Alors que les élus de Louveciennes expriment dans le débat sur le futur Plan local d’urbanisme (PLU) des visions divergentes sur le devenir de Villevert, il nous semble nécessaire de revenir aux réalités du terrain.
Le site de Villevert appartient à une société dénommée Louveciennes-Développement qui a pris la suite de Canal Plus Immobilier avec de nouveaux actionnaires. Leurs visées étaient essentiellement financières et bien éloignées du beau projet initial de Canal +, 110 000 m2 de bureaux et locaux d’accompagnement (restaurants, centres de conférence, commerces, équipements sportifs) sur une superficie totale de 24 hectares.
Incapable de monter un projet, Louveciennes-Développement croule maintenant sous les dettes et a renoncé à son permis de construire qui était d’ailleurs périmé (1).
La récente publication des comptes 2008 de Louveciennes-Développement permet de faire un certain nombre de constats accablants.
• Le commissaire aux comptes a refusé de certifier les comptes annuels 2008 ; dans le langage spécieux qui est celui de cette profession, le commissaire aux comptes indique « qu’il n’est pas en mesure de certifier si les comptes annuels sont (…) réguliers et sincères et donnent une image fidèle des opérations de l’exercice ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la société en fin d’exercice » (2) ; dans les documents comptables, on relève des évaluations irréalistes, des créances incertaines, des pertes énormes non assumées.
• Les actifs immobilisés s’élèvent à 70,8 millions d’euros (M€) et sont composés des terrains (57 M€, soit le coût prohibitif d’acquisition auprès de Bull, bien au dessus du marché), du coût de remise en état partielle de ces terrains (3 M€), de la taxe locale d’équipement (5 M€) et de la redevance pour création de locaux à usage de bureaux (5,5 M€). En raison de la renonciation à son permis de construire, la société a sollicité le remboursement des taxes et des redevances aux collectivités (dont la commune de Louveciennes).
• Le capital symbolique de 40 005 € est détenu principalement par des fonds d’investissement basés à l’étranger (3) ; les actifs et les pertes sont financés par emprunts (90 M€) auprès des investisseurs ou des actionnaires (sociétés qui sont aussi largement financées par endettement). Pour l’observateur externe, ne travaillant que sur des documents publiés, la traçabilité des fonds n’est pas évidente. Il convient cependant de souligner le rôle central de Centuria qui mobilise les principaux fonds et a récemment obtenu la présidence du conseil d’administration.
• Les pertes accumulées jusqu’à présent ont rendu les capitaux propres négatifs pour un montant de 17,8 M€ au 31 décembre 2007 : légalement, il appartenait aux actionnaires de reconstituer les capitaux propres en 2008, en les apurant de toutes les pertes accumulées. S’ils sont arrivés à un accord de principe en décembre 2008 portant sur la renonciation à « certains intérêts » sur leurs prêts, sur la transformation de « certaines créances » en actions, le protocole n’était toujours pas signé dix mois plus tard. C’est dire quil est difficile de parapher un accord qui acte de telles pertes financières. Les actionnaires hésitent à franchir le pas qui consiste à transformer leurs créances en capital en espérant un « retour à meilleure fortune ». Ils ont certes fait un effort en renonçant au calcul des intérêts sur leurs prêts qui sont ainsi passés de 6 M€ en 2007 à 0,6 M€ en 2008. La perte de l’exercice 2008 a ainsi pu être ramenée à 1,4 M€, mais les capitaux propres se rapprochent des 20 M€ en valeur négative au 31 décembre 2008 (4).
• Comme on le sait, la crise financière n’a pas épargné les sociétés aux montages hasardeux. Certains créanciers de Louveciennes-Développement sont aux abois comme la Compagnie foncière Fidéi. Dans l’annexe de ses comptes annuels 2008, on lit l’appel de détresse suivant : « La continuité de l’exploitation de la société dans les 12 mois à venir est conditionnée principalement par le recouvrement de la créance Fidéi sur la société Louveciennes-Développement à hauteur de 3,104 M€. La capacité de remboursement de Louveciennes-Développement dépend du remboursement par l’Etat de taxes versées au titre du permis de construire devenu caduc. » (5)
On rebat les cartes ?
Nous venons de retracer la situation financière critique de Louveciennes-Développement dont les actionnaires/prêteurs ont mis déjà 90 M€ pour acquérir et désamianter partiellement les terrains du site de Villevert.
Ils ont enfin compris que le temps ne joue pas en leur faveur : les pertes continuent et si les actionnaires autorisent la société à ne plus calculer les intérêts sur une partie substantielle des emprunts, la société risque d’entraîner dans sa chute d’autres structures (effet domino). Sans permis de construire, Louveciennes-Développement n’est plus qu’un propriétaire de terrain incapable de savoir ce qui pourra y être construit, espérant que les autorités administratives valoriseront son terrain en lui permettant de faire non seulement des bureaux mais également des commerces (6).
