Louise Elisabeth Vigée Le Brun (1755-1842), une vie d’artiste au féminin (2)
Lorsque Louise Elisabeth Vigée Le Brun est appelée à Versailles pour exécuter le portrait de la reine, sa réputation est déjà établie, la cote de ses oeuvres est élevée.
Marie-Antoinette dans une lettre adressée en octobre 1774 à sa mère, Marie-Thérèse d’Autriche, se désole de « n’avoir pas encore trouvé un peintre qui attrape ma ressemblance. » (1)
Les peintres qui ont essayé n’ont guère convaincu. « Les peintres me tuent et (me) désespèrent » (1). Bien plus tard, Madame Vigée Le Brun sera la portraitiste digne de sa confiance. Elle réalisera une dizaine de portraits et une vingtaine de répliques et variantes.
Dans le premier portrait, la reine Marie-Antoinette est vêtue d’une robe de satin blanc à paniers bordés d’or et tenant une rose à la main. Un buste de Louis XVI et une couronne posée sur un coussin attestent de son appartenance royale.
Archiduchesse Marie-A ntoinette, reine de France
1778
Huile sur toile
273x 193,5 cm
Kunsthistorisches Museum, Wien
Du portrait officiel dont l’original était destiné à son frère, Joseph II, plusieurs répliques avec variantes sont connues, dont deux conservées à Versailles.
« C’est en l’année 1779, (il s’agit en fait de l’année 1778), que j’ai fait pour la première fois le portrait de la reine, alors dans tout l’éclat de sa jeunesse et de sa beauté. Marie-Antoinette était grande, admirablement bien faite, assez grasse sans l’être trop. Ses bras étaient superbes, ses mains petites, parfaites de forme, et ses pieds charmants. Elle était la femme de France qui marchait le mieux ; portant la tête fort élevée, avec une majesté qui faisait reconnaître la souveraine au milieu de toute sa cour, sans pourtant que cette majesté nuisît en rien à tout ce que son aspect avait de doux et de bienveillant. Enfin, il est très difficile de donner à qui n’a pas vu la reine, une idée de tant de grâces et de tant de noblesse réunies. Ses traits n’étaient point réguliers, elle tenait de sa famille cet ovale long et étroit particulier à la nation autrichienne. Elle n’avait point de grands yeux ; leur couleur était presque bleue ; son regard était spirituel et doux, son nez fin et joli, sa bouche pas trop grande, quoique les lèvres fussent un peu fortes.
Mais ce qu’il y avait de plus remarquable dans son visage, c’était l’éclat de son teint. Je n’en ai jamais vu d’aussi brillant, et brillant est le mot ; car sa peau était si transparente qu’elle ne prenait point d’ombre. Aussi ne pouvais-je en rendre l’effet à mon gré : les couleurs me manquaient pour peindre cette fraîcheur, ces tons si fins qui n’appartenaient qu’à cette charmante figure et que je n’ai retrouvés chez aucune autre femme. (2) - (Souvenirs, Livre 1, Lettre V).
Marie-Thérèse d'Autriche est contente du résultat comme en témoigne une lettre qu’elle adresse à sa fille le 1er avril 1979. « Votre grand portrait fait mes délices. Ligne (le prince de) a trouvé de la ressemblance mais il me suffit qu’il représente votre figure, de laquelle je suis bien contente. » Dans un courrier adressé à son ambassadeur elle regrette cependant que le « grand portrait de la reine est arrivé ici bien endommagé ». (1)
Marie-Antoinette « en gaule »
Salon de Paris, 1783
Huile sur toile
L’original a apparemment disparu, cinq répliques furent réalisées par l’artiste avec des varaintes (chapea&u, robe de mousseline,…).
Plusieurs variantes de ce tableau ont été exécutées par Madame Vigée Le Brun. L’une se trouve au Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon, une autre à la National Gallery of Art de Washington DC, une autre encore dans la Collection du prince Ludwig von Hessen und bei Rhein, Château Wolfsgarten, Hesse, Allemagne.
Parmi les tableaux réalisés par Madame Vigée-Le Brun à diverses époques, on retiendra particulièrement celui appelé Marie-Antoinette « en gaule » et qui la représente coiffée d’un chapeau de paille et habillée d’une robe de mousseline blanche dont les manches sont plissées en travers.
Ce tableau présenté au salon de 1783 reçoit un accueil mitigé. De nombreux chroniqueurs et de visiteurs sont choqués de voir la reine dans une toilette simple ne correspondant pas à la représentation habituelle de la royauté française. Et de fait, le tableau a été rapidement décroché. Il connut néanmoins un certain succès puisqu’on passera à l’artiste de nombreuses commandes pour réaliser des répliques de ce tableau.
Marie-Antoinette et ses enfants
1787
Huile sur toile
275x215 cm
Musée national des Châteaux de Versailles et du Trianon
En 1788, la popularité de Marie-Antoinette est au plus bas. D’infâmes pamphlets et libelles inondent Paris, dénonçant ses dépenses excessives, ses coiffures extravagantes, ses mœurs supposées. Pour restaurer l’image de la reine, la Cour a l’idée de commander un tableau la représentant avec ses enfants. Après l’échec cinglant d’un artiste suédois qui avait réalisé un tableau très contesté, la commande est adressée à Madame Vigée Le Brun. Ce tableau fait alors l’objet d’un intense travail préparatoire ; un tableau de Raphaël, La sainte famille, sera la source d’inspiration principale.
