… Le dénombrement de 1793 dit de l’an II
Le Cercle Généalogique et Historique de Louveciennes (CGHL) s’est lancé dans un vaste travail d’étude des dénombrements réalisés dans notre village au cours des XVIIIe, XIXe et XXe siècles. Au cours de ces trois siècles, la population de Louveciennes est passée d’environ 200 habitants à 7400. C’est principalement la construction des lotissements au cours du XXe siècle qui a fait décoller le nombre de résidents.
Actuellement, le CGHL a étudié les recensements de 1793, 1817, 1851, 1872 et de 1896. Les résultats de cette étude ont été retranscrits en détail dans le bulletin 2012 du CGHL L’étude a été réalisée par Christiane Fortin, Annick et Jean-Marie Saunier, Annette et Guy Thirion et Georges de La Taille.
Cette très intéressante étude fera l’objet d’une série d’articles dans La Tribune de Louveciennes, le premier rédigé par Guy Thirion est consacré au dénombrement de 1793.
Louveciennes au XVIIIème siècle
Plan de Louveciennes vers 1760
Sur le plan qui date du milieu du XVIIIème, on reconnaît les principales grandes voies de notre commune à partir de l’église : l’actuelle rue Maréchal Joffre vers la route de Versailles ; la rue du Général Leclerc qui traverse le village d’Est en Ouest ; les rues de la Croix Rouge et de la Princesse vers Bougival. L’actuelle Route de Versailles à Saint-Germain sera tracée quelques années plus tard (cadastre de Berthier de Sauvigny de 1786). Notez les orthographes.
Avant 1793, des comptages avaient déjà été réalisés pour dénombrer les feux (foyers) dans un but fiscal, plus précisément afin de répartir la taille et la gabelle en fonction des « facultés » de chacun. À partir de ces comptages, le CGHL a estimé le nombre d’habitants à Louveciennes sur la base de quatre personnes par foyer (1). On constate ainsi que le village est passé de 188 à 948 habitants au cours du XVIIIe siècle (voir graphique ci-après).
Nous n’avons pas d’explication sur l’évolution de 1709 à 1713, ni sur celle de 1788 à 1790.
Pourquoi le dénombrement de 1793 ?
Durant la Révolution française, à l’Assemblée législative et à la Convention, les sièges de députés étaient répartis sur la base du territoire, de la contribution directe et de la population, initialement la population dite « active » (on verra au paragraphe ci-après les critères pour être un citoyen actif). La Constitution de l’an I avait établi le scrutin uninominal pour l’élection des députés à raison d’un député par circonscription de 39 000 à 41 000 habitants. Il était donc nécessaire de déterminer au préalable les collèges électoraux par un dénombrement.
Informations demandées par l’Assemblée constituante pour ce dénombrement
Les tableaux servant au dénombrement comportaient les colonnes suivantes : le nombre de ménages, les noms de baptême (en fait le prénom), le nom de famille (patronyme), le lieu de naissance, l’âge des « masles », la qualité (arts, métiers, professions), le nombre d’années écoulées depuis l’arrivée dans la commune, le lieu de résidence précédent (avant d’arriver à Louveciennes), la désignation (actif (2), éligible (3), non-actif), le total des individus du ménage et enfin une colonne observation (cette colonne indique le nombre d’absents au sein du ménage, mais ne donne aucune information comme l’âge par exemple). Le décret du 20 août 1793 demandait de prendre en compte dans le dénombrement les absents, parmi lesquels figuraient ceux partis aux armées. Il n’est pas sûr que les absents aux armées étaient toujours vivants dans la mesure où les familles n’avaient pas toujours de nouvelles.
Que retire-t-on de ce dénombrement ?
Nombre de ménages, d’hommes et de femmes
Le dénombrement permet de trouver 228 ménages composés de 503 hommes (dont 50 absents) et de 486 femmes (dont 28 sans mari et 15 absentes), soit 989 personnes pour Louveciennes.