A moins d’un miraculeux retournement du marché de l’immobilier ou d’une densification accrue tout aussi irréaliste, Louveciennes-Développement ne pourra sortir de l’impasse sans y laisser des plumes, car la société traine en héritage de Canal + un niveau de charges foncières excessif, lié à un prix d’acquisition initial hors marché.
L’Etat s’est manifesté en obtenant comme prévu la rétrocession d’un bout de terrain pour l’aménagement du nouveau triangle de Rocquencourt.
On dit également que le Préfet souhaiterait un emplacement de stationnement pour « les gens de voyage » (une obligation pèse dans ce domaine sur la Communauté des communes des Coteaux de Seine).
Le département des Yvelines souhaite installer sur une partie des terrains un centre de secours et d’incendie. Par ailleurs, le conseil général, en accord et en concertation avec les villes de Rocquencourt et de Louveciennes, a pris l’initiative de mener avec un cabinet d’urbaniste et de paysagiste une étude sur l’ancienne plaine de Villevert, couvrant le site de Louveciennes et une partie de Rocquencourt, de l’autre coté de l’A13. Cette étude a été réalisée dans le cadre de la mission d’appui du conseil général auprès des communes pour valoriser « les atouts des Territoires ». Coté Rocquencourt, il est prévu de réaménager l’Inria et de créer un éco-quartier de 300 logements. Coté Louveciennes, trois hypothèses d’aménagement ressortent : (a) une utilisation du site avec un programme et un utilisateur unique (tel le projet initial de Canal+), (b) un site à vocation ludique, culturelle et scientifique tel un laboratoire d’agronomie et d’écologie (type jardin des plantes), (c) un site à vocations multiples avec un objectif d’animation (bureaux, loisirs avec des résidences-services, commerces (7). L’hypothèse (b) paraît sympathique mais financièrement peu réaliste.
La commune de Louveciennes est bien entendu très concernée par le développement de Villevert. Le projet de Canal+ avait suscité de grands espoirs en son temps (une cité de l’audiovisuel dans le cadre d’une architecture de qualité, quoi de mieux…) ; Canal + a renoncé et avec les nouveaux investisseurs, au savoir-faire limité en matière de promotion, les déceptions se sont multipliées.
La commune a aussi été perturbée financièrement : la deuxième tranche de la taxe locale d’équipement due par Louveciennes-Développement (1,6 M€) ne sera pas payée, la première tranche étant sujette à une demande de remboursement, que la municipalité conteste.
Louveciennes reprend maintenant la main, étant à nouveau maître dans l’octroi du permis construire qui devra être cohérent avec le PLU actuellement en cours d’élaboration.
Il est fondamental pour nos élus de défendre une vision claire et réaliste sur le devenir du site de Villevert qui, bien qu’excentré par rapport au cœur du village, constitue pour Louveciennes une chance à ne pas gâcher. Faute de vision stratégique, ces terrains risquent d’être encore le jouet de nombreuses convoitises, publiques ou privées.
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(1) Le permis de construire initial avait été accordé le 4 avril 2003 à la société Canal Plus Immobilier devenu par la suite Louveciennes-Développement. Une modification au permis avait été apportée le 25 septembre 2007 pour permettre la construction d’un « bâtiment d’activités ludiques ». Louveciennes-Développement a informé le 15 janvier 2009 le maire de Louveciennes qu’elle renonçait à son permis de construire et qu’elle sollicitait le remboursement de la Taxe locale d’équipement (TLE), plus de 4 ans après le versement effectif de la 1ère tranche.
(2) Le rapport du commissaire aux comptes, Salustro Reydel, membre de Kpmg international, date du 6 octobre 2009. Cette date tardive résulte du fait que Louveciennes-Développement avait demandé au tribunal de commerce le report de son assemblée générale.
(3) Le capital de Louveciennes-Développement de 40 005 € est divisé en 2 667 actions de 15 € chacune. La structure de l’actionnariat est la suivante : fond Samaral géré par Centuria : 2 053 actions (77%), Financière de l’Ill associée à Esca prévoyance : 347 actions (13%), Verdoso Investment : 267 actions (10%). Un pacte d’actionnaires a été signé entre les partenaires.
(4) A défaut de reconstitution des capitaux propres dans les délais, toute personne intéressée peut obtenir du tribunal de commerce la dissolution de la société.
(5) Le montant de 3,104 M€ représente une échéance à court-terme, au total Fidei a prêté 31,9 M€ à Louveciennes-Développement.
