Louise Elisabeth Vigée Le Brun (1755-1842), une vie d’artiste au féminin (4)
Portraitiste d’une reine devenue impopulaire, « l’Autrichienne », proche des milieux de la Cour, Élisabeth Louise Vigée Le Brun se sent menacée dès les premiers jours de la Révolution. Circonstance aggravante, elle avait été l’objet en 1788 d’une campagne de calomnie sur la base d’une correspondance érotique fictive l’accusant d’être la maitresse d’un Ministre des finances détesté, Charles Alexandre de Calonne, qui prudemment s’était réfugié en Angleterre.
Elle s’enfuiera en Italie le 6 octobre 1789, avec sa fille et sa gouvernante. Cette date coïncide avec le retour forcé à Paris du roi et de la reine, sous escorte depuis Versailles « au milieu des piques » et des vociférations d’une foule déchaînée.
Autoportrait en costume de voyage
1789
Pastel – 50 x 40 cm
New York, collection particulière
Depuis la prise de la Bastille, en effet, les évènements se sont précipités. Certes l’abandon des privilèges dans la nuit du 4 au 5 août a été un moment euphorique mais de courte durée. Le climat se fait plus lourd. Des inscriptions injurieuses sont portées sur le mur de la nouvelle et luxueuse demeure des Le Brun, rue de Cléry, du soufre est jeté à travers le soupirail……..
L'ambiance continue cependant de se détériorer. Au cours de la troisième semaine de septembre, Louise Élisabeth prépare ses bagages et fait charger sa voiture pour partir avec sa fille et sa gouvernante lorsque qu’elle voit entrer dans son salon une foule énorme de gardes nationaux avec leurs fusils. « La plupart d'entre eux étaient ivres, mal vêtus, et portaient des figures effroyables. Quelques-uns s'approchèrent de moi, et me dirent dans les termes les plus grossiers que je ne partirais point, qu'il fallait rester. Je répondis que, chacun étant appelé alors à jouir de sa liberté, je voulais en profiter pour mon compte. À peine m'écoutaient-ils, répétant toujours : «Vous ne partirez pas, citoyenne, vous ne partirez pas.» Enfin ils s'en allèrent, je restai plongée dans une anxiété cruelle, quand j'en vis rentrer deux, qui ne m'effrayèrent pas, quoiqu'ils fussent de la bande, tant je reconnus vite qu'ils ne me voulaient point de mal. - Madame, me dit l'un, nous sommes vos voisins ; nous venons vous donner le conseil de partir, et de partir le plus tôt possible. Vous ne pourriez pas vivre ici, vous êtes si changée que vous nous faites de la peine Mais n'allez pas dans votre voiture ; partez par la diligence, c'est bien plus sûr. » (1) – Souvenirs
Cet épisode l’a convainc encore plus. « Fuir, la seule évidence pour elle est la fuite : ce n'est pas le départ d’une artiste qui veut découvrir l'Italie contrairement à ce que son entourage cherchera faire croire (…) Elle a compris qu'il n'est pas besoin d'avoir commis de faute pour être déclarée coupable. » (2)
Elle fait retenir trois places dans la diligence pour Lyon, pour elle, sa fille de six ans et sa gouvernante. Elle devra patienter encore quinze jours, car les candidats à l’émigration sont particulièrement nombreux et évitent de prendre leur voiture particulière.
