Une rétrospective enfin
Il aura fallu attendre le deuxième semestre de l’année 2015 pour qu’une première rétrospective consacrée à Elisabeth Louise Vigée Le Brun soit organisée en France. Cette belle exposition d’une artiste que l’on réduit trop souvent à ses portraits de Marie-Antoinette a rencontré un large public, si l’on en juge par l’affluence au Grand Palais à Paris. La Tribune de Louveciennes, à la suite de la publication de l’ouvrage de Geneviève Haroche-Bouzinac et de la réédition de ses mémoires (1), lui avait consacré une série d’articles (2) illustrés par de nombreuses reproductions, pour la plupart glanées sur internet. Quelle chance de voir de près 150 œuvres (sur environ 660 qu’elle a exécutées), peintures, pastels et dessins, essentiellement des portraits. Ces œuvres proviennent de prestigieux établissements comme le château de Versailles, le Musée de l’Ermitage, Le Louvre et bien d’autres, la moitié est issue de collections privées dont la plupart n’ont jamais été vues par le public.
L’exposition qui a débuté le 23 septembre 2015 au Grand Palais continue jusqu’au 11 janvier 2016 ; elle se poursuivra ensuite au Metropolitan Museum of Art de New York (9 février – 15 mai 2016) puis au Musée des Beaux Arts du Canada à Ottawa (10 juin – 12 septembre 2016) ; ce dernier musée l’a d’ailleurs coproduite.
Cette exposition, conçue par l’américain Joseph Baillio (déjà à l’origine de la première exposition consacrée à Mme Vigée Le Brun, en 1982, au Kimbell Museum of Arts de Fort Worth, oui au Texas) et par Xavier Salmon, est basée sur une approche à la fois chronologique et thématique des oeuvres d’une artiste dont la carrière a été extrêmement longue, pour bien la situer dans l’histoire de France, de Louis XV à Louis-Philippe.
Xavier Salmon, conservateur général du patrimoine du Louvre, présente l’exposition sur You Tube
Voir aussi « 8 minutes dans l’exposition Vigée Le Brun
Au rez-de-chaussée du Grand Palais, les années de formation, la consécration avec son entrée à l'Académie royale de peinture, la gloire, avec les portraits de la reine et du gratin de l’aristocratie. Au premier étage, la production après 1789, lors de son exil en Italie, à Vienne, à Saint-Pétersbourg, à Berlin. Le parcours est également thématique, les cartels éclairent le contexte politique, artistique et culturel.
Les autoportraits d’une belle femme
L’exposition s’ouvre sur huit autoportraits qui ont fait une partie de sa renommée et qui mettent en valeur sa grande beauté, ses traits réguliers, ses cheveux châtains frisés, son regard gris bleuté,... Figurent dans cette section le portrait célèbre « aux rubans cerise » (1782), un merveilleux dessin de « Madame Le Brun au chapeau de paille orné d’une plume » (vers 1783) issu d’une collection particulière, le pastel « Portrait de l’artiste en costume de voyage » (1789-1790), la toile « L’artiste exécutant le portrait de la reine Marie-Antoinette » (1790) réalisée pour la galerie d’autoportraits du Corridoio Vasariano des Uffizi à Florence, le « Portrait par elle-même » (1800) réalisé en l’honneur de l’Académie des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg dont elle devint membre, le « Portrait par elle-même de profil » (1801) et pour terminer un « Portrait par elle même » (1808) offert à des hôtes suisses.
« Madame Le Brun au chapeau de paille orné d’une plume » (vers 1783) - Collection particulière
On regrettera l’absence de celui dit « au chapeau de paille », inspiré par Rubens ; en consolation, figure dans la même veine, le portrait de « Yolande Martine Gabrielle de Polastron, duchesse de Polignac » (1782), grande amie de la reine (4).
Tous ces portraits dégagent un charme fou, très moderne d’allure… On comprend la fascination des visiteurs de l’exposition et de leurs longs face-à-face avec ces tableaux.
A côté des autoportraits, on retrouve son buste exécuté en terre cuite par Augustin Pajou et présenté en 1783 au Salon de l’Académie royale, un témoin de l’époque affirma que « le portrait de Madame Le Brun… respire tout l’esprit de l’original » (3) ; dans cette section apparaissent également des pastels de son père et un autoportrait de son mari Jean-Baptiste Le Brun, peintre mais surtout grand marchand d’art.
Le buste d’Elisabeth Louise Vigée Le Brun exécuté par Augustin Pajou (1783)
L’entrée de Madame Vigée Le Brun à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1783 n’a pas été une mince affaire ; les femmes artistes n’avaient en effet pas le droit de peindre des scènes historiques, le genre prestigieux de l’époque. Soutenue par la reine et la cour, sa réception marqua une consécration ; le morceau de réception, « La Paix ramenant l’Abondance », d’inspiration mythologique, est exposé à côté d’esquisses préparatoires.