(6) Louveciennes-Développement souhaite faire évoluer le projet initial vers un complexe immobilier reposant sur une double composante, bureaux et commerces. Ce nouvel ensemble pourrait se décomposer comme suit : 50 000 m2 de bureaux, 30 000 m2 de commerces et 20 000 m2 d’activités.
(7) Informations données dans le cadre de la Commission extra-municipale du PLU d'octobre 2009.
Merci de cet article très clair, informatif et utile. Le dossier, lui, est complexe et un très gros enjeu pour la commune.
Rédigé par : Pascal | 04 décembre 2009 à 09:45
Cette vision claire et réaliste de la part de nos élus doit aussi être ambitieuse et peut-être également s'inspirer des grands axes d'investissement choisis par le grand emprunt, tout en tenant compte de la réflexion sur le grand Paris.
Rédigé par : Boleslas Palewski | 05 décembre 2009 à 10:37
Cet article qui comme tous les précédents est clair, précis et permet de se rendre compte de la complexité de la situation et des enjeux stratégiques tant pour les propriétaires que pour les collectivités locales; les intérêts des uns n'étant point ceux des autres, souhaitons que chacun sache raison gardée sur l'avenir de Villevert... Merci beaucoup à l'auteur de cet article. Continuez à nous informer.
Rédigé par : F.V. | 05 décembre 2009 à 14:20
Une question : n'y a t'il pas un moment ou la société Louveciennes développement va devoir se mettre en faillite ? ou être mise en faillite ? et donc ses biens seront vendus ?
Rédigé par : Raphaël | 05 décembre 2009 à 14:45
Compte de la surface, le coût d'achat de 57 Millions d'Euros n'est pas si prohibitif que cela ! En effet, si l'on multiplie 110 000 m² par 3000 Euros le mètre carré (estimation basse), on obtient une valeur construite de 330 millions d'Euros. La valeur du terrain et sa part dans l'ensemble ne parait alors plus déraisonnable et la possibilité d'effectuer un profit à la fin de l'opération tout à fait réaliste.
La difficulté commerciale de l'opération réside vraisemblablement dans la capacité de trouver un seul preneur pour la totalité du lot comme envisagé initialement dans le projet CANAL+, surtout en temps de crise. Il faudra probablement donc redédinir le projet ce qui veut dire un nouveau permis. La mairie en tant qu'autorité délivrante a donc un rôle capital pour définir les orientations avec le propriétaire. Ce rôle est renforcé actuellement par la mise en place du PLU sur le territoire de Louveciennes.
En regard des enjeux financiers et urbanistique pour notre ville, l'action menée par la majorité municipale apparaît comme faiblarde, si ce n'est défaillante. A moins qu'il ne s'agisse que d'un problème de communication ?
Rédigé par : fx | 07 décembre 2009 à 14:00
Merci de cet article clair et informatif. Suggestion naïve: Le stade de Roland Garros cherche des terrains plus vastes que lceux de a Porte d'Auteuil pour se ré-implanter... La Fédération F de Tennis lorgne sur le Bois de Boulogne mais il n'est pas sûr que l'autorisation leur soit donnée. Alors on parle de Versailles, Marne-la-Vallée, Nanterre etc... Pourquoi pas Villevert? Bien sûr il reste le pb des infrastructures transport en commun...
Rédigé par : Victor | 07 décembre 2009 à 14:56
A l’attention de Raphaël
Louveciennes-Développement est sur le fil du rasoir.
Elle n’a pas rempli l’obligation de reconstituer ses capitaux propres dans les délais ; tout intéressé peut donc demander la dissolution de la société au Président du Tribunal de commerce. Toutefois le Président peut accorder à la société un délai maximal de six mois.
Mais quelle sera cette personne intéressée ?
Les actionnaires qui sont également des prêteurs peuvent, avant la date limite, transformer leurs créances en capital mais cela représente un sacrifice qu’ils ne veulent pas encore faire à moins d’y être contraints.
Selon certaines informations, l’Etat aurait remboursé à Louveciennes-Développement sa part de taxes et contributions perçues ; on parle de 5 millions d’euros de dégrèvements inattendus. Cet argent frais, si cela est confirmé, permettra à Louveciennes-Développement de faire face à ses échéances les plus immédiates (notamment celle de Fidei que nous avons évoquée dans notre article).
Le temps ne joue pas en faveur de Louveciennes-Développement et de ses actionnaires. Combien de temps pourront-ils tenir ? Il est difficile de répondre car les actionnaires sont largement refinancés par des investisseurs (non identifiés) à qui ils doivent rendre des comptes… (des promesses de rentabilité élevées leur ayant vraisemblablement été faites…).
La rédaction
Rédigé par : La rédaction | 01 janvier 2010 à 14:30