Nous poursuivons la publication de la série des études réalisées par le Cercle Généalogique et Historique de Louveciennes (CGHL) ; Guy Thirion présente ici une synthèse des résultats du recensement de 1911 (l’étude détaillée figure dans le bulletin du CGHL, disponible auprès de l’association #).
Le contexte historique
Durant la Belle Époque, Louveciennes est un village encore très rural. Les statistiques agricoles de 1911 indiquent qu’il y a 56 chevaux, 2 mulets, 10 ânes, 28 vaches et 9 chèvres et que Louveciennes produit environ 300 tonnes de pommes et de poires, 2000 tonnes de prunes, 1000 tonnes de fraises, 200 tonnes de groseilles et 20 tonnes de framboises.
La commune comprend principalement trois quartiers : Louveciennes ancien (1) qui est le centre administratif et religieux avec des maisons plutôt accolées, Voisins qui est un quartier populaire avec des maisons se jouxtant et Montbuisson trèsagricole et peu peuplé. Les autres secteurs ont des habitations éparses.
La mairie se situe encore sur la place de l’église.
Mairie - Ecoles de filles et de garçons sur l'actuelle place de l'église - 1900
Les comptes rendus des conseils municipaux de l’année 1911 ne font pas ressortir d’événements marquants. On peut toutefois noter les faits suivants :
- La route de Versailles, qui était empierrée, est goudronnée entre la Grille Royale et la Grande rue (2), mais les agriculteurs se plaignent, car la chaussée est devenue glissante pour les chevaux. La mairie doit protester auprès du préfet ;
- Le gaz est installé dans l’école des filles ;
- La commune, à la demande du maire de Marly, donne son accord pour la mise en service d’un train à 5 h du matin à Saint Nom la Bretèche pour arriver à 6 h à Paris ;
- Ernest Dreux, qui a été maire de Louveciennes de 1892 à 1908, décède ;
- L’association sportive de Louveciennes est créée ;
- Les habitants se méfient des étrangers. Ils protestent contre le séjour prolongé et dangereux de nomades sur la route de Versailles. Le conseil municipal ne pouvant lui même prendre les mesures coercitives s’adresse au préfet. Le conseil municipal demande aussi l’adjonction d’une brigade supplémentaire du fait de la présence d’un grand nombre d’ouvriers étrangers ;
- Le curé, Charles Louis Guibillon, fait installer l’électricité dans l’église.
Le dénombrement
Le dénombrement, effectué au mois de mars 1911, prend en compte les habitants de la commune qui étaient absents lors du recensement, mais pas les militaires, les marins, les détenus et les élèves internes à la demande du décret du 20 janvier 1901.
Dans la suite de l’étude, une comparaison avec les dénombrements de 1793 ou 1817, selon les données disponibles, sera faite.
- Une population qui augmente modérément
Louveciennes a 1152 habitants. Depuis un siècle, la population a augmenté de 60 % alors que durant le siècle suivant, elle accroîtra d’environ 640 %. 49,2 % des personnes sont de sexe masculin et, par conséquent, les 50,8 % restant sont de sexe féminin.
Depuis 1817, le nombre moyen de membres par foyer (3) est passé de 3,5 à 3,1. En 1911, hormis une cellule familiale de 14 personnes du fait de la présence de huit pensionnaires, il existe deux ménages de neuf individus : la famille Lecointe et la famille Janin (avec deux employés).
- Une population qui vieillit doucement
Les personnes de moins de 20 ans représentent 29,2 % de la population alors qu’en 1817 elles constituaient 35,6 % de celle-ci.
Concernant l’âge médian, depuis 1817, il a augmenté de deux ans pour chacun des deux sexes ; il est de 30 ans pour le sexe masculin et de 32 ans pour le sexe féminin. Au cours du siècle suivant, il fera un bond de huit ans.
L’homme le plus âgé, Désiré Rabouille, a 89 ans. Les deux femmes les plus âgées, Joséphine et Palmyre Lecointe, ont 88 ans. Ces personnes n’ont pas d’activité professionnelle vu leur âge. Il n’y a guère d’évolution par rapport à 1817 où le doyen et la doyenne avaient déjà 88 ans.
- Une population de moins en moins d’origine locale
Les lieux de naissance
L’apparition du transport ferroviaire et particulièrement la desserte de Louveciennes à partir de 1884 a provoqué la venue de personnes nées en dehors de la Seine-et-Oise. En 1911, les quatre premiers lieux de naissance des Louveciennois sont, par ordre de décroissance Louveciennes (4)(27,5 %), Paris, les Côtes du Nord (5)et la Corrèze. Deux sont hors de la région parisienne, alors qu’en 1793, les quatre premiers lieux de naissance étaient locaux : Louveciennes, Bougival, Marly et Versailles (la commune de Louveciennes représentant à elle seule 59,8 %).
