Bougival est avec les communes avoisinantes de Chatou, Croissy, Louveciennes et du Port-Marly et le paysage qui les entoure le véritable berceau de l’impressionnisme (1). Le choix de cette région s’explique aisément. Ces sites, inscrits dans une boucle de la Seine et adossés à des coteaux boisés ou couverts de vignes et d’arbres fruitiers, sont d’une grande beauté. Bougival présente également l’avantage d’être à 17 km de Paris, d’être commodément accessible, en ce milieu du XIXème siècle, grâce au chemin de fer reliant la gare Saint-Lazare à Rueil et de là, un omnibus à chevaux amène à destination. Les Parisiens par milliers prennent l’habitude de venir passer le dimanche au bord de la Seine. Pour les accueillir, des guinguettes, des barques en location, des fêtes nautiques, des bals,… qui se succèdent durant la belle saison. D’autres citadins passent franchement l’été, la semaine, la journée dans des châteaux ou maisons de campagne ou encore dans de simples maisons de village en location.
Les grands peintres impressionnistes (Claude Monet, Alfred Sisley, Camille Pissarro, Auguste Renoir…. vont y réaliser des toiles parmi les plus célèbres). Avant eux, des maitres comme Corot, Turner avec son célèbre tableau Le débarcadère de l’île de Croissy à Bougival (1831) ont magnifié le lieu. Bougival n’est plus franchement un bourg rural. La commune a également une face plus laborieuse qu’on ne trouve que rarement dans les toiles des impressionnistes.
Huit toiles d’Auguste Renoir ont été identifiées comme ayant été peintes à Bougival (2) parmi lesquelles figurent Vue de Bougival (1873), Bords de Seine à Bougival (1875), Sur la Terrasse (Les deux sœurs) (1881), Canotage à Bougival (1881), Danse à Bougival (1882). Renoir n’a jamais séjourné dans la commune, contrairement à son ami Monet, mais dans celle toute proche de Louveciennes. On sait également que Berthe Morisot, grande figure de l’impressionnisme, a vécu et travaillé à Bougival où elle a loué une maison de campagne et s’y est installée chaque été entre 1881 et 1884.
Vue de Bougival
1873
Huile sur toile
49,5 cm x 57,1 cm
Milwaukee Art Museum
(Fichier Wikimedia Commons
Le tableau date de 1873, c’est-à-dire quatre ans après les toiles révolutionnaires de La Grenouillère. Il reste dans la pure veine impressionniste avec l’utilisation de la technique particulière de la touche fragmentée. Vue de Bougival a été peint sur l’île de la Chaussée située au milieu de la Seine, au large de Bougival, à l'emplacement du fameux bal des canotiers.
Au premier plan, un chien couché ; au centre de la toile, selon un plan horizontal on distingue de gauche à droite une cabane en bois peinte qui faisait office de guinguette, un couple bourgeois, elle habillée d’une belle robe blanche à crinoline et tenant dans une main une ombrelle, lui en habit noir et portant le chapeau de rigueur, puis la Seine avec des yoles attendant les clients ; de l’autre côté du fleuve, on aperçoit des maisons de Bougival avec au loin la colline qu’on appellera plus tard la colline des impressionnistes.
La vision est bucolique. Quel contraste avec la toile de Camille Pissarro Le lavoir de Bougival (1872) qui donne à voir un paysage touché par l’industrialisation, aspect totalement ignoré par Renoir. Bien que d’origine modeste, on cherchera en vain dans ses tableaux la trace de gens exerçant un dur labeur. Il reste avant tout le peintre des instants de bonheur.
Sur la terrasse (Deux soeurs)
1881
Huile sur toile
100,5 cm x 81 cm
Institute of Art, Chicago
(Fichier Wikimedia Commons)
Réalisée en 1881, l’année du célébrissime Le Déjeuner des canotiers à Chatou, cette toile donne également une place importante aux figures. Initialement appelée Les Deux soeurs, on lui a substitué le nom Sur la terrasse (les deux filles représentées n’étaient en réalité pas des soeurs). Elle a vraisemblablement été peinte à Bougival, sur l'île de la Chaussée.
