Anaïs Nin appartient à l’histoire de Louveciennes où elle a habité de longues années. Il était donc naturel de consacrer quelques pages dans notre Tribune de Louveciennes à cette diariste de talent. Nicole Volle, qui a été pendant près d’un quart de siècle responsable de la bibliothèque municipale, était toute indiquée pour nous parler d’Anais Nin et en particulier de sa relation passionnée avec Henry Miller.
L’amour des livres a conduit tout naturellement Nicole Volle au métier de bibliothécaire. Pour elle être bibliothécaire, « c’est avant tout jouer le rôle de passeur, faire se rencontrer les livres et les lecteurs : transmettre ses découvertes littéraires, orienter chacun des lecteurs qui le souhaitent vers les ouvrages qu’ils attendent, mais aussi vers ceux qu’ils n’attendaient pas. »
Nous reprenons ici, avec son autorisation, les textes écrits à l’occasion d’une exposition tenue à Louveciennes en 2003 (« Anaïs Nin : une quête inlassable »), textes qui ont aussi été publiés sur son blog littéraire « Enfin livre ! » > http://enfinlivre.blog.lemonde.fr/
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La Rencontre
À l’automne 1931, par l’intermédiaire de l’avocat Richard Osborn, Henry Miller est invité à déjeuner chez Anaïs et Hugh Guiler, à Louveciennes. Anaïs a vingt huit ans, Henry quarante.
« Lorsque j’ai vu Henry Miller s’avancer vers la porte où j’attendais debout, j’ai fermé les yeux un instant pour le voir de l’intérieur. II était chaleureux, détendu, naturel…Il ressemblait à un moine bouddhiste, un moine à la peau rose, avec son crâne à moitié chauve auréolé de cheveux argentés et sa bouche pleine et sensuelle. »
Cette rencontre improbable marque le début d’une grande amitié littéraire, et d’une liaison passionnée. Malgré les obstacles, ces deux êtres si différents vont s’apporter beaucoup et resteront proches toute leur vie.
À l’époque, ce sont tous deux des écrivains en herbe, autodidactes, amoureux de la littérature, grands lecteurs et graphomanes invétérés : lui écrit d’innombrables lettres, elle alimente son journal de ses moindres pensées. Anaïs vient de terminer son premier livre sur D.H. Lawrence, l’auteur, alors sulfureux, de L’Amant de Lady Chatterley qu’elle a découvert avec enthousiasme, et qui paraîtra au printemps 1932. Henry se prépare à lancer sa première bombe, Tropique du Cancer, livre jugé si scandaleux que, paru en France en 1934, il sera interdit par la censure américaine jusqu’en 1961. L’enfant de Brooklyn qui a quitté, à 33 ans, son emploi de directeur du personnel à la Compagnie des Télégraphes à New-York pour devenir écrivain, mène en France une vie de bohème, sans le sou, hébergé chez des amis.
Rien de plus éloigné de l’univers raffiné, cosmopolite d’Anaïs que celui d’Henry, vagabond obsédé par les femmes, qui aime les prostituées et les rues de Paris, parce qu’elles parlent « le langage triste et amer de la misère humaine, du désir, du regret, de l’échec, de l’effort gaspillé. » Anaïs, elle, est en attente d’expériences nouvelles. « La vie de tous les jours ne m’intéresse pas… Je me sens moi-même, ma maison, ma vie, comme un laboratoire de l’âme bien équipé, où n’a encore commencé aucune expérience explosive, féconde ou destructrice. »
Elle envisage d’abord leur relation comme une amitié littéraire, ils s’échangent leurs manuscrits, se corrigent mutuellement : « Henry a tendance à déborder, à tellement s’étaler qu’il s’y perd. J’arrive à voir ce qui est superflu, trop développé et confus. Mon style est plus sobre, plus condensé et cela m’aide. »
Anaïs pense qu’Henry ne l’intéresse pas physiquement. Comment expliquer alors que seules sont vraiment vivantes pour elle, les heures passées près de lui, avec ce mélange bizarre d’adoration de la vie, d’enthousiasme, d’intérêt passionné pour tout, d’énergie, d’exubérance, de rires et de brusques orages destructeurs.
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