À la fin du dénombrement, il est précisé qu’il existe, en plus des personnes recensées, 22 ménages à la Grille royale et au Cœur volant sans autre précision. Pour prendre en compte ces ménages afin de calculer le nombre total d’habitants, il est nécessaire d’estimer le nombre moyen de personnes par ménage en éliminant les ménages particuliers de Mr Magallon de La Morlière, de Mme du Barry et de la pension. Sans rentrer dans le détail du calcul ici, on obtient ainsi un total de 1076 pour l’ensemble (Louveciennes + Grille Royale + Cœur volant).
Le dénombrement indique par ailleurs qu’il existe sept à huit maisons bourgeoises qui ne sont occupées qu’à la belle saison sans autres précisions ; elles ne sont donc pas prises en considération pour le calcul du nombre total de résidents.
Les analyses suivantes ont été faites par rapport à la population de 989 habitants et plus particulièrement par rapport aux 503 hommes dans la mesure où le dénombrement donne très peu de renseignements sur les femmes et aucun sur les habitants de la Grille royale et du Cœur volant.
Répartition des âges (hommes)
En faisant l’analyse de l’âge des hommes, puisque l’âge des femmes n’est pas donné, on obtient la courbe des âges ci-après.
La population d’hommes est très jeune puisque l’âge médian est de 28 ans. Par comparaison, l’âge médian en France est estimé en 2012 à 38 ans. Huit hommes ont plus de 70 ans, dont le doyen est âgé de 85 ans.
Répartition des professions
Le dénombrement fait apparaître 68 professions différentes. Parmi celles-ci, il en ressort principalement deux : les vignerons (26 %) et les journaliers (18 %). À eux seuls, ils représentent 44 % des hommes ayant une profession.
Viennent ensuite dans l’ordre décroissant en nombre : les jardiniers, les domestiques et les charpentiers. Ces derniers étaient nécessaires pour le fonctionnement de la machine de Marly. On trouve aussi en moindre importance des forgerons, des serruriers et des fontainiers nécessaires aussi au bon fonctionnement de la machine.
Quelques remarques :
Jean Simon Leduc qui est le deuxième maire de la commune n’a pas cette fonction dans le dénombrement, mais celle de vigneron.
On constate qu’il y a un chirurgien, mais pas de médecin. À l’époque, il fallait aller voir le médecin à Bougival. Pour la petite histoire, le chirurgien est l’égal du médecin depuis 1743. Jusqu’au XVIIe siècle, le chirurgien était aussi un barbier. De même, le dénombrement ne fait pas apparaître d’apothicaire ou de pharmacien à Louveciennes. On peut supposer que les quatre épiciers recensés avaient ce rôle du fait qu’avant 1777, date à laquelle la profession de pharmacien apparaît, l’apothicaire et l’épicier faisaient partie de la même corporation.
Il y a un maître de pension avec, dans le pensionnat, 10 garçons âgés de 6 à 14 ans. Ces élèves ont un instituteur, Denis Chasot, à ne pas confondre avec le maître de l’école au village, Nicolas Blaise Jorre.
Enfin on notera que le dénombrement mentionne trois « mandiants ».
Répartition des hommes « actifs », « éligibles » et « non-actifs »
168 hommes sont actifs sur les 503 dont 64 sont éligibles à l’assemblée primaire. Les 335 autres étant bien sûr non-actifs. Rappelons que les termes « actifs » et « non-actifs » n’ont pas de rapport avec notre classification actuelle.
L’examen du dénombrement montre que les vignerons avaient à l’époque un poids important puisque :
- Sur les 168 actifs, 54 sont des vignerons, soit 32 % alors qu’ils représentent 26 % des hommes ayant une profession. On peut noter que les journaliers viennent en deuxième position avec 32 personnes soit 19 %, ce qui correspond quasiment à leur pourcentage (18 %) parmi les hommes travaillant ;
- Sur les 64 éligibles, 37 sont vignerons soient 58 % des éligibles. Par rapport à la corporation des vignerons, 45 % d’entre eux sont éligibles.
