Ce qu’on croyait réservé à des départements ruraux comme la Lozère ou la Creuse ou encore les quartiers sensibles semble devenir une réalité à Louveciennes : la pénurie de médecins généralistes libéraux.
Il y a encore trente ans, six médecins généralistes, qui ne comptaient par leurs heures, satisfaisaient aux besoins de la population. Aujourd'hui trois médecins dont un à mi-temps assurent le service. Et pour combien de temps ? Deux sont proches de la retraite et risquent de ne pas être remplacés. Les médecins présents disent ne pas être en mesure de prendre de nouveaux patients.
En Région parisienne cette situation n’est pas propre à Louveciennes. Pourtant la demande n’a pas diminué, au contraire, la population de Louveciennes est vieillissante, de surcroît trois maisons de retraite sont installées sur son territoire (1). Par ailleurs, le rôle du médecin traitant, dans l’immense majorité des cas un généraliste, est essentiel au système de santé puisqu’il est chargé de coordonner le parcours de soins des patients. Un pan entier de la politique de prévention risque ainsi de ne pas être assuré.
Cette situation de carence médicale programmée suscite bien des inquiétudes dans la population.
Comment en est-on arrivé là ? Les explications de caractère général sont nombreuses. Nous les passerons en revue.
Existe-t-il des solutions pour pallier ces déficits ? Le non-remplacement de médecin généraliste conduit les patients à recourir à des solutions de substitution : Sos Médecins, les urgences des hôpitaux ou à espérer que se créent, proche de chez eux, soit un cabinet de groupe ou encore une maison médicale. C’est d’ailleurs vers cette dernière solution que semble s’orienter le maire de Louveciennes, Pierre-François Viard, qui vient d’annoncer le projet de création d’une Maison médicale dans la commune (2).
Archives DL
Les raisons de la pénurie de médecins généralistes
On citera :
- l’introduction d’un numerus clausus sévère qui a réduit la production de médecins sortant des Facultés ; ce numerus clausus drastique avait été conçu pour limiter les dépenses de santé et par conséquent le déficit de la sécurité sociale ; cependant la démographie médicale va s’améliorer car le numerus clausus a été allégé mais les effets positifs prendront du temps ;
- l’orientation des étudiants de médecine ou plutôt leur choix pour des spécialités mieux rémunérées et moins astreignantes que la médecine générale ; l’attrait pour un exercice professionnel à l’hôpital doit également être noté ; selon l’Ordre des médecins, 1712 médecins généralistes libéraux ont été perdus en France depuis 2003, un quart des jeunes formés en France à la médecine n’exerce pas leur métier ;
- le choix, partagé d’ailleurs par la société française, de trouver un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle ;
- des revenus insuffisamment attractifs : un médecin généraliste du secteur 1 touche 23 € par consultation d’une durée moyenne de 20 minutes, s’il fait bien son travail ; un médecin du secteur 2 fixe librement ses honoraires, ils atteignent 50 € dans les quartiers huppés de Paris et dans certaines communes de banlieue. Les honoraires constituent un revenu brut duquel il faut déduire entre 45 et 55 % de charges ;
- les loyers élevés surtout en secteur urbain ;
- des contraintes réglementaires et administratives excessives; l’Ordre des médecins estime qu’en moyenne un tiers du temps est passé par les médecins en tâches administratives et en réunions, la généralisation du tiers payant va encore accroître les tâches administratives.
Existe-t-il des solutions ?
Indépendamment de celles qui consisteraient à améliorer les revenus des médecins généralistes et à alléger les contraintes administratives, la prise en charge des malades peut se faire selon d’autres modalités que nous évoquerons.
Les Urgences de l’hôpital
Les Urgences sont le service hospitalier qui accueillent et prennent en charge les malades et les blessés qui se présentent d'eux-mêmes ou sont amenés par les services de secours : SAMU (services d'aide médicale urgente), pompiers.... (3)
Il convient de souligner que les services d’urgences sont souvent débordés par un flot de malades qui devraient être pris en charge par d’autres structures. C’est particulièrement vrai lors des épidémies de grippe ou de gastro-entérite. Or les services d'urgence devraient être réservés aux personnes dont l'état de santé nécessite des soins véritablement «urgents» et non à celles qui éprouvent des symptômes bénins qui peuvent être soignés chez eux.
Le recours à SOS Médecins
SOS Médecins existe depuis 45 ans sur un principe : l’urgence et la permanence des soins, 24 heures sur 24 et 365 jours sur 365. Elle est centrée sur la visite à domicile : le déplacement rapide d’un médecin au chevet d’un patient.
Les associations SOS Médecins fonctionnent sur le mode associatif, loi 1901. Les médecins appartenant à ces associations sont des médecins libéraux organisés sur le même modèle qu’un cabinet de groupe classique régi par un contrat d’exercice en commun. Ils sont conventionnés secteur 1. La logistique professionnelle leur est fournie par une société civile de moyens. Chaque association doit être agréée par la fédération et respecter un cahier des charges. Les Centres d’appel SOS Médecins sont tous informatisés et interconnectés avec leur SAMU-Centre 15. Selon la CNAM, SOS Médecins représente 4,4% de l’activité libérale des médecins généralistes. Ses médecins effectuent près de la moitié des visites de milieu de nuit et 40% des visites de dimanche et jours fériés. Le taux d’hospitalisation de patients par SOS Médecins est d’environ 7%.
Il existe une association SOS Médecins installée à Marly-le-Roi qui couvre pratiquement toutes les communes des Yvelines. Elle dispose d’une équipe de 25 médecins qui n’ont pas de cabinet personnel.
