Louise Elisabeth Vigée Le Brun (1755-1842), une vie d’artiste au féminin (3)
Louise Elisabeth Vigée Le Brun va réaliser trois portraits de Madame du Barry, l’ancienne favorite de Louis XV, interdite à la Cour depuis la mort de ce roi et qui vivait retirée dans son château de Louveciennes.
Les deux premiers portraits ont été faits à la demande du duc de Brissac, le nouvel ami de la comtesse, vraisemblablement à Paris, le dernier a été partiellement exécuté à Louveciennes, dans des conditions troublées et ne sera terminé que bien après la mort, tragique, du modèle.
Voici comment Madame Vigée Le Brun évoque dans ses Souvenirs sa rencontre avec Madame Du Barry : « C’est en 1786 que j’allai, pour la première fois, à Louveciennes, où j’avais promis de peindre Madame Dubarry, et j’étais extrêmement curieuse de voir cette favorite, dont j’avais si souvent entendu parler. Madame Dubarry pouvait avoir alors quarante-cinq ans environ. Elle était grande sans l’être trop ; elle avait de l’embonpoint ; la gorge un peu forte, mais fort belle. Son visage était encore charmant, ses traits réguliers et gracieux ; ses cheveux étaient cendrés et bouclés comme ceux d’un enfant ; son teint seulement commençait à se gâter. Elle me reçut avec beaucoup de grâces, et me parut avoir fort bon ton ; mais je lui trouvai plus de naturel dans l’esprit que dans les manières : outre que son regard était celui d’une coquette, car ses yeux allongés n’étaient jamais entièrement ouverts, sa prononciation avait quelque chose d’enfantin qui ne seyait plus à son âge. » (1) - Souvenirs – (Lettre X)
On aura noté une certaine incohérence dans les dates puisqu’il est vrai que si le premier séjour à Louveciennes de Madame Le Brun date de 1786, sa première rencontre avec la comtesse était antérieure.
Dans le premier portrait, Madame du Barry apparaît en buste, légèrement de trois-quart, et avec un chapeau de paille. Elle est vêtue d’un déshabillé blanc.
1781
Huile sur panneau
69,2 x 51,4 cm
Philadelphia Museum of Art
Le portrait donnera lieu à une réplique autographe et à plusieurs miniatures.
Dans le second portrait, Madame du Barry est vêtue d’une robe en satin blanc, garnie de perles aux manches. A la main elle tient une couronne de fleurs, l’un de ses bras est appuyé sur un piédestal. Sa coiffure s’orne de d’une couronne de fleurs et de plumes d'autruche.
Portrait de Madame du Barry
1782
Huile sur toile
45 ¼ x 35 ¼ inches
Corcoran Gallery of Art, Washington, DC
Il ne faut pas être grand expert pour voir que ce tableau a été massacré. Comme l’écrit Madame Vigée Le Brun :
« J’ai fait ce tableau avec le plus grand soin ; (…) je l’ai revu dernièrement. Le vieux général à qui il appartient a sans doute fait barbouiller la tête, car ce n’est point celle que j’ai faite ; celle-ci a du rouge jusqu’aux yeux, et madame Dubarry n’en mettait jamais. Je renie donc cette tête qui n’est point de moi ; tout le reste du tableau est intact et bien conservé. Il vient d’être vendu à la mort de ce général. » (1) – Souvenirs – (Lettre X).
Il reste aujourd’hui à espérer qu’avec les techniques modernes, on pourra restaurer ce portrait.
Le troisième portrait, « je l’ai commencé vers le milieu de septembre 1789. De Louveciennes, nous entendions des canonnades à l’infini, et je me rappelle que la pauvre femme me disait : «Si Louis XV vivait, sûrement tout cela n’aurait pas été ainsi.» J’avais peint la tête et tracé la taille et les bras, lorsque je fus obligée de faire une course à Paris ; j’espérais pouvoir retourner à Louveciennes pour finir mon ouvrage ; mais on venait d’assassiner Berthier et Foulon. Mon effroi était porté au comble, et je ne songeais plus qu’à quitter la France ; je laissai donc ce tableau à moitié terminé. Je ne sais pas par quel hasard M. le comte Louis de Narbonne s’en trouva possesseur pendant mon absence ; à mon retour en France, il me l’a rendu, et je viens de le terminer. » (1) – Souvenirs - (Lettre X). Il a en effet été achevé en 1814, soit 25 ans plus tard.
1789
Huile sur toile
Collection privée
************************************************
Echos de ce premier séjour à Louveciennes
« Elle (Madame du Barry) m’établit dans un corps de logis, situé derrière la machine de Marly, dont le bruit lamentable m’ennuyait fort. Dessous mon appartement, se trouvait une galerie fort peu soignée, dans laquelle étaient placés, sans ordre, des bustes, des vases, des colonnes, des marbres les plus rares et une quantité d’autres objets précieux ; en sorte qu’on aurait pu se croire chez la maîtresse de plusieurs souverains, qui tous l’avaient enrichie de leurs dons. Ces restes de magnificence contrastaient avec la simplicité qu’avait adoptée la maîtresse de la maison, et dans sa toilette, et dans sa façon de vivre.
