… Le recensement de 1872
Le Cercle Généalogique et Historique de Louveciennes (CGHL) a effectué un vaste travail d’étude des dénombrements réalisés dans notre village au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Après les articles consacrés successivement aux dénombrements de 1793, de 1817 et de 1851, Christiane Fortin et Annick Saunier nous présentent les résultats du recensement de 1872, opéré après des évènements aussi considérables que la guerre franco-prussienne 1870, la révolte puis l’écrasement de la Commune de Paris et l’instauration de la IIIème République.
***
Depuis le 4 septembre 1870, nous sommes sous la Troisième République. 1872. Adolphe Thiers est Président. Le village reprend vie petit à petit : les chemins vicinaux redeviennent praticables et les élus sont très vigilants quant à la remise en état de la commune.
Le conseil municipal réuni en séance extraordinaire le 24 mars 1872 décide de maintenir une troisième journée de prestation : « le produit de cette journée sera très utile pour augmenter les ressources de nos chemins qui ont beaucoup souffert pendant l’hiver surtout à raison des nombreux passages de cavalerie ». Le Maire annonce avec plaisir que, suite à des demandes faites par lui auprès de Monsieur le Préfet de Seine-et-Oise et de Monsieur Cochin, Magistrat, la commune de Louveciennes sera remboursée de la totalité des sommes payées par elle aux Allemands.
Si la guerre franco-prussienne n’a pas fait de victimes directes à Louveciennes, elle a fortement frappé la population en la soumettant à de lourdes réquisitions augmentant les souffrances dues à un hiver très rigoureux : famine, dette de guerre, journées d’ouvriers. Certains Louveciennois qui avaient fui l’occupant en allant à Paris – choix peu judicieux car la capitale fut assiégée du 19 septembre 1870 au 28 janvier 1871 – ou à l’étranger, notamment vers l’Angleterre, reviennent.
Le Maire est Gabriel Bigault de Boureuille depuis 1852. Il le restera jusqu’en 1892. La loi du 14 avril 1871, qui prévoit que les maires ne seront plus nommés par les préfets mais élus par le conseil municipal, lui-même élu au suffrage universel masculin, n’a pas interrompu son mandat.
Gabriel de Boureuille était sorti de l’Ecole Polytechnique. En 1840, il avait épousé Henriette Alexandrine Demanche, dont la famille était propriétaire du château du Pont où il réside.
Son mandat est marqué par de très nombreuses décisions entre autres : l’amélioration de la circulation, la construction d’une mairie et d’une école en 1864. Pour l’époque qui nous intéresse ici, nous retiendrons le transfert du cimetière qui se trouvait au centre (à l’emplacement de l’actuelle place des Combattants) aux Arches en novembre 1870. Et deux ans plus tard, le 17 novembre 1872, il fera prendre un arrêté municipal qui rendra plus sévères les règles d’inhumation.
Camille
Pissarro - Louveciennes, Route de
Saint-Germain, 1871, The J.Paul Getty Museum, Los Angeles
Rappel des évènements historiques
- 19 juillet 1870 : Déclaration de guerre à l’Allemagne par Napoléon III.
- 2 septembre 1870 : Napoléon III est fait prisonnier à Sedan. Paris en colère proclame la déchéance de Napoléon III et nomme un Gouvernement de Défense Nationale.
- 4 septembre 1870 : Gambetta proclame la IIIème République. Cependant, à Louveciennes ce même jour, le conseil municipal, debout, prête serment à l’Empereur : « Je jure obéissance à la constitution et fidélité à l’Empereur ».
- 19 septembre1870 - 28 janvier 1871 : siège de Paris.
- 28 janvier 1871 : Demande de l’armistice.
- 10 mars 1971 : L’assemblée choisit Versailles comme lieu de réunion et s’y installe le 20 mars.
- 18 mars 71 : Début de la Commune de Paris.
- 10 mai 1871 :Traité de Francfort: Perte de l’Alsace, Lorraine, Metz et paiement d’une indemnité de guerre.
- 1872 : Une loi maintient le tirage au sort parmi les conscrits. Les mauvais numéros écopent de 5 ans et 4 années supplémentaires de réserve. Les diplômés obtiennent un service volontaire d’un an, les soutiens de famille, les professeurs et les ecclésiastiques sont dispensés.
