Chandigahr – Monument - Photo
Ravjot Singh - Source Wikimedia Commons
Tel est le thème de l’exposition présentée actuellement par le Musée-Promenade de Marly-le-Roi/Louveciennes en collaboration avec la Fondation Le Corbusier.
Quelle riche idée que de s’intéresser à un artiste « moderne » mais, s’agissant d’un architecte, c’est quelque part un pari impossible. Des maquettes, même des projections en 3D ne rendront jamais compte du vécu ressenti dans un bâtiment, or c’est de cela qu’il s’agit. Il y a quelques années une exposition a été consacrée à Jean Nouvel, architecte français de dimension internationale, au cinquième étage du Centre Georges Pompidou. Celui-ci avait résolu la question en présentant ses plans d’architecte. Evidemment seuls les professionnels étaient en mesure de les apprécier.
Charles-Édouard Jeanneret, dit Le Corbusier a été actif de 1905 à 1969. Il n’a pas été très productif. Il a surtout réalisé des maisons individuelles pour personnes fortunées, des logements collectifs et notamment la « Cité Radieuse » de Marseille surnommée localement « la Maison du fada », quelques édifices religieux et des bâtiments publics. En revanche, son apport sur le plan théorique est considérable même si, évidemment, une partie de son enseignement est aujourd’hui dépassée. Ainsi peut-on dire qu’il est né avec le développement du béton. Dès lors, il y eut deux écoles : ceux qui trouvaient que ce matériau gris et sale, difficile à domestiquer, devait être caché et ceux, comme Le Corbusier, qui n’hésitaient pas à le montrer, pensant sans doute que l’œil se ferait et surtout que le « sentiment d’inachevé évoque le sacré ! ». Le débat s’est clos dans les années soixante avec les progrès faits dans sa mise en œuvre et il ne viendrait à l’idée de personne de proposer de revêtir ou de peindre les piles du pont de Millau ou les tribunes du Stade de France. Il formula également en 1927 les cinq principes fondamentaux du « Mouvement moderne » celui-ci préconisant la pureté des lignes et le fonctionnalisme. Nous avons la chance de pouvoir visiter à proximité la villa Savoye à Poissy où pour la première fois il mit en pratique ses théories. Un petit dépliant gratuit vous sera remis à l’entrée, très bien fait, qui donne l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur cette construction et sur son concepteur. Puis en 1933 il initia la Charte d’Athènes qui traite de « La ville fonctionnelle ». Si donc son travail influença son époque, il n’est pas possible de dire, près d’un siècle plus tard, qu’il a aujourd’hui valeur de dogme.
Mais son grand œuvre reste la construction de la ville nouvelle de Chandigarh. Celle-ci fut décidée dans les circonstances suivantes : la guerre entre les Indes et le Pakistan avait coupé l’état du Pendjab en deux privant le coté indien de sa capitale Lahore. Le Pandit Nehru décida alors de faire construire une ville nouvelle. Ce sera Chandigarh mot qui signifie « la forteresse de Chandi ». Il donna pratiquement les pleins pouvoirs à Le Corbusier lequel reçut mission de concevoir l’urbanisme de l’ensemble de la ville et de réaliser, en qualité d’architecte, les principaux bâtiments publics situés autour d’une place dite « Place du Capitole » à savoir :
Pour le pouvoir judiciaire : la Haute-Cour de justice ainsi que huit salles d’audience.
Le Corbusier – Chandigarh – Haute Cour de Chandigarh – 1951 - Photo Sanyam Bahga
Photo Sanyam Bahga
Le Corbusier – Chandigarh -
Palais des Assemblées du Penjab et de l’Haryana – 1951
Pour le pouvoir exécutif : la cité administrative
Le
Corbusier – Chandigarh –
Cité administrative - Photo Lian Chang
De plus le programme prévoyait l’édification du palais du gouverneur, étudié par l’architecte, mais qui ne fut jamais construit ainsi qu’une demi-douzaine de folies à haute valeur symbolique dont une main ouverte, emblème de la ville, qui seule fut réalisée et représente « la capacité de celle-ci à donner et à recevoir ».
En plus d’explications et de dessins sur l’œuvre de Le Corbusier, le musée présente des peintures du Maître en rapport ou non avec Chandigarh et là, oh surprise, on retrouve un peintre de bonne facture en rapport avec les courants artistiques de son temps : cubisme et surréalisme.
Un documentaire exceptionnel
Enfin, vous pourrez voir un documentaire exceptionnel sur la réalisation du chantier, documentaire qui a reçu le grand prix de l’architecture de l’Unesco. Son caractère surprenant tient au fait qu’il ne se contente pas d’encenser le Maître et ne cache rien des difficultés qu’il a rencontrées avec les futurs exploitants des lieux. Par exemple dans chaque salle d’audience, il avait prévu de tendre derrière le fauteuil du président une grande tapisserie de laine fabriquée par des artisans locaux. Au total leur superficie était de 650 m². Décision sympathique mais qui conduisait le président à avoir les avocats à contrejour ce qui, convenons-le, n’est pas très pratique. De même il a fallu modifier la circulation et le stationnement prévus pour l’accès au bâtiment et rajouter, sur toute la longueur de la façade, un auvent pour le protéger de la pluie pendant la mousson.
On observe, avec ces incidents, une confusion des compétences si fréquente en France. Il appartient au Maître de l’ouvrage de définir ses besoins et ses contraintes et au Maître d’œuvre de les traduire dans les faits. Ignorer l’exploitant au moment de la conception ne peut conduire qu’à des contestations et des conflits qui auraient pu être évités avec une sage concertation préalable.
Mais le film met aussi en lumière l’amour de Le Corbusier pour l’Inde et ses civilisations, les recherches qu’il fit sur ses symboles et sur leur intégration dans la décoration, les solutions innovantes apportées aux questions d’acoustique et de lumière dans la construction de l’assemblée législative régionale, son implication jusque dans ce qui peut passer pour des détails comme la porte cérémoniale de celle-ci. L’exposition donne d’ailleurs des exemples du travail préparatoire de l’architecte. Cinquante ans après la construction de cette ville prévue pour 150 000 habitants et qui en comprend de nos jours plus d’un million, le plan d’urbanisme a été respecté et fonctionne toujours.
Jean-Claude Bertrand
Renseignement Pratiques :
L’exposition se tient au Musée Promenade de Marly-le-Roi/Louveciennes du 28 septembre 2013 au 2 février 2014.
Le musée est ouvert du mercredi au dimanche de 14h00 à 17h30.
Visites guidées axées principalement sur l’exposition : le 17 novembre 2013 et le 19 janvier 2014.
Conférences (Salle de l’Horloge, place de l’Hôtel de Ville à Marly-le-Roi) sur les thèmes suivants :
- Mardi 5 novembre 2013 à 20h30 « Marcel Lods et les Grandes Terres ». (Marcel Lods est un disciple de Le Corbusier. Il a conçu cet ensemble selon les principes de la Charte d’Athènes).
- Mardi 3 décembre 2013 à 20h30 « L’urbanisme moderne à l’épreuve du temps ».
- Mardi 21 janvier 2014 à 20h30 « L’architecture indienne après Le Corbusier ».
Le DVD sur l’exposition est en vente à l’accueil du Musée.