Un voyage éprouvant
Le départ de la diligence est fixé à minuit, dans la nuit du 5 au 6 octobre 1789. Elle n’emporte que peu de linges et quatre-vingt louis, les fruits de son travail étant resté dans les mains de son mari. Elle porte le costume d’une ouvrière mal habillée, avec un gros fichu lui tombant sur les yeux. Elle craint d’être reconnue et arrêtée. « Je redoutais extrêmement le faubourg Saint-Antoine, que j'allais traverser pour gagner la barrière du Trône. Mon frère, le bon Robert, et mon mari m'accompagnèrent jusqu'à cette barrière, sans quitter un instant la portière de la diligence. Ce faubourg, dont nous avions une si grande peur, était d'une tranquillité parfaite ; tous ses habitants, ouvriers et autres, avaient été à Versailles chercher la famille royale, et la fatigue du voyage les tenait tous endormis. » (1) - Souvenirs
Le voyage pour Lyon est éprouvant et va durer cinq jours Dans ses Souvenirs, écrit trente cinq ans plus tard, elle évoque des compagnons de voyage qui vont l’inquiéter, elle la fidèle sujette de la royauté : « J'avais en face de moi, dans la diligence, un homme extrêmement sale, et puant comme la peste, qui me dit fort simplement avoir volé des montres et plusieurs effets. (…) Le voleur ne se contentait pas de nous raconter ses hauts faits, il parlait sans cesse de mettre à la lanterne telles ou telles gens, nommant ainsi une foule de personnes de ma connaissance. (…) Il se trouvait en outre, sur la banquette où j'étais assise, un forcené jacobin de Grenoble, âgé de 50 ans environ, laid, au teint bilieux, qui, chaque fois que nous nous arrêtions dans une auberge pour dîner ou pour souper, se mettait à pérorer dans son sens de la plus terrible façon. Dans toutes les villes, une foule de gens arrêtaient la diligence pour apprendre des nouvelles de Paris. Notre jacobin s'écriait alors : «Soyez tranquilles, mes enfants ; nous tenons à Paris le boulanger et la boulangère. On leur fera une constitution ; ils seront forcés de l'accepter, et tout sera fini» Elle craindra même d’être reconnue car le jacobin était un amateur de peintures et il avait vu à Paris, lors du Salon d’août 1789, l’autoportrait de Louise Elisabeth et de sa fille destiné à M. d'Angevilliers, voir sa reproduction dans l’article La reconnaissance d'un talent Le jacobin de Grenoble «fit même l'éloge de ce portrait. Je tremblais qu'il ne me reconnût ; j’employai toute mon adresse à lui cacher mon visage ; grâce à ce soin et à mon costume, j’en fus quitte pour la peur. »
A Lyon, les fugitifs sont hébergés pendant trois jours par un négociant, M. Artaut, qu’elle connaît. Celui-ci va organiser leur voyage hors du territoire national, plus précisément la Savoie faisant à l’époque partie du royaume de Sardaigne. L’exil et le périple européen de Madame Vigée Le Brun allait durer jusqu’en 1802.
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Avant de clôturer ce chapitre qui marque aussi la fin d’une époque, nous présentons un portrait qui est parmi l’un de ses plus accomplis, celui d’Hubert Robert, un fidèle ami.
1788
Panneau – 105 x 84 cm
Paris, Musée du Louvre
Ce tableau a été donné au musée en 1843 par Mme Tripier Le Franc, suivant le voeu de sa tante Mme Vigée-Le Brun.
Hubert Robert fait partie du cercle rapproché des amis de Madame Le Brun, un familier des soirées de la rue de Cléry. Robert a vingt deux ans de plus que Louise Elisabeth. Sa formation s’est accomplie en dehors des cadres institutionnels, en observant les grands maîtres de la peinture. Il a passé dix années en Italie d’où il rapportera des dessins et des croquis de paysages en ruines. A son retour d’Italie il est reçu à l’Académie royale. Ses talents de décorateur et d’ordonnateur des jardins le font rechercher. Il participera notamment à la conception du parc d’Ermenonville et interviendra sur une partie du hameau de la reine. Pendant la Révolution, il est détenu pendant 10 mois et libéré au moment de la chute de Robespierre. Par la suite, il sera chargé de la mise en place du Museum national. Il est mort en 1808.
Références bibliographiques :
1. Élisabeth Louise Vigée Le Brun, Souvenirs 1755-1842 (Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux), texte établi, présenté et annoté par Geneviève Haroche-Bouzinac, Paris, Honoré Champion Éditeur, Paris, 2008, 852 pp.
2. Geneviève Haroche-Bouzinac, Louise Élisabeth Vigée Le Brun, histoire d’un regard, éditions Flammarion, collection « Grandes Biographies », 688 pp., 27 €.
Magnifique tableau de la renaissance,s'ils vous plaît continuez de publier des œuvres aussi importante historiquement, elles sont toutes une histoires derrière elles.
Rédigé par : blog coquin | 23 septembre 2016 à 19:11