… Le recensement de 1896
Le Cercle Généalogique et Historique de Louveciennes (CGHL) a effectué un vaste travail d’étude des dénombrements réalisés dans notre village au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Après les articles consacrés successivement aux dénombrements de 1793, de 1817, de 1851 et de 1872, Georges de La Taille, Président du CGHL, présente ici les résultats du recensement de 1896 qui donne une excellente photographie de Louveciennes à la veille du 20ème siècle.
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Depuis 1872, un certain nombre d’évènements et d’innovations ont marqué la vie de Louveciennes. La plus spectaculaire est sans doute l’arrivée du chemin de fer de Paris-St-Lazare à l’Étang-la-Ville (mai 1884) qui coupe notre commune en deux et en modifie quelque peu le paysage.
Louveciennes n’est pas restée à l’écart des progrès techniques de l’époque et son équipe municipale dirigée par Gabriel Bigault de Boureuille a tout fait pour en faire profiter ses habitants : renforcement des chaussées (rue de la princesse, route de St-Germain…), installation de lanternes pour éclairer les rues, numérotation des maisons pour la distribution du courrier, etc. d’où de nouveaux métiers. Pour l’anecdote, rappelons que c’est à cette époque que l’église s’est vue dotée d’un nouveau clocher !
Louveciennes est toujours un village très résidentiel : on recense de nombreuses grandes demeures sur son territoire dont certaines sont entourées de beaux parcs où ont été plantées des essences végétales venues de loin comme les séquoias que nous pouvons encore admirer de nos jours.
En 1894, un nouveau maire remplace de Boureuille : Ernest Dreux.
Une croissance très progressive
De 1872 à 1896, la population de Louveciennes est passée de 970 à 1236 individus, soit une augmentation d’environ un tiers. La progression a été régulière, à l’exception de la période pendant laquelle la ligne de chemin de fer a été construite, entre 1881 et 1886. Une fois la gare inaugurée, Louveciennes a connu une légère décrue en termes de population. Néanmoins, selon la monographie communale de l’instituteur Alphonse Lallier (1899) le développement de notre commune en 1899 à la fin du siècle reste modeste comparé à celui de nos voisines comme Bougival.
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1851 |
1872 |
1881 |
1886 |
1891 |
1896 |
Augmentation |
|
Logements |
170 |
203 |
210 |
285 |
293 |
291 |
121 |
71 % |
Ménages |
256 |
301 |
325 |
368 |
343 |
351 |
95 |
37 % |
Individus |
716 |
970 |
1129 |
1349 |
1214 |
1236 |
520 |
73 % |
La population des quartiers existants
se densifie
Les quartiers déjà habités se densifient de façon presqu’uniforme. Seule la route de Versailles accueille proportionnellement davantage de résidents. Cependant, le territoire de la commune est encore très ouvert. La forêt, les champs et vergers occupent l’espace, ainsi que de grandes propriétés entourées de murs y compris jusqu’au centre de Louveciennes.
Louveciennes-centre et Briqueterie |
46 % |
Voisins |
24 % |
Route de Versailles |
9 % |
Montbuisson[1] |
8 % |
Bellevue |
6 % |
Quai Conti |
2,5 % |
Cœur-Volant |
2,5 % |
Prunay |
2 % |
(1) Dont une partie fait en réalité partie du vieux Louveciennes.
Moins d’enfants au travail à la fin du siècle
Les personnes qui ont une activité professionnelle en 1896 sont proportionnellement moins nombreuses qu’en 1851 : 47 % contre 58 % de la population totale. Ceci tient notamment aux épouses et aux enfants qui sont relativement moins nombreux à travailler. Pour les enfants cette tendance est sans doute en partie due au développement de l’école. Notons qu’en 1851, des enfants peuvent être mis au travail dès l’âge de 13 ans.
Concernant les épouses ayant une activité professionnelle, les données sont à prendre avec précaution car il est probable qu’elles n’aient pas été toutes enregistrées. Dans les secteurs de l’agriculture et du commerce, elles travaillent en famille. Les couturières et les blanchisseuses ont une activité indépendante de celle de leur mari.
Les « sans profession » résidents âgés de plus de 20 ans sont peu nombreux. Il s’agit la plupart du temps de jeunes filles restées à la maison.
Les familles nombreuses semblent assez rares (2) dans les 2 recensements. En 1896, on relève seulement 20 foyers ayant 4 enfants et plus.
- 4 enfants : 8 foyers
- 5 enfants : 7 foyers
- 6 enfants : 3 foyers
- 7 enfants : 2 foyers
Au niveau des familles, des patronymes reviennent plus souvent que d’autres : Gaudet, Thuilleaux, Leduc, Lecointe, Gagné déjà présents en 1817, sont toujours représentés. D’autres patronymes comme Richard, Doléans, Bissonnet, Arthus, Trébois, Leroy et Godard sont fréquents en 1896.
