Louise Elisabeth Vigée Le Brun (1755-1842), une vie d’artiste au féminin (1)
Louise Elisabeth Vigée est née à Paris le 16 avril 1755 sous le règne de Louis XV. Son père, Louis Vigée est un portraitiste reconnu, sa mère Jeanne Maissin vient d’une famille de marchands-laboureurs de la province du Luxembourg. L’enfant est baptisé à l’église Saint-Eustache à Paris. A trois mois, on la confie à des paysans d’Épernon, au sud de Rambouillet. Elle y restera jusqu’à l’âge de 5 ans. Ce placement en nourrice était de tradition, non seulement dans l’aristocratie mais également chez les artisans et artistes aisés. De retour à Paris, elle entre comme pensionnaire au couvent de la Trinité, dans le faubourg Saint-Antoine. Elle conservera un mauvais souvenir de ce séjour mais déjà, elle se passionne pour le dessin.
A onze ans, elle retourne vivre chez ses parents. Son père qui a remarqué ses dons, lui permet d’assister à ses cours de peinture. Ce père bienveillant et généreux va mourir accidentellement le 9 mai 1767. « Lors d’un repas, Louis goûte à un plat de poisson. Soudain, il tousse, il s’étrangle (…). Une arête s’est plantée dans sa gorge. (…). La vie bascule. On appelle un des chirurgiens les plus habiles de Paris. Hélas, son savoir-faire et son dévouement échouent à sauver le peintre. L’opération entraîne une infection impossible à juguler. En deux mois à peine, Louis Vigée est emporté. » (1) – (pp 34/35).
Très éprouvée par la mort de son père, elle décide de s'adonner à ses passions, la peinture, le dessin et le pastel. A 15 ans, elle s’installe comme portraitiste. Elle bénéficie des conseils de peintres reconnus comme Joseph Vernet, Jean-Baptiste Greuze, Hubert Robert qui deviendra un ami très proche.
Sa mère se remarie rapidement, pour des raisons financières, avec un maître orfèvre, Jacques-François Le Sèvre qui se révèlera après son mariage tellement avare qu’ « il nous refusait jusqu’au nécessaire, quoique j’eusse la bonhomie de lui donner tout ce que je gagnais » dira la jeune artiste.
Le 7 août 1775 à vingt ans, Louise Elisabeth Vigée épouse Jean-Baptiste Pierre Le Brun, peintre à ses débuts mais qui délaissera la palette pour devenir un grand marchand de tableaux. Une petite fille, Julie, naîtra de cette union le 12 février 1780.
De cette époque, nous avons retenu trois auto-portraits qui contribueront à asseoir la notoriété de Louise Elisabeth Vigée Le Brun.
Autoportrait au chapeau de paille
1781-1782
Huile sur toile
97,8 x 70,5 cm
National Gallery
Selon des informations données par la National Gallery, il apparaît, après nettoyage, que le tableau n’est qu’une réplique, l’original étant détenu dans une collection privée en France.
Sans plus attendre, elle va peindre cet auto-portrait à Bruxelles en utilisant un panneau de chêne préparé tel qu'on les trouvait en Hollande. Dans son autoportrait, elle porte à son tour un chapeau de paille orné d'une plume et d’une couronne de fleurs de champs fraîchement cueillies. Ses cheveux sont au naturel, non poudrés. «Les instruments de l'art, palette et pinceaux qui la consacrent comme artiste, occupent dans l'espace une place majeure. Sa silhouette se détache sur un fond où l'on reconnaît la couleur du ciel des Flamands. Comme dans l'oeuvre de Rubens, Mme Le Brun fait jouer la lumière sur des boucles d'oreilles de pâte de verre en gouttes d'eau. (…) Le parti pris qui consiste à laisser le visage dans une semi-pénombre permet d'étudier les dégradations de la lumière sur le front et la joue, et crée un effet audacieux de clair-obscur, qui laisse deviner ses traits plus qu'ils ne les dévoile - comme si l'artiste souhaitait rester en retrait. Lorsque le tableau sera exposé au salon de 1783 les critiques loueront le procédé.» (1) – (pages 93/94).
Autoportrait « au ruban de cerise »
1781-1782
Huile sur toile
64,8 x 54 cm
Kimbell Art Museum, Fort Worth, Texas
Elisabeth Louise exécute ce second autoportrait, sur toile cette fois, sans qu’on sache exactement s’il est antérieur ou non au précédent.
« Un chapeau, orné d’une plume, porté en arrière, dégage presque entièrement le visage. La tonalité franche du ruban de satin cerise qui ferme le corsage à trois volants est mise en valeur par les dentelles noires de son fichu. Aux oreilles, elle porte les mêmes pendants en pâte de verre translucide qui éclairent le bas du visage. Le buste se présente de biais, effaçant légèrement la carrure. Comme dans le portrait au Chapeau de paille un léger sourire flotte sur les lèvres de l’artiste. » (1) – (pages 94/95).
