Soir et de France-Dimanche. Connaissant mieux que personne les ressorts de la grande presse populaire, il sut, au fil des générations, y attirer les meilleurs talents. Bientôt, avec Cinq Colonnes à la une, il allait donner à la télévision balbutiante ses premiers titres de gloire et d'influence.
Férue d'ethnologie, cultivée comme lui, passionnée de journalisme, comme lui d'origine juive russe, comme lui minuscule, frêle d'aspect mais douée d'une énergie débordante, Hélène abordait les gens et les choses avec une passion sans retenue.
À Louveciennes, dans leur propriété de campagne, le déjeuner du dimanche réunissait rituellement tous ceux qui brillaient à Paris - «grands patrons de la médecine, couturiers en vogue, romanciers couronnés, avocats en vue, peintres fêtés, belles comédiennes, politiques en devenir, etc. » Là les carrières s'accéléraient ou se défaisaient, les amours aussi.
Françoise poursuit : « Plus important, les Lazareff m'ont transmis une partie de leur savoir, qui était grand ; ils m'ont ouvert leur cœur, leur maison, leurs journaux ; ils m'ont entourée de leur chaleur... Hélène vivait toutes les relations humaines sur le mode de l'amour, et c'est bien de l'amour qu'il y a eu entre nous... »
(…) « Hélène eut un temps pour amant Paul Auriol, le fils du président de la République de l'époque. Les Lazareff étaient à l'Élysée comme chez eux, raconte Daisy de Galard. Ils avaient instauré leur rituel du dimanche et recevaient à déjeuner - à Villennes, en bord de Seine, puis à Louveciennes - tous ceux qui comptaient à Paris. C'était très organisé.
Les Lazareff étaient passés maîtres dans le jeu subtil et cruel des préséances, de la hiérarchie, des renversements de fortune. Moi, j'étais en bout de table et me trouvais bien godiche ; Françoise n'était pas encore à proximité des plus gros poissons, mais elle faisait du charme... Il fallait la voir manœuvrer pour obtenir le tête-à-tête qu'elle ambitionnait, souriant de partout, plissant les yeux à la manière d'Hélène... »
Et Christine Ockrent d’ajouter que Françoise Giroud utilisait au mieux le système Lazareff, fondé sur le repérage des talents, les engouements, les rapports de force et un sens très précis de la géographie des pouvoirs.
Le témoignage de Guy Schoeller, éditeur, premier mari de Françoise Sagan
«J'ai bien connu Pierre Lazareff après la guerre, en 1946, au moment où Hachette, dont mon père avait été le président, a racheté ses affaires. J'ai été lié avec Pierre et Hélène : on ne pouvait pas comprendre l'un sans connaître l'autre. Il était d'une grande gentillesse, surtout avec les gens qui n'avaient pas beaucoup de défense. Il traitait le portier de « France-Soir » de la même façon que Marcel Boussac (3). Pour lui, il n'y avait de différence que d'intelligence. Comme journaliste, il n'y a pas eu mieux, il savait tout des attentes du public. Il a réussi, avec « Cinq Colonnes à la Une », une émission de télévision populaire, renseignée, drôle et sérieuse à la fois. Il était essentiellement intéressé par les faits divers. C'était une véritable passion. Il choisissait dans son entourage des gens qui avaient une grande imagination : Simenon, Kessel ou les gens qui faisaient « Détective »... A Louveciennes, il organisait des réunions pittoresques et gaies où il montrait que le véritable humour est de se foutre de soi-même. On peut lui reprocher sinon un défaut, du moins un travers : la lâcheté. Il était prêt à faire ses valises quand de Gaulle est revenu au pouvoir. Il craignait la dictature et se voyait obligé d'émigrer ! »
Quand Françoise Sagan rencontre celui qui allait devenir son ami, François Mitterrand
« Notre première rencontre eut lieu à Louveciennes, un dimanche, chez les Lazareff, Hélène et Pierre, souverains de la presse d'alors et souverains aussi en amitié. Parmi ces nombreux amis, de toujours ou de passage, généralement célèbres, je me trouvai un jour près d'un homme jeune, brillant (l'oeil et la conversation), un homme lancé dans la politique - le dernier de mes soucis à l'époque - et qui m'aurait plu par son charme vital si je n'avais eu près de 20 ans et n'avais pas été fascinée depuis quelque temps par un homme au charme blasé. Souvenir vague, donc, et que ne précisa pas un petit duel dans «Paris-Match», entre Marguerite Duras et moi-même, au moment des élections de..., elle défendant Mitterrand et moi, de Gaulle, «véritable homme de gauche» - comme je le définissais alors - non sans une certaine justesse, puisqu'il devait tomber un peu plus tard sur la participation. Quant à François Mitterrand, je n'en disais rien et n'en pensais rien, mon instruction politique restant des plus restreinte. Bref, nous étions mal partis pour devenir des amis. » (Françoise Sagan, L’ami, publié le 13 avril 1995 dans l’Express).
Et pourtant après une nouvelle rencontre sur un aéroport de province, en 1979-1980, une amitié durable allait s’établir entre la romancière et François Mitterrand.
Et dans son article-éloge, Françoise Sagan écrit d’une manière touchante : « C'est fou comme, depuis quatorze ans, j'ai reçu, à chaque claque du destin, un témoignage de l'attention de cet homme surchargé, excusant mes folies, soutenant mon orgueil, expliquant mes colères. Nous ne nous sommes jamais plaints l'un à l'autre de ce qui pouvait survenir à l'un ou à l'autre du fait de nos relations. Mais je sais que, au moment d'un procès ridicule et sans doute déclenché par notre amitié, il fut le premier à me téléphoner pour s'en dire désolé - le premier à me téléphoner tout court, car j'avais déménagé la veille. J'ai eu dix fois la preuve qu'il était au courant des aléas de mon existence et qu'il était prêt à m'y soutenir, même si les apparences auraient dû le faire fuir (…) »
Références
(1) Yves Courrière
Pierre Lazareff ou le vagabond de l'actualité
Paris, Gallimard, « NRF biographies » - 1995
(2) Christine Ockrent
Françoise Giroud, une ambition française, Fayard, Paris, 2003
(3) Marcel Boussac était un industriel du textile, un éleveur de chevaux et un propriétaire de journaux (L'Aurore, Paris-Turf)
Autres ouvrages
* Présentation de "Cinq colonnes à la une"
Archives de l'INA
* Robert Salmon
Chemins faisant, vol. 2 : L'épopée France-Soir, préface Philippe Labro, Paris, Little Big Man (LBM) - 2004
* Robert Soulé
Lazareff et ses hommes, Paris, Grasset - 1992