Il est certain que si ces médecins peuvent parer au plus pressé, ils ne sauraient remplir le rôle de médecin traitant car n’ayant pas une connaissance poussée du patient (en l’absence d’un dossier médical personnel) ; ils doivent faire confiance à leur diagnostic et aux déclarations du malade (4).
Les cabinets de groupe
Les cabinets de groupe sont créés à l’initiative des professionnels eux-mêmes, des médecins généralistes, des spécialistes qui se regroupent dans un cabinet avec des infirmières, des kinésithérapeutes, un secrétariat.
Des embryons de cabinets de groupe ont fonctionné à Louveciennes mais ils n’ont pas eu de caractère pérenne ; une difficulté existe cependant dans notre commune : il ne semble pas que le besoin de spécialistes existe car ces médecins sont nombreux aux alentours, en libéral ou dans les hôpitaux et cliniques (Parly II, Clinique de l’Europe notamment).
Reste la question de fond : comment attirer des médecins généralistes, jeunes si possibles. Lorsqu’on interroge les jeunes médecins sur leur avenir professionnel, ils mettent en avant comme élément attractif l’existence et la qualité d’un projet professionnel (5). Mais à Louveciennes quel est le professionnel de la santé qui portera un tel projet ?
La création d’un centre ou d’une maison de santé
L’initiative revient le plus souvent à des élus qui, constatant l’impossibilité d’assurer la relève de médecins partant à la retraite, se sont résolus à créer une maison ou un centre municipal de santé (6). Entretemps, ils sont souvent passés, via des cabinets de chasseurs de têtes, par le recrutement d’un médecin (parfois roumain) mais au bout de quelques mois l’expérience s'est révélé être un échec. Ces centres sont actuellement en France de l’ordre de 800 et l’objectif est d’arriver à 1000 en 2017. Cependant des interrogations subsistent, dans bien des cas, sur la viabilité financière de ces centres.
Le Courrier des maires (7) cite l’exemple de la Ferté Bernard, petite ville de 9000 habitants, où un tel centre a été créé avec un investissement dans l’aménagement de locaux municipaux pour 300.000 € et le recrutement de trois médecins salariés contractuels avec des rémunérations alignées sur ceux des praticiens hospitaliers. Le centre salarie également deux secrétaires.
Difficile cependant de comparer Louveciennes à une ville de province car on a parfois tendance à l’oublier, elle fait partie d’une région parisienne très dense et si un manque peu exister dans notre commune, l’offre médicale peut se trouver à quelques pas d’ici, dans une commune contiguë.
Nous avons vu que Pierre-François Viard, le maire de Louveciennes, devant les risques de pénurie de généralistes, a pour objectif de créer, sous peu, une maison médicale.
A ce stade se posent différentes questions (8) parmi lesquelles, sans prétendre à l’exhaustivité, on peut distinguer les suivantes :
Comment attirer et fidéliser des professionnels de la santé ? Une maison de santé est un lieu qui rassemble généralement une équipe pluri professionnelle composée de médecins généralistes, de médecins spécialistes, d’infirmiers, de kinésithérapeutes, de psychothérapeutes…
Quel emplacement retenir ? Quel est le montant des investissements à consentir (locaux, agencement) ?
Comment assurer l’équilibre financier de la maison de la santé ? Un centre de santé a un coût de gestion important, et les centres municipaux sont structurellement déficitaires. Les seules ressources de l’assurance maladie ne permettent pas d’équilibrer les comptes et c’est la subvention du gestionnaire (en l’occurrence la commune) qui permet d’apurer les comptes (14 % des recettes si l’on se fie aux chiffres de l’Igas – 2013).
Nous aurons l’occasion de revenir prochainement sur ce dossier en vous présentant précisément la position de la mairie.
FK
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(1) Saint-Joseph (120 places), Montbuisson (60 places), Clairefontaine-Le Coeur-Volant (102 places).
(2) Annonce faite lors de la Cérémonie des Vœux, 16 janvier 2016
(3) Il faut appeler le Samu (numéro : 15) lorsqu'une personne est dans une situation de détresse vitale : perte de connaissance, troubles neurologiques, douleurs thoraciques ou violentes douleurs d'apparition brutale, difficulté respiratoire, etc.
Il faut appeler les pompiers (numéro 18) lors d'une chute, d'un accident ou d'un traumatisme récente lorsque la personne se trouve dans un lieu difficile d'accès ou que son environnement constitue une menace pour elle (feu, inondation, éboulement...).
(4) Face au désert médical, des centres de consultation SOS Médecins ont vu le jour depuis quelques années. Très récemment la presse s’est faite l’écho d’une installation de SOS Médecins à Louvres (Val d’Oise) avec des consultations le week-end et les jours fériés au sein d’une résidence pour personnes âgées.
(5) Une étude sur l’installation des jeunes médecins généralistes réalisée par le commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) a identifié trois facteurs d’attractivité prépondérants : la qualité et le cadre de vie, l’existence et la qualité d’un projet professionnel collectif et la possibilité d’emploi du conjoint. A priori Louveciennes remplit deux des trois facteurs.
(6) D’autres modes de gestion peuvent exister comme le mode de gestion mutualiste ou associatif.
(7) Le Courrier des Maires, Déserts médicaux, une fatalité que les élus refusent, décembre 2015
(8) L’article L6323-1 du Code de la Santé publique (CSP) définit ainsi les centres de santé :
« - Ils sont créés et gérés soit par des organismes à but non lucratif, soit par des collectivités territoriales, soit par des établissements de santé ;
- Les centres de santé élaborent un projet de santé incluant des dispositions tendant à favoriser l'accessibilité sociale, la coordination des soins et le développement d'actions de santé publique ;
- Les médecins qui exercent en centre de santé sont salariés. »