Pièce écrite par Eric-Emmanuel Schmitt
Interprétée par la Troupe « Les Cœurs volants »
Avec Pascale Pajaud, Didier Mader, Frédérique Mouchenotte-Ghysel, Catherine Lacroix-Jousselin et Nathalie Ghysel.
Mise en scène d’Yves Delot
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Quel bon titre ! Très évocateur. On pense bien entendu à la fameuse tectonique des plaques qui provoque régulièrement stupeurs et tremblements au Japon et ailleurs. Dans la pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt, ce sont les relations amoureuses d’un couple qui subissent secousses, fracas, dislocation.
L’histoire
L’histoire, inspirée du récit de Madame de la Pommeraye, dans Jacques le fataliste de Denis Diderot, est celle de la vengeance d’une femme humiliée qui sera prise à son propre piège.
Diane Pommeray, femme indépendante, émancipée, députée de son état, veut mettre à l’épreuve l’amour que lui porte Richard Darcy, son amant. Elle lui fait remarquer combien leur amour a changé, s’est estompé au fil du temps. A son grand étonnement, il l’admet, la remercie de sa franchise et propose la rupture tout en restant de «très bons amis ».
Dépitée, Diane va se venger et pousse Richard, sans qu’il ne s’en doute, dans les bras d’Elina, belle et sensible prostituée roumaine dont il devient éperdument amoureux. Il finira par se marier avec elle. Diane, le lendemain de la nuit de noce, vient révéler à Richard le piège cruel dans lequel elle l’a fait tomber. Mais le plan se retournera contre elle. Le véritable amour triomphera : Richard et Elena, très unis, partiront vivre à l’étranger.
Les personnages, les interprètes
Diane (Pascale Pajaud) est le personnage central de la pièce. Elle est à la fois l’incarnation de la femme moderne soucieuse de son indépendance et de sa carrière et une amoureuse que la passion poussera jusqu’à la haine. Eric-Emmanuel Schmitt a sur ce point un jugement très glaçant : « Quand une femme ne tient debout que soutenue par l’amour et que cet amour lui est brusquement retiré, si elle ne veut pas tomber, elle doit remplacer ce sentiment par un autre aussi fort : la haine… C’est bon la haine, c’est chaud, c’est solide, c’est sûr. À l’opposé de l’amour, on ne doute pas dans la haine. Jamais. Je ne connais rien de plus fidèle que la haine. Le seul sentiment qui ne trahit pas. »
Didier Mader, qui a du charme, de l’aisance rend crédible Richard, successful en affaires (essentiellement en Afrique si l’on a bien compris) mais qui a son côté « fleur bleu » Seul homme de la distribution, il bénéficie de toute l’indulgence de l’auteur.
Frédérique Mouchenotte-Ghysel, incarne avec beaucoup de finesse la mère de Diane, « femme-enfant, femme-oiseau » ; elle a de la tendresse pour Richard, même plus, le béguin et en apprenant la rupture, elle a des mots très cruels pour sa fille « incapable de retenir un homme » « J’aurais tant aimé qu’un garçon sorte de mon ventre… au lieu de ça, ça a été toi. Quelle misère ! Certes tu es un peu garçon manqué, mais garçon manqué, ça veut bien dire ce que ça veut dire… c’est-à-dire pas garçon et complètement manqué. » Est-ce pour cette raison qu’Eric-Emmanuel Schmitt l’a fait mourir à la fin de la pièce ?
Elina et Rodica sont les deux prostituées roumaines qui seront les instruments de la vengeance de Diane.
Elina est encore jeune. Elle souhaitait faire des études en France, elle aime particulièrement la poésie (Baudelaire, Musset) et au lieu d’être jeune fille au pair à Paris elle tombe dans les filets de la mafia roumaine. Nathalie Ghysel, traduit bien le personnage émouvant, fragile, romantique qui ne semble pas marqué par le côté sordide du métier.
Rodica, plus âgée, est la collègue de travail d’Elina. Elle est tour à tour la prostituée expérimentée au langage vulgaire, puis dans le cadre du stratagème concocté par Diane, elle joue le rôle de la « mère » d’Elina, aux réflexes et langage bourgeois qui cherche à protéger sa « fille » des élans de Richard, le soupirant, pour faire monter les enchères. Même si on du mal à croire que les deux facettes du personnage puissent coexister, on prend beaucoup de plaisir au jeu de Catherine Lacroix-Jousselin, tour à tour fille au grand cœur avec des accents d’Arletty puis bourgeoise pincée, à cheval sur ses principes.
