Au cours de la séance du conseil municipal du 20 juin 2013, le maire de Louveciennes, André Vanhollebeke, a soumis au vote « un vœu » dénonçant le volet parisien de la loi de décentralisation actuellement soumise au Parlement. Il s’agit pour le maire d’ « une délibération un peu particulière qui touche indirectement la commune car elle remet en cause la compétence du maire en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire » qui serait transférée au niveau de la Métropole de Paris. Sans surprise, Pascal Leprêtre, au nom de « Louveciennes Ensemble » (PS), est longuement intervenu pour contester avec vigueur la teneur de ce vœu. Au final, « le vœu » a été adopté par les conseillers municipaux (à l’exception des deux élus PS), les élus du groupe d’opposition de droite « Osons » ont ajouté à cette occasion leurs suffrages à ceux de la majorité municipale.
La genèse du projet gouvernemental
Une des grandes ambitions du gouvernement Ayrault était de mettre en œuvre l’acte III de la décentralisation (avec le même succès que Gaston Defferre, auteur de la grande réforme de 1982).
Tout le monde est d’accord pour réformer l’organisation actuelle constituée d’une multiplication de structures aux compétences enchevêtrées et qui engendre un gaspillage de ressources insupportable - cf notre article du 11 janvier 2013 Les délices du millefeuille en Ile-de-France
Après
d’interminables concertations avec les élus – méthode préférée du locataire de
l’Elysée (1) – , Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de
l'Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique transmettait en février dernier un
projet de loi au Conseil d’Etat comportant 175 pages et plus de 120 articles.
On était loin du « choc de simplification », il s’agissait d’une
série d’adaptations plutôt que d’un grand coup de sabre porté dans le
millefeuille territorial.
Devant ce pavé législatif, et la grogne des élus et de leurs associations, Jean-Marc Ayrault, a préféré, prudemment, découper l’ensemble en trois projets de loi qui ont été présentés en Conseil des ministres le 10 avril. Plus que de décentralisation, il s’agit pour le gouvernement de modernisation de l’action publique, et de simplification de l’organisation des collectivités territoriales. Avec pour objectif affiché d’améliorer l’efficacité de l’action publique, qui sera ainsi moins coûteuse. Il n’était cependant pas question d’éliminer un ou des échelons dans le « millefeuille » territorial français.
Le premier projet de loi qui porte sur la «modernisation de l'action publique et d'affirmation des métropoles» a été soumis, en mai/juin au Sénat, qui l’a dépecé de son volet parisien (une majorité de circonstance UMP PC a voté contre).
Dans sa version initiale, le projet de loi créait un établissement public baptisé Métropole de Paris à l'échelle de la « zone dense » de l'Ile-de-France, doté de pouvoir pour encourager les maires à construire davantage, à harmoniser leurs efforts pour l'hébergement d'urgence et pour relever le défi de la transition énergétique dans le secteur du bâtiment.
Sur un périmètre très large, qui concentre 90 % des logements et concerne 10 des 12 millions d'habitants de la région, le texte rendait obligatoire la création de grandes intercommunalités de 300 000 habitants en petite couronne avant 2016, intercommunalités ayant vocation à mettre en oeuvre des plans locaux d'urbanisme qui deviendraient obligatoires.
Selon le maire, des menaces sur les communes
Dans ce contexte, le maire de Louveciennes, André Vanhollebeke, tenait à faire connaître l’opposition de sa municipalité au projet de loi du gouvernement, et ceci sous la forme d’un vœu.
Dans son exposé, le maire estime que le projet de loi impose la mise en place de structures intercommunales (EPCI) sur des bases arithmétiques : 300 000 habitants pour la Petite couronne, 200 000 habitants pour la Grande couronne, « ce. qui éloigne encore le pouvoir du citoyen ».On rappellera que Louveciennes vient d’adhérer à la communauté des communes « Saint Germain, Seine et Forêts » qui ne comporte qu’un peu plus de 100 000 habitants.