Ce tableau célèbre représente la reine assise portant sur ses genoux Louis-Charles, duc de Normandie, le futur enfant du Temple (« Louis XVII »), et à ses côtés , Marie Thérèse connue plus tard sous le nom de « Madame Royale » et Louis, le dauphin qui allait mourir deux ans plus tard, au début de 1789. « Marie-Antoinette semble dire à la postérité que ses enfants sont ses seuls trésors ». (3)
Un documentaire, quatrième de la série l’Art en Question, proposé par Canal Educatif, s’intéresse au portrait de Marie-Antoinette et ses enfants et nous offre une bien intéressante analyse centrée sur la communication politique.
Madame Vigée Le Brun fait dans ses Souvenirs une relation de l’histoire de ce tableau :
« La dernière séance que j’eus de Sa Majesté me fut donnée à Trianon, où je fis sa tête pour le grand tableau dans lequel je l’ai peinte avec ses enfants. (...). Après avoir fait la tête de la reine, ainsi que les études séparées du premier dauphin, de Madame Royale et du duc de Normandie, je m’occupai aussitôt de mon tableau auquel j’attachais une grande importance, et je le terminai pour le salon de 1788. La bordure ayant été portée seule, suffit pour exciter mille mauvais propos : «Voilà le déficit», disait-on ; et beaucoup d’autres choses qui m’étaient rapportées et me faisaient prévoir les plus amères critiques. Enfin j’envoyai mon tableau ; mais je n’eus pas le courage de le suivre pour savoir aussitôt quel serait son sort, tant je craignais qu’il ne fût mal reçu du public ; ma peur était si forte que j’en avais la fièvre. J’allai me renfermer dans ma chambre, et j’étais là, priant Dieu pour le succès de «ma» famille royale, quand mon frère et une foule d’amis vinrent me dire que j’obtenais le suffrage général.
Après le salon, le roi ayant fait apporter ce tableau à Versailles, (…) eut la bonté de causer longtemps avec moi, de me dire qu’il était fort content ; puis il ajouta, en regardant encore mon ouvrage : «Je ne me connais pas en peinture ; mais vous me la faites aimer.»
Mon tableau fut placé dans une des salles du château de Versailles, et la reine passait devant en allant et en revenant de la messe. À la mort de monsieur le dauphin (au commencement de 1789), cette vue ranimait si vivement le souvenir de la perte cruelle qu’elle venait de faire, qu’elle ne pouvait plus traverser cette salle sans verser des larmes ; elle dit à M. d’Angevilliers de faire enlever ce tableau ; mais avec sa grâce habituelle, elle eut soin de m’en instruire aussitôt, en me faisant savoir le motif de ce déplacement. C’est à la sensibilité de la reine que j’ai dû la conservation de mon tableau ; car les poissardes et les bandits qui vinrent peu de temps après chercher Leurs Majestés à Versailles, l’auraient infailliblement lacéré, ainsi qu’ils firent du lit de la reine, qui a été percé de part en part ! » (2) - (Souvenirs, Livre 1, Lettre V).
Contrepoint
L’admiration de Madame Vigée Le Brun envers la reine apparaît clairement dans ses Souvenirs, écrits près de cinquante ans plus tard.
Le jugement de l’impératrice d’Autriche, Marie-Thérèse, mère de Marie-Antoinette, celui de son ambassadeur à Versailles, Mercy-Argenteau, sont en revanche particulièrement sévères pour la reine. Ils connaissent ses défauts : la frivolité, l’insouciance, la passion pour le jeu, les diamants, les fêtes, son peu de goût pour la lecture…Ils s’évertueront à lui faire son éducation politique (dans l’intérêt bien compris des Habsbourg). Ils lui prodigueront d’une façon réitérée des conseils pour la mettre en garde contre les intrigues nombreuses à la Cour de France. Et surtout, ils l’exhorteront à mener une véritable vie conjugale avec le roi, certes faible, longtemps impuissant et aux goûts orientés vers la chasse et les ouvrages mécaniques. Le premier enfant du couple royal naîtra en décembre 1778, soit 8 années après leur mariage.
Dans ses courriers, Marie-Thérèse exprime souvent de sombres pressentiments notamment dans la conclusion de sa lettre du 2 juin 1775 : « Pardonnez ce sermon, mais je vous avoue, ce lit à part, ces courses avec le comte d’Artois ont mis d’autant plus de chagrin dans mon âme que j’en connais les conséquences et ne saurais vous les présenter trop vivement pour vous sauver de l’abîme où vous vous précipitez. Attribuez à ma tendresse ces alarmes, mais ne les croyez pas superflues.» (1) Elle mourra en 1780 bien avant la survenance des évènements tragiques.
Des changements importants dans le comportement de la reine ne se produiront véritablement qu’aux lendemains des journées d’octobre 1789. Elle déploiera alors une intense activité politique, souvent secrète, avec Mirabeau puis Barnave, et avec les souverains européens, sans pouvoir arrêter le cours des évènements révolutionnaires.
Références bibliographiques :
1. Correspondance de Marie-Antoinette (1770-1793), établie, présentée et annotée par Evelyne Lever, Paris 2005, 911 p
2. Élisabeth Louise Vigée Le Brun, Souvenirs 1755-1842 (Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux), texte établi, présenté et annoté par Geneviève Haroche-Bouzinac, Paris, Honoré Champion Éditeur, Paris, 2008, 852 pp.
3. Geneviève Haroche-Bouzinac, Louise Élisabeth Vigée Le Brun, histoire d’un regard, éditions Flammarion, collection « Grandes Biographies », 688 pp., 27 €.
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Prochain article : Trois portraits de Madame Du Barry
Articles déjà parus :
- Une vie d’artiste au féminin (compte-rendu de la biographie de Geneviève Haroche-Bouzinac).
http://louveciennestribune.typepad.com/media/2012/05/une-vie-dartiste-au-féminin.html
- La reconnaissance d’un talent
http://louveciennestribune.typepad.com/media/2012/07/la-reconnaissance-dun-talent.html