L’été comme l’hiver, madame Dubarry ne portait plus que des robes-peignoirs de percale ou de mousseline blanche, et tous les jours, quelque temps qu’il fît, elle se promenait dans son parc ou dehors, sans qu’il en résultât aucun inconvénient pour elle, tant le séjour de la campagne avait rendu sa santé robuste. Elle n’avait conservé aucune relation avec la nombreuse cour qui pendant longtemps l’avait entourée.(…) »
Le peintre note également dans ses Souvenirs le nombre restreint de visiteurs de Madame du Barry.
« Les soirs, nous étions le plus souvent seules, au coin du feu, madame Dubarry et moi. Elle me parlait quelquefois de Louis XV et de sa cour, toujours avec le plus grand respect pour l’un et les plus grands ménagements pour l’autre. Mais elle évitait tous détails ; il était même évident qu’elle préférait s’abstenir de ce sujet d’entretien, en sorte qu’habituellement sa conversation était assez nulle. Au reste, elle se montrait aussi bonne femme par ses paroles que par ses actions, et elle faisait beaucoup de bien à Louveciennes, où tous les pauvres étaient secourus par elle. (…) Tous les jours, après dîner, nous allions prendre le café dans ce pavillon, si renommé pour le goût et la richesse de ses ornements. La première fois que madame Dubarry me le fit voir, elle me dit : « C’est dans cette salle que Louis XV me faisait l’honneur de venir dîner. Il y avait au-dessus une tribune pour les musiciens qui chantaient pendant le repas.» Le salon était ravissant : outre qu’on y jouit de la plus belle vue du monde, les cheminées, les portes, tout était du travail le plus précieux ; les serrures même pouvaient être admirées comme des chefs-d’œuvre d’orfèvrerie, et les meubles étaient d’une richesse, d’une élégance au-dessus de toute description.
Ce n’était plus Louis XV alors qui s’étendait sur ces magnifiques canapés, c’était le duc de Brissac, et nous l’y laissions souvent, parce qu’il aimait à faire sa sieste. Le duc de Brissac vivait comme établi à Louveciennes ; mais rien, dans ses manières et dans celles de madame Dubarry, ne pouvait laisser soupçonner qu’il fût plus que l’ami de la maîtresse du château. Toutefois il était aisé de voir qu’un tendre attachement unissait ces deux personnes (…) ». (1) – Souvenirs – (Lettre X).
Leur fin fut tragique. Le duc de Brissac arrêté et massacré, Madame du Barry guillotinée.
Lors de son retour en France en 1802, après son exil, Madame Vigée Lebrun découvre le domaine de Madame du Barry dans un triste état après la tourmente révolutionnaire.
« En allant à Louveciennes, je m’étais empressée d’aller visiter le pavillon que j’avais vu au mois de septembre 1789 dans toute sa beauté. Il était entièrement démeublé, et tout ce qui l’ornait du temps de madame Du Barry avait disparu. Non-seulement les statues, les bustes étaient enlevés, mais aussi les bronzes des cheminées, les serrures travaillées comme de l’orfèvrerie; enfin, la révolution avait passé là comme partout. Toutefois, il restait encore les quatre murs, tandis qu’à Marly, Sceaux, Belle-Vue, et tant d’autres endroits, il ne reste que la place. » (2) - (Souvenirs)
Et en bonus, on présentera ici un tableau d’une « Fête donnée à Louveciennes le 2 septembre 1771 » (à une époque où le roi Louis XV régnait encore et la favorite, Madame du Barry était bien en Cour. Le roi allait mourir en 1774). Le tableau est de Jean-Michel Moreau dit le Jeune (1741-1814) et figure dans les collections du musée du Louvre.
Références bibliographiques :
1. Élisabeth Louise Vigée Le Brun, Souvenirs 1755-1842 (Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux), texte établi, présenté et annoté par Geneviève Haroche-Bouzinac, Paris, Honoré Champion Éditeur, Paris, 2008, 852 pp.
2. Geneviève Haroche-Bouzinac, Louise Élisabeth Vigée Le Brun, histoire d’un regard, éditions Flammarion, collection « Grandes Biographies », 688 pp., 27 €.
***********************************************
Prochain article : La fuite
Articles déjà parus :
- Une vie d’artiste au féminin (compte-rendu de la biographie de Geneviève Haroche-Bouzinac).
http://louveciennestribune.typepad.com/media/2012/05/une-vie-dartiste-au-féminin.html
- La reconnaissance d’un talent
http://louveciennestribune.typepad.com/media/2012/07/la-reconnaissance-dun-talent.html
- La portraitiste de la reine http://louveciennestribune.typepad.com/media/2012/08/la-portraitiste-de-la-reine.html
Commentaires