Photographie de la population
Le recensement de 1872 nous renseigne sur les lieux d’habitation dans la commune, les noms, prénoms, sexes, âges, professions et la position de chaque individu dans le ménage. La population est de 970 individus (pour 301 ménages) soit 30 % de plus qu’en 1851. La commune a connu une poussée démographique significative entre les années 1850 à 1860 (1).
A noter la présence non recensée d’un régiment de chasseurs et d’un régiment du génie, corps de troupe en garnison, soit 2021 individus ce qui porte à 3091 la population totale.
Sexe masculin |
Sexe féminin |
Total |
||
Garçons (célibataires) |
192 |
Filles (célibataires) |
236 |
428 |
Hommes mariés |
215 |
Femmes mariées |
231 |
446 |
Veufs |
20 |
Veuves |
76 |
96 |
Total |
427 |
Total |
543 |
970 |
La population féminine est sensiblement supérieure à la population masculine (56 %contre 44 %). La pyramide des âges montre que l’écart touche toutes les tranches, y compris pour les enfants de moins de 12 ans. Il est très significatif pour la tranche d’âge 22 – 50 ans (et au-delà de 50 ans) ; il l’est moins pour les 12 - 21 ans (2). Comme pour 1851, ceci peut s’expliquer par le départ des jeunes hommes âgés de 21 à 30 ans, mais aussi par la guerre, puis par une mortalité plus forte chez les hommes mûrs par la suite.
Sur 970 individus, 952 sont Français, 18 sont étrangers. On compte 10 Alsaciens et Lorrains qui ont dû quitter leur province annexée par l’Allemagne. A noter par ailleurs le recensement de six calvinistes.
Les naissances sont plus nombreuses d’une soixantaine d’individus par rapport au recensement précédent (1866).
Sur les 970 habitants de Louveciennes, 370 sont nés sur la commune (38 %). En réalité, une grande partie de ceux nés hors de Louveciennes viennent de communes proches et de Paris. Il s’agit surtout des nouveaux résidants des quartiers de l’Enclos de la machine, de Prunay et de la route de Versailles.
Les familles les plus représentées sont les Gaudet, Thuilleaux, Leduc, Grenet, Despois, Lecointe, Gagné, Gobinard, Bouteillier, déjà très présents un demi-siècle auparavant, mais aussi Leclerc, Navet, Richard, Lemoine, Poisson, Delafosse, Doleans,… On voit apparaître Louis Gircourt, quartier de la Briqueterie. Il ne vient pas de loin : il est né à La Celle-Saint-Cloud.
Répartition par quartier : la périphérie se peuple
Quartier, Village, Hameau |
Nbre d’individus |
% |
Louveciennes (centre) |
371 |
38 |
Voisins |
202 |
21 |
Montbuisson (3) |
126 |
13 |
Route de St Germain à Versailles et le Camp |
117 |
12 |
Enclos de la Machine |
57 |
6 |
Prunay (haut et bas) |
34 |
3,5 |
La Briquèterie |
34 |
3,5 |
Le Cœur Volant |
29 |
3 |
Total |
970 |
100 |
Camille Pissarro – Rue de village ou rue de Voisins, 1871, City Art Gallery Manchester
Instruction : 77% de la population de 20 à 80 ans sait lire et écrire.
L’instruction de la population est une préoccupation de la commune. Dans les comptes rendus des conseils municipaux apparaissent régulièrement des décisions sur la rémunération de l’instituteur et des subventions pour les enfants profitant de la gratuité scolaire (qui deviendra générale en1881).
Les enfants apprennent à lire à partir de 6 ans. Dans la tranche d’âge de 6 à 20 ans, 169 savent lire et écrire, 22 ne savent ni lire ni écrire, 17 savent seulement lire. Dans la population adulte 158 ne savent ni lire ni écrire contre 490 qui savent lire et écrire.
Les chevaux plus nombreux que les Louveciennois
Au Camp de Louveciennes, sont dénombrés 1750 animaux de race chevaline, soit 19 chevaux entiers (étalons),1721 chevaux hongres et 10 juments.