Dans son combat féministe, elle n’était pas seule. Dans la section « Émulation et concurrence féminine » sont présentées des œuvres d'autres peintres femmes contemporaines : Marie Guillemine Le Roux de la Ville, Marie Victoire Lemoine, Adèle Romany et surtout sa grande rivale, Adélaïde Labille-Guiard qui fut reçue la même année qu’elle à l’Académie royale de peinture et de sculpture, et dont l’exposition présente un grand autoportrait en pied grandeur nature : « L'artiste dans son atelier avec deux de ses élèves ». (Une autre rivale, helvétique, Angelika Kauffmann, également présente dans la galerie des autoportraits des Offices de Florence est exposée au 2ème étage).
Nous avons moins aimé les œuvres exposées dans la section « Peindre l'enfance et l'amour maternel ». Si « Le Portrait de l'artiste avec sa fille, dite « La tendresse maternelle » (1786) est touchant, les portraits des mères avec leur(s) enfant(s) ne sont pas exempts d’un certain sentimentalisme. Il est vrai qu’on est dans une époque qui découvre l’enfant et est influencée par les écrits de Jean-Jacques Rousseau.
Les portraits de la reine
A l’âge de 23 ans, Elisabeth Louise Vigée Le Brun avait été appelée à Versailles pour peindre la reine ; le premier grand portrait « Marie-Antoinette en grand habit de cour » (1778) avait été livré à la satisfaction générale. Dans la section appelée « Portraiturer la famille royale et la cour » (que ce portraiturer est laid…) figurent deux autres portraits de la reine – sur la trentaine qu’elle exécuta - dont le fameux tableau « Marie-Antoinette et ses enfants » (1787) prêté par le château de Versailles. Cette toile monumentale avait été commandée pour rétablir l’image d’une reine accusée d’un goût trop prononcé pour le luxe et le libertinage. Il s’agissait de mettre en évidence le rôle de mère de la souveraine ; sobrement vêtue d’une robe de velours rouge, elle est accompagnée de ses trois enfants, garants de la continuité dynastique, le berceau vide est une allusion à la mort de Sophie Hélène Béatrix disparue à 11 mois pendant l’exécution de l’œuvre.
L’exposition nous montre également le tableau « Marie-Antoinette en chemise ou en gaulle » (vers 1783) qui fit scandale car on estima qu’un personnage d’un aussi haut rang ne pouvait paraître en tenue d’intérieur.
De beaux portraits masculins
Si la majorité des portraits sont dédiés à des femmes, Elisabeth Louise Vigée Le Brun réalisa également d’admirables portraits masculins. Celui d’Etienne, son frère cadet, qu’elle peignit alors qu'elle n'avait que 14 ans. celui du grand peintre paysagiste Joseph Vernet qui lui donna d’excellents conseils (5), celui de son très fidèle ami, le peintre Hubert Robert, un chef d’œuvre, qui est habituellement accroché au Louvre, celui du contrôleur général des finances Charles-Alexandre de Calonne que des libelles calomnieux lui attribuèrent comme amant.
Après 1789, le périple à travers l’Europe
1789, année charnière marquée par le début de la Révolution française clôt la première partie de l’exposition.
Elisabeth Vigée Le Brun sera parmi les premiers à émigrer, avec sa fille Julie, alors âgée de 9 ans, et sa gouvernante. Son exil va durer une douzaine d’années et la conduire en Italie, dans l’Empire des Habsbourg, à Saint-Pétersbourg, en Allemagne. Ce voyage à travers l’Europe est loin de marquer un arrêt dans sa carrière. Elle manifesta là aussi une capacité incroyable à s’insérer
brillamment dans les hautes sphères. Un exemple : le lendemain de son arrivée à Saint-Pétersbourg elle est reçue officiellement par Catherine II. Dans ses Souvenirs, elle décrit ainsi sa vie mondaine à Saint-Pétersbourg : « Tous les soirs j’allais dans le monde. Non seulement les bals, les concerts, les spectacles, étaient fréquents, mais je me plaisais dans ces réunions journalières, où je retrouvais toute l’urbanité, toute la grâce d’un cercle français ; car, pour me servir de l’expression de la princesse Dolgorouki, il semble que le bon goût ait sauté à pieds joints de Paris à Pétersbourg. »
Les commandes de l’aristocratie européenne ne cesseront d’occuper l’artiste pendant toute la durée de son émigration, même si ici et là, elle dût faire face à des concurrents malveillants.
Au 2ème étage du Grand Palais se succèdent les tableaux réalisés au cours de cette période. On appréciera plus particulièrement l’étendue de son talent mis au service de la beauté de ses modèles féminins : le célèbre « Lady Hamilton en Sibylle de Cumes » (1792) qu’elle emportera au cours de ses pérégrinations, « Anna Flora von Kageneck » (1792), « La princesse Anna Alexandrovna Golisyna » (vers 1797), « La comtesse Varvara Nikolaïevna Golovina » (1797/1800), « Varvara Ivanovna Ladomirskaïa » (1800), « Louise Auguste Wilhelmine Amélie de Mecklembourg-Sterlitz, Reine de Prusse » (1802).