Le deuxième motif d’insatisfaction du maire est que l’on crée une nouvelle strate administrative, la Métropole de Paris, « strate supplémentaire qui ne va pas fonctionner avec une demi-secrétaire (…), ce sont les communes qui vont payer ». La Métropole de Paris devra disposer d'une structure administrative dont le fonctionnement sera alimenté par des prélèvements sur les collectivités membres, à savoir les communes qui devront contribuer à son financement au moment ou la diminution de 4 et 5 milliards d'euros de dotations aux collectivités locales décidées par l'État les places dans une situation financière difficile.
Fait le plus grave, aux yeux d’André Vanhollebeke, c’est que le texte donne à la nouvelle Métropole de Paris des compétences dans le domaine de l'urbanisme dessaisissant de fait les maires de cette compétence importante qu'il met en oeuvre pour préserver l'identité de leurs villes et organiser les espaces de vie. Il convient également de noter que la Métropole de Paris sera administrée par un conseil dans lequel ne siégeront que le maire de Paris et les présidents des EPCI, les maires des communes de la métropole n'étant pas représentés à cette instance.
Il propose en conséquence de mettre au vote une délibération écrite en ces termes :
« Ce projet de loi constituant une véritable menace pour les communes et pour l'avenir de notre ville, il est proposé au conseil municipal :
- de dénoncer le manque de concertation qui a prévalu dans l'élaboration du projet de loi de décentralisation présenté par le gouvernement,
- de dénoncer les atteintes portées à l'autonomie des communes de compétence des maires,
et par conséquent
- de demander au gouvernement de le retrait de cette réforme et l'organisation d'une concertation préalable des communes pour mettre à plat, le projet de loi de décentralisation dans son ensemble. »
L’opposition socialiste critique le maire
Pascal Leprêtre a rappelé tout d’abord qu’en avril 2010 les élus de son groupe avaient proposé un vœu de même nature dénonçant le projet de réforme des collectivités territoriales initié à l’époque par Nicolas Sarkozy, « très critiquable car faisant peser des risques sur des communes comme Louveciennes ». S’appuyant sur la retranscription filmée, le conseiller indique que le maire lui a ainsi répondu : « Je ne souhaite pas donner suite à votre demande car je veux que l’activité du conseil municipal de Louveciennes soit consacrée aux affaires de Louveciennes, et cette demande en est très éloignée. Il existe une circulaire du Ministère de l’Intérieur qui autorise le Maire à s’opposer aux questions qui ne sont pas strictement communales, et concernent d’autres collectivités territoriales ».
Après avoir marqué un point, Pascal Leprêtre poursuit d’une manière plus polémique en disant notamment au maire que «vous faites ce soir le contraire de ce que vous avez affirmé il y a 3 ans ! De deux choses l’une, soit vous n’étiez pas sincère dans votre réponse de 2010, soit vos convictions sur votre rôle et votre fonction de maire sont tellement faibles qu’elles changent au gré des alternances politiques de notre pays. (…) Vous êtes capable de dire tout et son contraire d’un conseil municipal à l’autre. »
Ce passage entraîne ce qu’on appelle des « mouvements divers » de la part de la majorité de l’assemblée. Le maire reprend la parole pour dire « que cela dérive ». Pour lui, s’il n’a pas accepté la délibération d’un vœu en 2010, c’est que celui-ci « avait un caractère particulièrement général. Aujourd’hui, il s’agit directement de Louveciennes, on veut retirer aux maires et donc aux conseils les droits sur les règles d’urbanisme. Pour Louveciennes, c’est redoutable. C’est ce qui me choque, je trouve cela inadmissible. De plus, les règles d’urbanismes, c’est le pouvoir socialiste qui les a données aux maires, c’est la réforme Deferre, quand on parle de reniement, j’aimerais savoir où est le reniement ».