Quelques personnages illustres recensés en 1793
Madame du Barry
Madame du Barry (1743-1793) est recensée sous le nom de Marie Jeanne de Vaubernier du Barry. Elle avait à sa disposition 70 personnes se répartissant dans les professions suivantes : pâtissier, horloger, chef de cuisine, cuisinier, garçon de cuisine, palefrenier, homme de charge, jardinier, chef d’office, chef d’écurie, concierge, domestique, menuisier, valet de chambre, laquais, suisse, blanchisseuse, postillon, cocher et frotteur.
MadBarresParmParmiParmi Parmi les noms cités dans le dénombrement,
cinq personnages sont à signaler. Tout d’abord deux traitres qui participeront
à la perte de Madame du Barry : Louis Benoît Zamor (bourgeois natif du
« Bingal ») et François Salanave (chef d’office). Figurent également trois
personnes qui essaieront de protéger Madame du Barry : Louis Morin (valet)
ainsi que Pierre (frotteur) et Hippoline Délian.
Madame du
Barry avait rencontré Louis XV en 1768, année de la mort de la reine Marie
Leszczynska. Elle est détestée du duc de Choiseul, mais s’était attachée l’amitié de
Talleyrand et de Madame Vigée-Lebrun qui fera plusieurs portraits d’elle. Le roi lui
prête la propriété de Louveciennes où avait résidé Arnold de Ville, maître
d’oeuvre de la machine de Marly. Elle transforme la maison et fait construire
le Pavillon de musique dans le parc. Après la mort de Louis XV (1774) et une
courte période de disgrâce, Madame du Barry s’installe définitivement à Louveciennes en
1776. Elle a 33 ans. En 1793, pendant la Terreur, elle est suspectée de trahison, puis arrêtée
et guillotinée le 8 décembre 1793.
Monsieur de La Morlière (1707 -1799)
Monsieur Pierre Alexis Magallon de La
Morlière avait moins de personnel que Madame du Barry puisqu’il ne disposait
que de 17 personnes dans les professions suivantes : capitaine, aide de
camp, abbé, valet de chambre, femme de chambre, cuisinière, domestique et
jardinier.
Dans les tableaux du dénombrement, Monsieur de La Morlière a le grade de lieutenant général, grade obtenu le 25 juillet 1762. Il a vécu au château de Louveciennes de 1765 à 1795.
Monsieur de La Morllère s’était distingué par ses états militaires, notamment par l’enlèvement, en 1755, de Mandrin, chef de bandes armées dans le Dauphiné. En 1792, il s’était vu confier le commandement de l’Armée du Rhin. Il décède en 1799 à Versailles où il s’était vraisemblablement installé.
Guy Thirion
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(1) À ne pas confondre avec le nombre total d’enfants d’une famille. Un calcul fait avec le dénombrement de 1793 de Louveciennes donne 3,94 personnes par ménage au moment du dénombrement.
(2) En 1791 pour être actif, il fallait être un homme d’au moins 25 ans et payer un impôt égal à trois journées de travail soient 4,50 F. Il ne fallait pas être domestique. Les autres individus qui ne rentraient pas dans cette catégorie étaient non-actifs. Les actifs pouvaient dans chaque district se réunir en assemblées primaires pour désigner des électeurs éligibles qui éliraient les députés pour les représenter à l’Assemblée législative.
(3) Pour être éligible dans les assemblées primaires, il fallait payer une contribution de dix journées de travail.
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Une courte présentation du Cercle Généalogique et Historique de Louveciennes
Le Cercle Généalogique et Historique de Louveciennes (CGHL) est une association loi 1901 qui a été créée en 2001. Son objet est d’une part d’aider les adhérents dans la recherche de leurs ancêtres et d’autre part d’effectuer ou de participer à des recherches historiques sur Louveciennes et les communes avoisinantes.