Le tableau se caractérise par ses couleurs saturées, intenses
Au premier plan, installées sur la terrasse devant une balustrade fer forgé, les deux jeunes filles posent naturellement. La plus jeune, couronnée de fleurs de toutes les couleurs, nous regarde avec ses beaux yeux bleus, l’aînée au regard plus mystérieux porte une robe d’un bleu intense et un magnifique chapeau rouge.
En arrière plan des arbres au feuillage tendre laisse voir la Seine et ses bateaux dédiés au loisir, au plaisir. Il émane de ce tableau une grande légèreté, une belle sérénité.
Le tournant
Entre 1881 et 1883, Renoir effectue de nombreux voyages, dans le sud de la France, à l'Estaque, où il rend visite à Paul Cézanne, en Afrique du Nord où il réalise des paysages, en Italie où il étudie les œuvres de Raphaël (les Stanze di Raffaello du palais du Vatican). Renoir traverse une crise : « Vers 1883, il s’est fait comme une cassure dans mon œuvre. J’étais allé jusqu’au bout de l’impressionnisme et j’arrivais à cette constatation que je ne savais ni peindre ni dessiner. En un mot, j’étais dans une impasse ». Si Renoir reste dans le mouvement impressionniste, dans ses toiles les traits seront plus marqués, les détails plus finis. On estime que Renoir récupère la forme qui a disparu au cours de sa période pleinement impressionniste (La Grenouillère). Pour l’observateur de son oeuvre, il semble cependant que le tournant avait déjà été largement amorcé, dès 1880. Qu’on veuille bien regarder attentivement deux des tableaux que nous avons présenté dans notre série (Le Déjeuner des Canotiers, La Terrasse).
Le thème de la danse
Trois tableaux vont témoigner de la nouvelle évolution du peintre. Ils résultent d’une commande du collectionneur et marchand d’art Paul Durand-Ruel avec comme thème la danse, un même couple de danseurs dans un environnement chaque fois différent. Cela donnera Danse à Bougival qui est au Musée des beaux-arts de Boston, Danse à la ville et Danse à la campagne qui sont accrochés au Musée d’Orsay.
Ce triptyque est composé de trois panneaux de grande dimension (1,80 m de hauteur)
Danse à Bougival
1882/1883
Huile sur toile
181,9 cm × 98,1 cm
Museum of Fine Arts, Boston, Massachusett
La scène se déroule à Bougival, sur l'île de la Chaussée, dans un café de plein air, où les clients viennent respirer l’air frais à l’ombre des arbres tout en désaltérant (avec visiblement de la bière). Tous les dimanche soirs, un bal était organisé, le fameux bal des canotiers qui a connu à l'époque, un immense succès.
Au premier plan, dominant la composition, on voit un couple en train de danser une valse. La jeune femme porte une longue robe blanche aux bordures roses et un bonnet rouge orné de fruits. La blancheur de sa robe et de son visage sont pleinement mis en évidence.
L’homme au costume bleu sombre, arbore un chapeau de paille qui cache son regard, mais laisse cependant apparaitre une barbe et une moustache rousses. La belle danseuse n’est pas insensible à son charme ce que semble suggérer sa main posée sur son cou.
Au fond, les clients du café où émergent d’une façon étonnante des hauts-de-forme, ce qui nous paraît actuellement bien incongru, nous qui sommes habitués à un laissez-aller assez général.
Le modèle de la jeune femme est Marie-Clémentine devenue Suzanne Valadon. Cette belle femme aux cheveux roux flamboyant a servi de modèle à de nombreux peintres (Renoir bien sûr mais également Toulouse-Lautrec, Puvis de Chavannes, Modigliani). Elle sera plus tard célèbre comme peintre et mère de Maurice Utrillo.
Le danseur est un ami de Renoir, Paul Auguste Lhote, séducteur notoire.
ER
(1) « L’impressionnisme et le paysage français », 1985 édité par la Réunion des musées nationaux à l‘occasion d’une exposition sur ce thème à Los Angeles, Chicago et Paris. Voir plus particulièrement le chapitre « Le berceau de l’impressionnisme ».
(2) Information figurant sur le site internet de la mairie de Bougival.
Nous recommandons également de consulter le bel ouvrage, très documenté et bien illustré, d'Anthony Lacoudre "Ici est né l'impressionnisme. Guide de randonnées en Yvelines" (Editions de Valhermeil).