Les métiers
Comme dans la plupart des communes rurales de l’époque, on trouve à Louveciennes la plupart des métiers nécessaires à la vie d’une commune : cultivateurs, maçons, menuisiers, jardiniers, boulangers, couturières, etc. Viennent en plus quelques nouveaux métiers adaptés à la vie moderne : électriciens, mécaniciens, cheminots… D’autres sont plus spécifiques à la région : blanchisseuses, élagueurs…Les domestiques sont également relativement nombreux car Louveciennes attirent toujours quelques citadins aisés qui y vivent ou y viennent passer les beaux jours. Au total, environ 80 métiers différents sont exercés la plupart du temps sur place.
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1851 |
1896 |
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Population totale d’après les registres |
698 |
|
1 165 |
|
Dont : |
|
|
|
|
- Jeunes de moins de 20 ans (au foyer) |
179 |
26 % |
348 |
30 % |
Individus exerçant une profession (toutes classes d’âges confondues) |
405 |
58 % |
550 |
47 % |
Dont : |
|
|
|
|
- Jeunes de moins de 20 ans (au foyer) |
51 |
12,5 % |
40 |
7,6 % |
- Femmes mariées exerçant une profession |
91 |
22 % |
68 |
13 % |
Agriculture et para-agriculture
Les activités agricoles et para-agricoles (élagage, jardinage, etc.) occupent environ 45 % de la population active. Les terres consacrées à la production agricole couvrent moins de 200 ha sur les 537 ha de la commune, le reste consistant surtout en bois et parcs d’agrément. On cultive des céréales (froment, avoine et seigle), des betteraves fourragères, des pommes de terre et des fruits (groseilles, fraises, framboises…). En 1896, les vignes, très peu productives, n’occupent plus que six ha. Il existerait également une production de champignons dans les carrières. Les pépiniéristes (Lecointe, Legendre…) sont réputés.
Sur les 537 ha de la commune (3) :
- 160 ha sont des terres labourables
- 29 ha de prairies, vignes et vergers.
Le nombre de personnes qui se consacrent à une activité agricole ou para-agricole passe de 161 en 1851 à 249 en 1872, soit une augmentation de 55 %. Par rapport à la population active, la participation des « agricoles » croît légèrement : elle passe de 40 % à 45 %. L’activité agricole est de loin celle qui emploie le plus de monde.
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1851 |
1896 |
Cultivateurs et fermiers |
104 |
68 |
Jardiniers agricoles |
25 |
90 |
Journaliers (ères) agricoles |
31 |
76 |
Pépiniéristes |
|
4 |
Elagueurs |
|
7 |
Aviculteurs |
1 |
2 |
Producteur de champignons |
|
2 |
Totaux |
161 |
249 |
La catégorie des « jardiniers » recouvre probablement des activités variées non précisées dans les registres de recensement, allant du simple producteur de légumes indépendant à l’employé chargé également de l’entretien d’un parc. Par ailleurs, Il n’est jamais fait mention de « vignerons » alors que nous savons par ailleurs que cette profession existait bien au milieu du 19ème siècle.
Quelques particularités :
- La plupart des cultivateurs sont mariés mais n’ont pas plus d’enfants que les autres. Ils travaillent en famille, avec leurs épouses et parfois leurs enfants. Quand leurs épouses ne participent pas officiellement à la vie de l’exploitation, elles n’exercent pas d’autres métiers. Les grosses fermes sont très peu nombreuses (7-Peupliers, Prunay, 2-Portes, Rougemonts…).
- Les jardiniers indépendants sont très nombreux en 1896. Contrairement aux cultivateurs, leurs épouses ne travaillent pas avec eux et ils emploient assez souvent du personnel.
- Les journaliers sont en nette augmentation entre 1851 et 1896. Beaucoup d’entre eux sont des femmes.
Blanchisserie et couture
Couture, cordonnerie, coiffure, lingerie, blanchisserie… tous métiers liés avec la personne. La blanchisserie est considérée à l’époque comme une industrie. Elle est très développée dans la région depuis le début du siècle. A Louveciennes, il existait à la fin du 19ème siècle au moins quatre lavoirs publics : à Montbuisson (angle rue du pont), rue des bois (Georges Blandon), rue de Voisins (angle rue grande fontaine et rue de Voisins) et sur la Seine (bateau-lavoir).
La blanchisserie est une activité principalement féminine. Elle est le travail d’épouses et des jeunes-filles faisant partie de foyers dispersés et dont l’activité principale est autre.
Cependant, en 1896, il existait quatre petites entreprises familiales de blanchisserie tenues par des blanchisseurs et leurs épouses :
- Emille Brillon, rue des bois
- Jules Maillot, impasse du pont
- Louis Lafosse et Louis Gorliez, rue de Montbuisson.
Le nombre de blanchisseuses a diminué depuis 1872, passant de 70 à 30. Moins de filles de moins de 20 ans se consacrent à cette activité : 4 contre 14 en 1851.