Madame Vigée-Le Brun et sa fille, Jeanne-Lucie, dite Julie Le Brun
1786 et 1789
Huile sur panneau – 105 x 84 cm
Paris, Musée du Louvre
Photo : RMN
Deux tableaux du même thème figurent dans les collections du Louvre ; le premier réalisé en 1786 et donné au musée par les héritiers selon les vœux de Madame Vigée Le Brun, le second réalisé en 1789 pour le comte d’Angevillier, directeur des Bâtiment du roi, tableau qui a fait l’objet d’une « saisie révolutionnaire ». Il est des plus curieux d’observer que le Musée du Louvre (sur son site internet) appose son copyright sur ce tableau limitant sa reproduction, copyright qui est également accordé aux dénommés A. Daquier et M. Bard qui sont vraisemblablement les photographes. Comment justifier les « saisies révolutionnaires » si on introduit de nouveaux droits. Nous sommes d’incorrigibles Français hissant fort des principes qui ne sont pas respectés.
Nous n’avons pas retenu ce tableau pour son côté édifiant et sentimental mais parce qu’il traduit la nouvelle sensibilité de l’époque, influencée par les idées de Jean-Jacques Rousseau sur la féminité, la maternité et l’enfance. Le tableau a été généralement bien accueilli. « La dimension mariale plaît. Au salon de 1787, certains jugeront que l’oeuvre est digne de rivaliser avec la pureté des madones italiennes » (1) – (page 150).
Eclairages
Le mariage
Le mariage entre Jean-Baptiste Pierre Le Brun et Louise Elisabeth Vigée a lieu à l'église Sainte Eustache le 11 janvier 1776. Après la cérémonie, la jeune femme commence à évoquer dans son cercle amical son union avec Le Brun. Avec surprise, elle apprend que son jeune époux est connu pour ses moeurs dissolues, qu'il aime le jeu, les soupers avec des filles de l’opéra.
Très rapidement la jeune femme « fait le deuil du bonheur conjugal pour ne penser qu’à sa peinture ». Le couple vivra séparé douze ans consécutif à sa fuite à l’étranger en octobre 1789. Le Brun resté à Paris va introduire une demande de divorce au moment de la Terreur, Louise Elisabeth figurant sur la liste des émigrés à qui on a retiré la citoyenneté française qui ne lui sera rendue qu’en 1800. A son retour de Russie et de Prusse, Louise Elisabeth séjournera quelque temps à l’hôtel Le Brun. Ils vivront par la suite dans des résidences séparées. Elle gardera toujours une certaine affection pour son mari qu’elle aidera financièrement ; celui-ci mourra en 1813.
Jean-Baptiste Le Brun, marchand de tableau
Jean-Baptiste Le Brun est devenu assez rapidement un marchand de tableaux réputé. Pour remplir ses magasins, Le Brun voyage beaucoup à l’étranger notamment aux Pays-Bas ; il constitue progressivement un large réseau de marchands et d'artistes qui l'approvisionnent. Les affaires vont bien. C’est ainsi qu’entre 1780 et 1789, il va organiser 68 ventes.
Jean-Baptiste Le Brun est un marchand mais qui devient un véritable érudit au goût très sûr. Il excelle également dans la restauration de tableaux. Il a d’illustres clients. Il gagnera la confiance du duc d'Orléans (futur Louis XVIII) et du comte d'Artois (futur Charles X) et devient « garde » de leur collection privée.
Il rénove l’hôtel Lubert, rue de Cléry, qu’il utilise pour ses magasins, ses expositions. La famille Le Sèvre va y louer un appartement. Ce voisinage va rapprocher les deux jeunes gens. Jean-Baptiste va prêter des tableaux à Louise Elisabeth, afin que celle-ci les étudie. De proche en proche cette relation se fortifie par leur amour de la peinture. Elle se prolongera comme on l’a vu par un mariage. Le Brun jouera un rôle non négligeable dans le développement artistique de son épouse. Louise Elisabeth dispose d’une mémoire visuelle exceptionnelle et nul doute que la familiarité avec les œuvres qui passeront par l’hôtel des ventes participeront à sa formation. Le Brun a également participé à ses débuts à la promotion de la carrière de la jeune artiste.
Le Brun finira par acquérir en 1778 l’hôtel Lubert et le transformera profondément avec de nouvelles salles d’exposition, des magasins et une demeure privée plus luxueuse pour le jeune couple. Cet hôtel s’appellera par la suite l’hôtel Le Brun.
Références bibliographiques :
1. Geneviève Haroche-Bouzinac, Louise Élisabeth Vigée Le Brun, histoire d’un regard, éditions Flammarion, collection « Grandes Biographies », 688 pp., 27 €.
2. Élisabeth Louise Vigée Le Brun, Souvenirs 1755-1842 (Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux), texte établi, présenté et annoté par Geneviève Haroche-Bouzinac, Paris, Honoré Champion Éditeur, Paris, 2008, 852 pp.
Prochain article : La portraitiste de la reine
Article déjà paru :
- Une vie d’artiste au féminin (compte-rendu de la biographie de Geneviève Haroche-Bouzinac).
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