Après l’évocation des relations tumultueuses entretenues par Anaïs Nin avec Henry Miller, Nicole Volle nous raconte l’enfance d’Anaïs marquée par l’abandon du père, ses années de formation puis le mariage avec le très et trop sensible Hugh Guiler.
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L’enfance
Barcelone, 1914 : sur le pont du bateau qui l’emmène aux États-Unis, avec sa mère Rosa, et ses deux jeunes frères Thorvald et Joaquin, une petite fille de 11 ans, Anaïs, pense à son père, passionnément admiré, et qui les a abandonnés. Elle s’imagine « n’avoir pas su le garder. »
Elle commence à écrire, en français, une longue lettre à l’absent, lui contant les péripéties du voyage et ses propres sentiments. C’est l’amorce de son Journal, où elle se réfugiera quotidiennement pour, dit-elle, « penser mes propres pensées, me raccrocher à moi-même, à mon âme. » L’abandon du Père est la clé de la personnalité d’Anaïs.
Anaïs Nin est née à Neuilly, le 21 février 1903. Sa mère, Rosa Culmell, d’origine danoise, a été élevée dans la haute société cubaine. « Ma mère était une jeune fille du monde. Son père était le consul danois à La Havane… Elle avait une belle voix et étudiait le chant… Elle était pleine de vie et d’entrain. » Compositeur et pianiste espagnol de renom, Joaquin Nin, le père d’Anaïs, sillonne les routes de France et d’Europe au gré de ses concerts, et les déménagements rythment la vie de la famille. Grand séducteur, homme égoïste et futile, il jette sur sa fille des regards ambigus : « il aimait prendre des photos de moi, tandis que je me baignais. Il me voulait toujours nue. » Plus tard, il l’appellera « la laide petite fille », et elle n’aura de cesse, toute sa vie, « de plaire à mon père, de plaire au monde entier », pour être aimée et rassurée. Rosa, qui était cantatrice, a abandonné sa carrière pour se consacrer à son mari et à ses enfants. Mais les nombreuses liaisons du père créent une vive tension dans la famille.
En 1913, Anaïs tombe gravement malade : « pour ma convalescence, nous sommes allés à Arcachon où Papa se trouvait déjà…Quelques mois plus tard, Papa nous quitta, apparemment pour une autre tournée de concerts, mais en réalité sans la moindre intention de retour. «
Réfugiée un temps avec ses enfants à Barcelone, Rosa part retrouver ses sœurs à New-York et compte sur une forte communauté musicale pour vivre. Dès son arrivée, Anaïs juge la ville inhospitalière. Son journal, qui est son moyen de survie, ne la quitte plus. Rosa la surnomme la petite fille qui écrit trop. Souvent malade, Anaïs s’absorbe dans ses lectures : « je lisais avidement, avec ivresse et par ordre alphabétique, les livres de la bibliothèque. » Mais la vie est rude aux États-Unis. Anaïs a 15 ans, et doit arrêter ses études pour gagner un peu d’argent. Elle sera mannequin. Elle n’est plus la fervente petite catholique espagnole de son enfance, ayant « perdu mes illusions », écrit-elle, sur un Dieu qui n’exauçait pas mes prières (le retour de mon père). À 19 ans, Anaïs est une belle jeune fille, gracile, romantique et prude, qui oscille entre la soif d’aventures et le désir d’introspection. Elle découvre son grand pouvoir de séduction.
La fiancée, la jeune mariée
Dans un bal, Anaïs a rencontré le beau et sensible Hugh Guiler.
Né à Boston, issu de la haute bourgeoisie protestante, il a étudié la littérature anglaise et l’économie à l’Université de Columbia, et travaille à la National City Bank of New-York. Il écrit des poèmes et tient, lui aussi, un journal. Anaïs et Hugh se fiancent en secret malgré l’hostilité des deux familles. Les parents d’Hugh envoient leur fils en Europe, Rosa fait partir sa fille à Cuba.
Le 3 mars 1923, ils se marient dans une petite église de La Havane. Anaïs a 20 ans. Elle aime son mari mais elle doit affronter lesdémons d’une imagination trop sensible, et se rendre à l’évidence. « Un homme gentil au cœur noble m’ennuie, mes préférés sont pleins de défauts. »
Elle a découvert Proust, qui sera son modèle, et, plus récemment, l’écrivain anglais D.H.Lawrence, qui l’a enthousiasmée. Peintre des sensations, de l’instinct, de l’intuition, il a réveillé la femme en elle, ce que n’avait pas fait la très puritaine Amérique. Elle lui consacre un essai.
John Erskine, écrivain et universitaire, dont Hugh fut un fervent disciple, l’a félicitée pour son ouvrage… et n’est pas insensible à son charme. « Vous êtes comme un petit faune, si sensible, si menue, si merveilleuse, chère et tendre païenne. »
Hugh et Anaïs mènent une vie mondaine intense. Anaïs prend des cours de danse espagnole, qui émoustillent sa sensualité naissante. Hugh et elle se plongent dans la littérature érotique. Malgré sa tendresse pour son mari, Anaïs est une femme insatisfaite qui connaît des périodes de dépression. Indocile, active et affamée, elle recherche l’extase sous toutes ses formes.
En 1929, le krach boursier oblige les Guiler à quitter leur bel appartement boulevard Suchet, pour une petite maison à Louveciennes.
Nicole Volle
Ce texte a été présenté dans le cadre d’une exposition réalisée par la Mairie de Louveciennes en novembre 2003, « Anaïs Nin : une quête inlassable » ; il a été republié le 17 octobre 2009 dans le blog littéraire de Nicole Volle « Enfin livre ! » > http://enfinlivre.blog.lemonde.fr/
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