A propos de l’auteur
Eric-Emmanuel Schmitt est un moraliste. Il n’hésite pas à prendre son temps pour nous délivrer ses sentences qui portent à réflexion.
« - J’ai trop d’orgueil
- C’est contagieux l’orgueil. Si l’un l’attrape, l’autre est contaminé sur le champ. »
« - Aimer n’est pas connaître.
- Aimer c’est privilégier. Tout le contraire de la science, plutôt le début d’un aveuglement.
- Evidemment : si chaque père et chaque mère préfèrent leurs enfants à ceux des autres, c’est rarement parce qu’ils ont étudié le marché.
- D’ailleurs, est-ce intéressant de connaître quelqu’un ?
- Fréquenter suffit.
- Sans cette part de mystère, d’obscurité, d’insaisissable, on se lasserait… »
La mise en scène
La troupe « Les cœurs volants » - dont nous parlons ici régulièrement - forme une communauté très homogène, qui prépare sérieusement, durant de longs mois, ses spectacles. Cela se ressent. La mise en scène d’Yves Delot est alerte, un beau travail est fait sur les décors et les lumières. Il est vrai que les exigences du plateau engendrent parfois des contraintes lourdes. Ainsi avec la brièveté de certaines scènes, on passe alternativement de l’appartement de Diane et de sa mère au petit appartement dans lequel logent les prostituées ce qui conduit à de fréquents changements de décors - à vue - qui finissent par ralentir l’action. Heureusement des interludes musicaux, particulièrement bien choisis, viennent meubler ces moments.
On notera également le soin particulier apporté aux costumes des comédiens. Au total, plus de 60 tenues différentes, c’est très agréable à l’œil. Cela nous change de ces spectacles où on croit bon d’affubler les comédiens de tenues trash, un jean degueu et un TShirt informe.
En conclusion, une bien belle représentation qui a reçu du nombreux public un accueil chaleureux et bien mérité.
FK
Quelques souvenirs du spectacle
De gauche à droite : Didier Mader (Richard), Pascale Pajaud (Diane), Catherine Lacroix-Jousselin (Rodica)
De gauche à droite : Didier Mader (Richard), Pascale Pajaud (Diane), Catherine Lacroix-Jousselin (Rodica), Nathalie Ghysel (Elina)
De gauche à droite : Frédérique Mouchenotte-Ghysel (Madame Pommeray, mère de Diane), Didier Mader (Richard)
De gauche à droite : Catherine Lacroix-Jousselin (Rodica), Pascale Pajaud (Diane), Didier Mader (Richard), Frédérique Mouchenotte-Ghysel (Madame Pommeray, mère de Diane), Nathalie Ghysel (Elina)
Générique de fin …….
Décors : conception et réalisation Annie et Gérard Laurent, Paul Délot, Bernard Jousselin, Bruno Ghysel
Régie, lumières et son : Gérard Laurent
Régie plateau : Bernard Jousselin, Bruno Ghysel
Jackie Puyrazat
Habilleuses : Alice Délot-Barre, Marlène Délot, Marie Barreira-Azevedo, Martine Pajaud
« La tectonique des sentiments » va être rejouée à Louveciennes samedi le 2 février 2013 à 20h30 Salle Saint Saëns par l’excellente troupe des Cœurs volants au profit de l’organisation « Inner Weel », organisation sœur du Rotary, première ONG féminine mondiale.
Voilà une très bonne occasion de voir ou de revoir de très bons comédiens dans une pièce très plaisante, tout en contribuant à une bonne œuvre.
La réservation peut être faite auprès de Marie-Claude Henry, 6, rue de l’Etarché 78430 Louveciennes ou dans le hall de la Mairie du lundi 25 janvier au 1er février de 14h00 à 17h30. Prix des places : 15 euros (8 euros pour les jeunes de moins de 25 ans).
Rédigé par : La rédaction | 20 janvier 2013 à 13:27