Parmi les animaux domestiques on en compte 4 de race asine, 21 de race bovine, 6 de race porcine, 14 de race caprine, 600 volailles et approximativement 97 chiens…
Les métiers
Nous avons regroupé les métiers qui figurent dans le registre du recensement en 5 grandes catégories. Sur les 970 habitants, 403 d’entre eux ont une profession déclarée. Les autres sont à la fois les épouses, les enfants et autres membres du foyer sans travail ainsi que les rentiers ou rentières (environ 60). Il est vraisemblable qu’il ne soit pas tenu compte du travail de toutes les femmes qui travaillent, notamment en agriculture ou dans le commerce.
L’activité se concentre dans Louveciennes (42 %), puis sur Voisins (15 %) et Montbuisson (15 %), et, dans une moindre mesure, sur la route de Versailles à Saint-Germain (10%).
Métiers en relation avec l’agriculture (cultivateurs, jardiniers, journaliers) |
141 |
Métiers de l’habillement (dont blanchisseuses et couturières) |
104 |
Artisans de l’équipement (privés et municipaux) |
70 |
Commerces de l’alimentation (dont épicier et marchands de vin) |
24 |
Services et fonctionnaires (dont les instituteurs, professeurs, et les domestiques |
64 |
Les jardiniers et cultivateurs occupent toujours la première place.
Ensuite, viennent les blanchisseuses (70) et les couturières (30), métiers tenus par des femmes, souvent des épouses. Les blanchisseuses se concentrent dans Louveciennes et sur Montbuisson, et, dans une moindre mesure, à Voisins (9).
Les artisans de l’équipement sont encore nombreux. Quelques-uns sont organisés en entreprises : peinture (dans le village), menuiserie (Lecointe), maçonnerie (Richard, Navet, Bouteillier), charpentier… Nous comptons encore cinq employés de la machine.
Le commerce de l’alimentation se concentre uniquement dans le centre (12), Voisins (5) et sur la route de Versailles à Saint-Germain où se trouvent plusieurs « marchands de vin ». La profession d’aubergiste n’apparaît pas.
La catégorie des services comprend une large majorité de domestiques : une cinquantaine attachés aux grandes maisons. La différence est constitué d’employés et de fonctionnaires (instituteurs, directeur des postes, etc.).
On relève un très petit nombre de nourrices et quelques militaires et veuves de militaires, un statuaire (Fremiet) et un « marchand de nouveautés » (à Voisins).
Les artistes et musiciens présents autour de 1872
(Source : JM Laÿ)
- Camille Pissarro (1830 – 1903) arrive à Louveciennes en 1869. Il a alors 39 ans. Il s’installe avec sa famille dans une grande maison 22, route de Versailles. Il en repartira définitivement en juillet 1872 après avoir peint plusieurs paysages aux alentours de sa résidence (Voisins, la route de Versailles…).
- Alfred Sisley (1839 – 1899). Comme Pissarro, Alfred Sisley resta peu de temps à Louveciennes, de 1870 ou 1872 à 1874, ce qui expliquerait que son nom ne figure pas dans les recensements. Il aurait habité au 2 rue de la Princesse. On lui doit de nombreux tableaux peints notamment près de chez lui comme « le chemin de l’Etarché », « le chemin de la machine », « Premières neiges à Louveciennes » etc.
- Auguste Renoir (1841 – 1919). Ses parents et sa sœur Elisa (devenue plus tard Madame Leray) s’étaient installés à Louveciennes (à Voisins) en 1868 alors qu’il avait déjà 27 ans. Ensuite, ceux-ci déménagèrent à plusieurs reprises : rue du Pont, place Bellevue, Grande rue, puis route de Versailles, lieux qu’Auguste a peints. A la fin du siècle, Renoir s’installe dans une maison proche de sa jeune élève Jeanne Baudot qui habitait chez son père au 4 de la Grande rue.
- Emmanuel Fremiet (1824 – 1910). Ce sculpteur se fixe à Louveciennes en 1861 au hameau de Prunay. Il est l’auteur de la statue de Jeanne d’Arc de la place des Pyramides à Paris.
Christiane Fortin et Annick Saunier
(1) De 716 en 1851, elle passe à 903 en 1861 pour arriver à 970 dix ans plus tard.
(2) La tranche d’âge de 20 à 35 ans est relativement faible.
(3) En réalité, cette population devrait rattachée à Louveciennes Centre.