Par ailleurs, 23 habitants sont nés à l’étranger (Allemagne, Angleterre, Belgique, Chili, Luxembourg, Russie, Suisse et Tonkin). Huit ont la nationalité française en 1911.
Les noms de famille
Le dénombrement fait apparaître 448 patronymes. Il y a une évolution importante par rapport à 1793 où, même avec un nombre légèrement moindre d’habitants (1076 au lieu de 1152 en 1911), il y avait 250 noms de famille.
Six patronymes sont portés par plus de 10 personnes : Gaudet, Lecointe, Fortin, Leroy, Guinard et Leygnac. En 1793, 19 noms de famille étaient portés par plus de 10 individus.
Ø Louveciennes ancien abrite presque une personne sur deux
Le quartier Louveciennes ancien représente 45,6 % de la population ; Voisins et Bellevue regroupant 24 % des habitants. La rue de Voisins, la rue de l’église, la place de l’église, la route de Versailles et la Grande Rue concentrent 42 % des citoyens.
Ø Les métiers se diversifient
De plus en plus de gens, principalement les femmes, travaillent. Parmi les habitants de plus de 13 ans (6), 90 % des hommes et 51 % des femmes exercent une profession alors qu’en 1817, c’était 84 % des hommes et de 18 % des femmes. Il est recensé 134 professions différentes alors qu’en 1793 il y en avait 79.
Les catégories professionnelles : surtout des ouvrier(e)s
Chez les hommes, les trois premières catégories professionnelles (7) sont les ouvriers (65 %), les artisans, commerçants et chefs d’entreprise (16 %) et employés (12 %). Chez les femmes, ce sont les employées (34 %), les ouvrières (33 %) et les artisans, commerçants et chefs d’entreprise (26 %).
C’est parmi le monde natif de Louveciennes qu’on trouve le plus d’artisans, de commerçants et de chefs d’entreprise. Les cadres et professions intellectuelles supérieures ainsi que les professions intermédiaires se trouvent chez les individus nées à Paris ; il n’y a pas de cadres et de professions intellectuelles supérieures chez les personnes nées à Louveciennes, dans les Côtes-du-Nord ou en Corrèze. La Corrèze et les Côtes du Nord ont la proportion la plus importante d’ouvriers. Il n’y a pas d’agriculteurs exploitants issus de la Corrèze ou de Paris, cette catégorie est principalement représentée par des personnes qui ont vu le jour dans la commune de Louveciennes.
Les métiers
Au sein de la gent masculine, les métiers les plus représentés sont les jardiniers, les cultivateurs, les journaliers et les pépiniéristes, lesquels représentent 43,8 % des hommes occupant un emploi.
Au sein de la gent féminine, ce sont les couturières, les domestiques, les cultivatrices, les blanchisseuses et les journalières lesquelles constituent 49 % des femmes exerçant un métier.
Les métiers en forte augmentation, par rapport à 1817, rapporté au même nombre d’habitants pour tenir compte de l’évolution de la population, sont les pépiniéristes qui n’existaient pas en 1817, du moins sous cette dénomination (8), les blanchisseuses (9)(+ 275 %), les couturières (10)(+ 623 %) et les jardiniers (+ 378 %).
Par contre, la profession de vigneron qui était la plus représentée en 1793 a complètement disparu en 1911 du fait du phylloxéra et de la concurrence.
Les personnes natives de Louveciennes exercent plutôt les métiers de blanchisseuses, de couturières, de cultivateurs/cultivatrices et de menuisiers. La population née à Paris présente la plus grande proportion de gens sans profession. Enfin, c’est dans celle issue des Côtes du Nord qu’on a le ratio de domestiques et de journaliers le plus prédominant.
60 % des jeunes de 14 à 16 ans exercent un métier
En 1911, la scolarité est obligatoire jusqu’à 13 ans sauf pour les élèves titulaires du certificat d'études primaires qui peuvent quitter l'école à 11 ans. Le recensement fait apparaître que sur les 58 adolescents de 14 à 16 ans, 35 ont une profession. Si l’on s’intéresse aux plus jeunes (14 ans) qui se partagent en trois filles et cinq garçons, il y a une blanchisseuse et deux couturières, un employé (sans autre précision), un serrurier, deux jardiniers et un entomologiste (11).
