« Ca y est ». En essayant de sortir vainement sa voiture du garage, en ce tout début de matinée, sous le ciel très gris de janvier 2028, Robert comprit que sa situation ainsi que celles de ses compatriotes Louveciennois ne serait plus la même. Il le pressentait mais il ne pensait pas que cela arriverait aussi vite. En parcourant à pied une centaine de mètres autour de son domicile, il lui fallut se rendre à l’évidence. Tout Louveciennes était bloqué, irrémédiablement bloqué, en ce lundi bien ordinaire. Aucune trace de neige ou de verglas cependant qui aurait pu expliquer la thrombose. Il est vrai qu'en raison du réchauffement climatique en cours, aucune neige n'était tombée depuis une vingtaine d'années. Il fallait rechercher d'autres causes.
Au cours des derniers mois, déjà, les rues de Louveciennes n’étaient plus qu’un immense parking, la circulation se faisant d’une manière très ralentie, pas plus de 5 kilomètres à l’heure, ce qui avait réjoui l’association «Louveciennes En Marche» et son estimé Président, mais cela n'avait pas empêché ce dernier, souvent furibard, de lancer une pétition contre les émanations de gaz et d’essence des moteurs à explosion. On avait beaucoup placé d'espoirs dans les véhicules électriques, mais malgré la multiplication des bornes, financées par le contribuable, leur taux d’utilisation restait encore décevant.
Certains experts avaient bien pronostiqué que la situation en matière de circulation allait empirer à Louveciennes en raison du relief des lieux mais sans aller jusqu’au blocage total. Le réseau routier dans la commune était resté dans son jus des années soixante, 1960, des temps immémoriaux que seuls quelques anciens ont pu connaître. Le bon temps paraît-il.
Respectant à la lettre la loi SRU, la commune avait autorisé la construction des 400 logements sociaux qui manquaient pour atteindre le pourcentage requis de 25 %. Afin de conserver l’équilibre électoral, orienté à droite, le maire de la commune, avait favorisé la construction d’appartements de luxe. Quelques déclassements de terrains, quelques modifications du règlement du plan d’urbanisme votés en urgence au conseil municipal avaient permis une plus grande densification. On a même vu des immeubles se voir coiffer de deux étages supplémentaires. Des maisons sur les toits, recommandées par un bureau d'études bien introduit à la mairie, avaient donné un cachet particulier au village des impressionnistes que certains commençaient à appeler mais d’une manière exagérée, le village aux mille toits. Louveciennes dépassait maintenant allègrement les 10.000 habitants.
L’obligation d’adjoindre à chaque logement nouvellement construit un garage avait été appliquée avec beaucoup de souplesse ; s’agissant des logements sociaux, il était bien connu que leurs habitants n’avaient pas besoin de voitures, quant aux bobos, ils n’en avaient pas besoin non plus puisque les nouvelles mobilités allaient conduire à « une évaporation du trafic ».
On avait bien essayé de familiariser les Louveciennois à pratiquer la trottinette électrique, la monoroue à gyropode, la planche à roulette et bien entendu le vélos électrique. Quelques audacieux s'y risquèrent, un magasin spécialisé dans la vente de ces engins s'installa dans le centre du village mais las !, au bout de quelques mois, l'engouement cessa, le magasin périclita et ceci malgré une belle subvention municipale.
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