Le CGHL compte actuellement 33 adhérents. Le conseil d’administration est composé de 10 membres, le président étant Georges de La Taille.
L’adresse :
Mairie de Louveciennes
30, rue du Général Leclerc
78430 Louveciennes
Site : www.cghlouveciennes.fr
Contact : [email protected]
Merci de cet article très intéressant. Quelle est la source précise de cette jolie carte de Louveciennes vers 1760.
Rédigé par : Pascal | 03 février 2013 à 18:49
Réponse à la demande concernant la source précise de la jolie carte de Louveciennes vers 1760.
La carte est disponible sur le site des Archives départementales des Yvelines http://archives.yvelines.fr/. Il faut aller sur la page "archives en ligne" du site, puis faire une recherche par commune en utilisant Marly le Roi (et non Louveciennes). Ensuite, il faut aller sur la ligne "Cartes et plans". Après avoir cliqué sur "27 résultats pour cette recherche", la carte entière est disponible à la cote A107.
Bonne journée
Rédigé par : Guy THIRION | 04 février 2013 à 12:59
BEAU TRAVAIL OU L'ON VOIT QUE LES REVOLUTIONNAIRES ETAIENT D'AFFREU MACHISTES LA FEMME NE CMPTE PAS NI COMME ELECTEUR, ENCORE MOINS COMME CANDIDATE SUR CE DERNIER POINT CA N'A PAS BEAUCOUP CHANGE!!
ET OU SONT PASSES LES ENFANTS ????
Rédigé par : virginie | 05 février 2013 à 09:59
Pour les calculs du nombre de personnes (hommes et femmes) et de l'âge des hommes, il faut prendre les termes hommes et femmes au sens large, donc enfants compris. Pour l'étude des professions, actifs, éligibles, et non actifs, seuls les hommes à partir de 16 ans ont été pris en considération. Pour information, dans la population masculine, il y a 131 enfants de moins de 16 ans. Pour la population féminine, on ne le sait pas puisque les âges ne sont pas indiqués.
Rédigé par : Guy THIRION | 05 février 2013 à 21:24
le nombre de vignerons est impressionnant mais sait-on quelque chos e de leur vin, quantité, qualité. le vin de Louveciennes allait-il sur les tables des aristocrates ou des grands bourgeois ou était-ce une affreuse piquette ?
Rédigé par : Bmc | 07 février 2013 à 14:28
Le dénombrement de 1793 ne répond pas bien sûr à ces questions. Le livre « Louveciennes, mon village » de Jacques et Monique Laÿ indique que le vin produit sur les terres de Louveciennes était d’excellente qualité. Il était couramment servi sur la table royale à Poissy ; le roi Louis IX l’appréciait. L’étude de Christian Jamet de 1950 sur Louveciennes indique qu’en 1877, les vignerons de Louveciennes produisaient 1600 hl (pour 15 ha), ce qui représente environ 213000 bouteilles de 75 cl. Au début du XXe siècle, la production était tombée à 300 hl (pour 6 ha). Le phylloxéra en était la cause. Les vignes de Louveciennes finiront par disparaître. Elles réapparaitront pendant la deuxième guerre mondiale sur une petite surface (inférieure à 0,5 ha).
Rédigé par : Guy THIRION | 07 février 2013 à 22:36
Ce qu’il y a de très intéressant dans cette étude, c’est qu’elle permet d’ouvrir de nombreuses portes à un féru d’histoire. Jene connaissais pas ce Monsieur de la Morlière En poursuivant mes recherches sur Wikepedia, j’ai eu une idée précise de la longue carriere de ce militaire, sa longévité est étonnante et surtout le fait pour un aristocrate de passer entre les gouttes de la révolution, il commandait même l'armee du Rhin en 1792 !
Rédigé par : Jacques | 14 février 2013 à 18:38