« La princesse Anna Alexandrovna Golisyna » (vers 1797)
De retour à Paris, en 1802, elle réalisera encore de beaux tableaux comme « Giuseppina Grassini en costume de sultane » (1805), « Le portrait de Marie Anonciade Caroline Murat, reine de Naples, sœur de Napoléon, avec sa fille ». Par la suite ses portraits vont manquer de vigueur et elle se tournera vers le paysage notamment lors de ses deux séjours en Suisse.
L’exposition se termine avec une peinture à l’huile « La fête des bergers à Unspunnen le 17 août 1808 » et huit minuscules pastels de paysages. C’est très peu. Louise Élisabeth Vigée Le Brun a soutenu dans ses mémoires qu’elle avait réalisé près de 200 pastels, peints tant en Suisse qu’en Grande-Bretagne, la grande majorité n’a pas été retrouvée. L’amoureux de Louveciennes ne retrouvera aucune peinture de ce lieu alors qu’elle y a vécu plus de 20 ans, chaque printemps, chaque été. Etonnant quand on songe qu’il s’agit d’un endroit qui aurait pu ou aurait dû l’inspirer et qui allait devenir un des hauts lieux de l’impressionnisme.
FK
(1) Geneviève Haroche-Bouzinac, Louise Élisabeth Vigée Le Brun, histoire d’un regard, éditions Flammarion, collection « Grandes Biographies », 688 pp., 27 €.
Élisabeth Louise Vigée Le Brun, Souvenirs 1755-1842 (Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux), texte établi, présenté et annoté par Geneviève Haroche-Bouzinac, Paris, Honoré Champion Éditeur, Paris, 2008, 852 pp. Il s’agit là de l’édition de référence de l’autobiographie d’Élisabeth Louise Vigée Le Brun.
(2) Articles déjà parus dans La Tribune de Louveciennes :
- Une vie d’artiste au féminin (compte-rendu de la biographie de Geneviève Haroche-Bouzinac).
http://louveciennestribune.typepad.com/media/2012/05/une-vie-dartiste-au-féminin.html
- La reconnaissance d’un talent
http://louveciennestribune.typepad.com/media/2012/07/la-reconnaissance-dun-talent.html
- La portraitiste de la reine
http://louveciennestribune.typepad.com/media/2012/08/la-portraitiste-de-la-reine.html
- Trois portraits de Madame du Barry
http://louveciennestribune.typepad.com/media/2012/08/trois-portraits-de-madame-du-barry.html
- La fuite
http://louveciennestribune.typepad.com/media/2012/08/la-fuite.html
- Un périple à travers l’Europe
http://louveciennestribune.typepad.com/media/2012/08/un-périple-à-travers-leurope.html
- La maison de campagne de Louveciennes
http://louveciennestribune.typepad.com/media/2012/09/la-maison-de-campagne-de-louveciennes.html
(3) L’abbé Jean-Louis Giraud Soulavie cité par Joseph Baillio.
(4) Cela nous donne une occasion d’évoquer le très beau film de Benoît Jacquot « Adieux à la reine » dans lequel la duchesse de Polignac est incarnée par Virginie Ledoyen.
(5) Joseph Vernet prodigua à la jeune Vigée LeBrun d’excellents conseils ce qu’elle rappela dans ses Souvenirs : «Mon enfant (…) ne suivez aucun système d’école. Consultez seulement les œuvres des grands maîtres de l’Italie ainsi que celles des maîtres flamands ; mais surtout faites le plus que vous pourrez d’après nature : la nature est le premier de tous les maîtres. Si vous l’étudiez avec soin, cela vous empêchera de prendre aucune manière. »
Informations pratiques
«Elisabeth Louis Vigée Le Brun», Galeries nationales du Grand Palais, 3, avenue du Général-Eisenhower, Paris, jusqu'au 11 janvier. Tél. 00 33 1 44 13 17 17,
site www.grandpalais.fr Ouvert tous les jours, sauf mardi, de 10h à 20h, le mercredi jusqu’à 22h.
- Le Catalogue de l’exposition : RMN, 432 p., 50 € , sous la direction de ses deux commissaires Joseph Baillio et Xavier Salmon, est splendide avec d’excellents articles et des reproductions de qualité.
- DVD du documentaire de Jean-Frédéric Thibault et Arnaud Xainte coproduit par le Grand Palais et Arte, Le Fabuleux Destin d'Élisabeth Louise Vigée Le Brun.
Splendide exposition, particulièrement les tableaux de la période russe
Rédigé par : Pascal | 15 janvier 2016 à 20:14