Pascal Leprêtre a repris le fil de sa déclaration pour se lancer dans une démonstration visant à décrédibiliser le vœu en disant - pour l’essentiel - qu’il n’avait plus lieu d’être puisque le Sénat avait supprimé les dispositions contestées. « Vous proposez de vous exprimer sur un texte qui n’existe plus » Le conseiller d’opposition était sur ce point moins convaincant puisqu’on sait que le gouvernement va soumettre un texte à l’Assemblée nationale, pour un examen prévu à partir du 15 juillet. Deux possibilités s’offre au gouvernement : reprendre le scénario initial du texte et obtenir son vote à l'Assemblée nationale (qui en tout état de cause aura le dernier mot), ou profiter du dépeçage du Sénat pour totalement réécrire sa copie.
Là où la longue déclaration de Pascal Leprêtre retrouve de sa pertinence, c’est lorsqu’il appelle de ses vœux « une réforme institutionnelle d’envergure pour enfin arriver à un Grand Paris ambitieux dans lequel notre commune a tout à y gagner.
(…) Le projet de Grand Paris est indispensable pour donner enfin au fait métropolitain parisien l’outil institutionnel qui lui manque et tenter de se rapprocher de l’organisation des autres capitales européennes. Au sein de l’aire urbaine parisienne les déséquilibres s’accroissent que ce soit au niveau du logement, des transports, des déficits des services publics, de l’urbanisme ou du développement durable. Ces problèmes ne peuvent être résolus qu’à l’échelle de la métropole. Or cette métropole existe déjà géographiquement et démographiquement mais elle est défaillante au niveau de la gouvernance. Il faut aujourd’hui imaginer une organisation institutionnelle nouvelle où l’intérêt général primerait sur les conservatismes locaux. Les transports doivent être pensés globalement, comme le logement, les services publics ou les politiques environnementales. »
Cette intervention, certes un peu longue, n’a pas reçu, c’est le moins qu’on puisse dire, une attention soutenue du conseil.
Des dissonances
Il est vrai que les choix seront faits à un autre niveau. Les grands partis sont divisés. Pour prendre l’exemple du PS, Claude Bartolone, ancien patron du conseil général de Seine-Saint-Denis et président de l'Assemblée nationale, et Bertrand Delanoë, maire de Paris, défendent une évolution a minima ; Jean-Paul Huchon, président PS de la région Ile-de-France ne veut pas voir naître une « collectivité concurrente ».; des élus
collectivité qui remplacerait les conseils généraux des quatre départements de la petite couronne. Et du côté de l’UMP, on constate également que les grands élus ne sont pas sur la même longueur d’onde.
Notre Ministre en charge de la Décentralisation, Marylise Lebranchu, n’est pas au bout de son chemin de croix. Malgré d’indéniables qualités, elle fait parfois penser dans cette affaire au maréchal Soubise, aux lendemains d’une défaite contre les armées prussiennes de Frédéric II, Soubise que la rue parisienne brocardait ainsi :
« Soubise dit, la lanterne à la main :
J'ai beau chercher, où diable est mon armée ?
Elle était là pourtant hier matin.
Me l'a-t-on prise ou l'aurais-je égarée ?
Prodige heureux ! La voilà, la voilà !
Ô ciel ! Que mon âme est ravie !
Mais non, qu'est-ce donc que cela ?
Ma foi, c'est l'armée ennemie. »
FK
(1) Selon un propos tenu par le socialiste Jean-Pierre Balligand, président de l'Institut de la décentralisation, et rapporté par le journal Le Monde : « François Hollande a géré le projet selon sa méthode habituelle : il reçoit et assure de son soutien chacun des protagonistes et puis, fouette cocher !, on verra bien ce qui se passera »
(2) Le second projet de loi concerne la «mobilisation des régions pour la croissance et l'emploiet (et) la promotion de l'égalité des territoires». Le troisième se consacre au «développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale"».