53 % des personnes de 60 ans et plus disent avoir encore un métier
Sur les 158 personnes ayant 60 ans et plus, 84 exercent une profession. À 70 ans et plus, 32 individus sur 42 ont encore un travail. Par contre à partir de 80 ans, il n’y a plus que deux personnes sur 17 qui pratiquent un métier : l’une, Joséphine Bossereau, 80 ans est cultivatrice et l’autre, Mélanie Delaizement, 81 ans est blanchisseuse. On peut toutefois se poser la question de savoir si les gens de plus de 60 ans exerçaient bien toutes effectivement la profession qu’ils ont donnée lors du dénombrement.
Les gros employeurs
Les gros employeurs sont l’État (pour les chemins de fer et la poste), Guillaume Beer (emploi de jardiniers et de concierges), Léopold Boivin (emploi de pépiniéristes), Paul Mayen (emploi principalement de jardiniers), Jules Lafosse (emploi de blanchisseuses et de repasseuses) et enfin les quatre familles Lecointe (emploi de bouchers, d’entrepreneur de menuiserie, de pépiniéristes et de jardiniers).
Pépinières Lecointe
À noter que les personnes employées pouvaient partager leur temps entre plusieurs patrons, comme c’étaient par exemple le cas des jardiniers.
Les établissements pour les jeunes
Il y a trois établissements :
- L’école du village, avec un instituteur, Martial Hubault, 42 ans, et une institutrice Eugénie François, 35 ans ;
- L’école privée tenue par la directrice Céline Louise Reitz, 32 ans, épaulée par trois institutrices, Charlotte Julien, 56 ans, Léa Jason, 66 ans et Marie Jeanne Brunot, 66 ans aussi ;
- L’orphelinat Beer, sous la direction de Léon Roger, 59 ans. Il est assisté d’un jeune instituteur de 19 ans, Gabriel Ribot, d’une cuisinière Marie Letellier, 35 ans et d’une lingère Céleste Prioult, 58 ans.
Malheureusement, il n’est pas possible de connaître les enfants qui fréquentaient ces trois établissements, car, comme le demandait le décret du 20 janvier 1901, les élèves n’ont pas été recensés.
Orphelinat Beer
Ø Les personnalités de Louveciennes qui n’apparaissent pas sur le dénombrement
Les notables, hormis l’un d’entre eux, n’apparaissent pas sur le dénombrement. Ils ont pratiquement tous une résidence à Paris et viennent à Louveciennes principalement à la belle saison. En excluant les maires, ils ont des métiers variés : présidents de société, professeur, banquier, agent de change, docteur, libraire, chirurgien, notaire …
En 1911, nous avons : Paul Kempf, Ernest Dreux, Émile Clerc, Alfred Poisson, Alfred et Paul Mayen, Robert le Lubez, Jeanne Arbelot, Étienne Nemours Herbault, Maurice Delahaye, Théodore Tuffier, Émile Baillière, Jules, Guillaume et Michel Beer, Auguste Létienne, Gilberte de Sartiges, Raoul Demanche et Félix Guyon.
Article rédigé par Guy Thirion
Références
(1) De l’église vers la route de Versailles et les bois, jusqu’au château du Pont.
(2) Aujourd’hui, rue du Général Leclerc.
(3) Un ménage au sens du dénombrement comprend le chef de famille et tous les membres sous sa coupe dans le lieu où il habite ; sa femme, ses enfants et, éventuellement, les autres personnes logées (employés, parents, grands parents, petits enfants…etc.).
(4) Avec Voisins et Montbuisson.
(5) L’immigration des Bretons avait commencé avec le dépérissement de la culture et du tissage du lin au XIXe siècle en Bretagne.
(6) En 1911, la scolarité est obligatoire jusqu’à 13 ans.
(7) Catégories professionnelles issues de l’Insee.
(8) En 1817, ils pouvaient faire partie de la catégorie des jardiniers.
(9) L’augmentation du nombre de blanchisseuses au XIXe siècle est liée au fait que le regard sur le corps évolue. La propreté du corps et du linge devient une nécessité.
(10) Même commentaire que pour la note 9.
(11) L’entomologie est la branche de la zoologie qui étudie les insectes.
Pour en savoir plus
# Cercle Généalogique et Historique de Louveciennes (CGHL)
Président : Georges de La Taille
Siège : Mairie de Louveciennes
30, rue du Général Leclerc
78430 Louveciennes
site internet : www.cghllouveciennes.fr
contact : [email protected]
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