Le nombre de couturières reste stable. Les « chefs de foyers » sont souvent des veuves.
|
1851 |
1872 |
1896 |
Blanchisseuses |
64 |
70 |
30 |
Couturières |
22 |
30 |
31 |
Autres (repasseuses, laveuses, mercières, perruquier, tisserand, cordonnier) |
5 |
4 |
12 |
|
91 |
104 |
73 |
Artisanat de l’équipement
Sont exercés à Louveciennes la plupart des métiers de la construction, des transports, de l’entretien des bâtiments et des voiries.
Les métiers les plus représentés sont ceux du bâtiment : maçons, menuisiers, serruriers, peintres… Certains d’entre eux, comme la menuiserie et la maçonnerie s’organisent en entreprises. Ainsi, en 1896 :
- Félix Guitel (impasse de la briqueterie) et Jules Auvray (route de Versailles) dirigent deux petites entreprises de maçonnerie ;
- Paul Lecointe, rue de l’Etang, dirige une entreprise de menuiserie.
|
1851 |
1896 |
Maçons, terrassiers |
29 |
19 |
Menuisiers, charpentiers, parquetiers |
11 |
15 |
Serruriers |
4 |
7 |
Plombiers |
7 |
2 |
Peintres |
7 |
5 |
Forgerons, charrons, taillandiers, maréchal-ferrant |
3 |
5 |
Tailleurs de pierres, carrier |
9 |
3 |
Paveurs, cantonniers |
1 |
5 |
tonneliers |
1 |
|
Autres (charretiers, tourneur, treillageur, étameur, charbonnier, scieur en long) |
5 |
7 |
Total |
77 |
68 |
Entre 1851 et 1896, le nombre d’actifs du secteur artisanat résident à Louveciennes a diminué légèrement.
Les activités de services
Entre 1851 et 1896, les emplois dits de services ont fortement augmenté. Le nombre de personnes qui s’y consacrent passe globalement de 46 à 118. Cette tendance est due à la fois à la modernisation et à l’arrivée de nouveaux résidents sans doute plus aisés. On note en effet une augmentation sensible du nombre de domestiques qui passent de 23 en 1851 à 57 en 1896 : femmes de chambres, cuisinières, concierges, valets, gouvernantes, bonnes d’enfant et jardiniers privés.
La lecture des registres de recensements ne nous permet pas, dans un certain nombre de cas, de savoir où étaient affectés les employés. Il est donc difficile de faire la part du public et du privé. Globalement, les employés non domestiques sont passés d’une vingtaine à une cinquantaine : receveur, chef de bureau, gardes, comptables, cochers, garde-malades, représentant, directeur d’établissement, employés de la Machine et 20 employés dont les positions ne sont pas précisées.
Les professions libérales sont peu représentées dans le recensement.
On recense un curé et six religieuses.
Il est parfois indiqué la présence de nourrissons (dans 3 cas seulement en 1896) ce qui laisse à supposer que certaines femmes étaient aussi nourrices.
Commerce et restauration
Entre 1851 et 1896, le nombre de commerces de l’alimentation, sur la base des « chefs de ménages » a augmenté de quelques unités, notamment pour la viande et la charcuterie.
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1851 |
1896 |
Boucherie |
1 |
3 |
Charcuterie |
|
2 |
Boulangerie pâtisserie |
1 |
2 |
Epicerie - fruiterie |
5 |
3 |
Ces commerces de l’alimentation se concentrent autour de l’église et dans le quartier de Voisins où s’est installée la charcuterie de Pierre Lemingre, rue de la Machine. Ils sont généralement tenus par des couples.
En 1896, deux négociants importants vivent à Louveciennes : André Gluck (Grande rue) et Louis Langlois (quai Conti).
Le recensement de 1896 fait état de quatre marchands de vin, six cabarets tenus majoritairement par des femmes, et d’un seul restaurateur : Nicolas Reichel, sis grande rue.
Conclusion
A la fin du 19ème siècle, Louveciennes est encore une commune paisible, assez peu touchée par les bouleversements liés au développement de Paris. Les citadins et les artistes aiment venir s’y reposer. Le centre du village est occupé par de grands parcs privés, tandis qu’à la périphérie les champs et les vergers descendent le long des coteaux.
Grâce à quelques maires inspirés, Louveciennes n’est pas resté à l’écart du progrès et tous les services indispensables à la vie d’une collectivité sont bien présents, à commencer par le chemin de fer, la poste et l’école.
La vie économique est basée sur l’agriculture et l’artisanat. La production fruitière et les pépinières font partie des atouts de la commune. Et comme dans beaucoup de communes voisines l’industrie de la blanchisserie est toujours active.
Georges de La Taille
(2) Il se peut que dans les familles nombreuses, les enfants les plus âgés aient déjà quitté le foyer, auquel cas le recensement les ignore. De même pour les enfants à venir…
(3) Données de la monographie de l’instituteur Alphonse Lallier.