Pierre-Auguste Renoir a une relation très forte avec Louveciennes. Ses parents, Léonard et Marguerite, quittent Ville d’Avray en 1869 pour s'installer dans le village et pour y demeurer jusqu’à leur décès. Il vient souvent leur rendre visite et fait découvrir Louveciennes à Pissarro et à Sisley.
Renoir va séjourner à de nombreuses reprises à Louveciennes. Il y peint un certain nombre de paysages. Il faut cependant reconnaître que ses tableaux sur Louveciennes sont loin d’atteindre la haute qualité de ceux peints par ses amis Sisley, Pissarro ou Monet.
Il se montre enthousiaste pour Louveciennes qu’il décrit ainsi à un ami, le critique d’art, Gustave Geffroy :
« Quand vous voudrez voir ou revoir un des plus beaux pays qui soit à une heure de Paris, vous n’aurez qu’à prendre un train quelconque gare Saint-Lazare et venir manger petits pois et fraises du pays matin et soir. » (1867)
Une autre description empruntée à Victorien Sardou, l’auteur dramatique, permet d’avoir une impression du Louveciennes de cette époque (1867) :
« D’un côté des vignes en étages, d’un autre côté ce creux tout foisonnant en verdure ; en face, des maisonnettes perdues dans le feuillage … et couronnant le tout, les belles arcades de l’aqueduc qui donnent à ce paysage un grand air italien - En somme, la plus délicieuse arrivée de pays qu’on puisse voir ! - De quelque côté où vous vous tourniez les yeux, les lignes de terrain se raccordent par les ondulations les plus douces, et avec les plus heureux contrastes de lumière et de verdure. Partout l’espace, l’air vif, ces mille parfums champêtres, ce grand silence, tout plein de bruits confus… enfin je ne sais quoi, qui résulte à la fois du ciel, de la franchise du vent, du cri de l’oiseau… et qui vous dit clairement « Voici le vrai village ! Tu peux entrer ; ôte ton habit, si tu as chaud - chante si tu est gai ! - Tu n’offenseras ici personne » (in Paris-Guide, 1867)
Dans cette description de Louveciennes manquent les châteaux et les grandes demeures appartenant à la haute bourgeoisie à l’abri de leurs murs de pierre ; ils seront largement ignorés, il est vrai, par les impressionnistes.
Les années décisives
En 1869-1870 Auguste Renoir demeure place Ernest Dreux (à l’époque Place Bellevue) dans le hameau de Voisins. Il travaille en particulier avec Claude Monet qui était installé dans des conditions précaires avec sa compagne, Camille Doncieux, au Hameau Saint-Michel à Bougival, tout proche. C’est pendant les deux mois de l’été 1869 qu’ils vont peindre les fameux tableaux de La Grenouillère. Dans une lettre à Frédéric Bazille il écrit : « je suis chez mes parents et je suis presque toujours chez Monet (… ) On ne bouffe pas tous les jours, seulement je suis tout de même content parce que pour la peinture Monet est une bonne société. » (août 1869)
Depuis la maison place Dreux il peint plusieurs tableaux dont Vue sur Louveciennes, 1870 (Collection particulière) et La vallée de la Seine vue de Louveciennes, 1871 (Collection particulière).
De cette époque date également Une route à Louveciennes.
Une route à Louveciennes
Vers 1870
Huile sur toile
38,1 cm x 46,4 cm
Metropolitan Museum of Art de New York
(Fichier Wikimedia Common
Ce tableau est également dénommé par certains «Promenade dans un parc ». Il ne s’agit en réalité pas d’un parc, le chemin se situe au niveau de la gare actuelle. La maison qu’on aperçoit fait partie du hameau de Voisins. Au fond on devine l’aqueduc.
De la nature foisonnante et enveloppante émerge une famille effectivement en promenade, la femme, en robe blanche à crinoline et coiffée d’un chapeau rouge, l’homme en noir tenant un canne, à leur côté une petite fille en robe blanche, les suivent, une femme vêtue de noir et un jeune garçon.
Renoir aime bien cette immersion de personnages dans la nature, on la retrouve dans d’autres toiles comme dans le remarquable Chemin montant dans les hautes herbes (idée de composition qu’il partage d’ailleurs avec Monet)
En septembre 1870, mobilisé lors de la guerre franco-prussienne, Renoir quitte Louveciennes. Il revient après la guerre et s’installe chez ses parents en mars 1871. Il peindra plusieurs tableaux dont celui que nous reproduisons ci-après.
Rue de village, Louveciennes
1871-1872
sur toile
38 cm x 46 cm
Collection particulière
A partir de 1872, Renoir n’habite plus Louveciennes de façon permanente ayant élu domicile à Paris.
Le 22 décembre 1874, Léonard Renoir meurt, son épouse s’installe alors dans une petite maison, au bas de l’avenue Saint-Martin, face à l’entrée du château de Voisins. Cette maison a été peinte par Renoir sous le titre Rue de village ou La Provende des poules (1895).
Entre 1880 et 1883 il revient peindre à Bougival et à Chatou dont certains chefs d’oeuvre que nous avons signalés et décrits dans nos précédents articles (Le déjeuner des canotiers à Chatou, Danse à Bougival).
En 1881, Elisa, sa soeur et son mari Charles Leray, graveur de son état, viennent s’installer 5, place Bellevue (connue sous le nom de la place Dreux actuellement) dans l’Enclos de la Machine ; Marguerite, sa mère, déménage pour s’installer 2, rue du Pont (1881-1891). Agée de plus de 70 ans, sa santé donne des signes d’inquiétude. Pierre-Auguste, qui a épousé Aline Charigot, en 1890 et qui habite Paris, rend visite à sa mère chaque jeudi soir. En 1891, les Leray emménagent 21, Grande Rue (actuellement 47, rue du Général Leclerc, face à la mairie). Ils y resteront 4 ans ; en 1895, ils déménagent à nouveau pour s’installer aux « Poiriers », une petite maison étroite, 18, route de Versailles. C’est là où Mme Renoir mère meurt subitement le 12 novembre 1896. Les Leray resteront aux « Poiriers » jusqu’en 1901. Auguste Renoir viendra souvent aux « Poiriers » ce qui ne l’empêchera pas, à plusieurs reprises , de louer pour l’été, l’une ou l’autre maisons de villages.
Jeanne Baudot, le modèle, l’élève, l’amie
Jeanne Baudot est la fille du Docteur Emile Baudot, médecin-chef de la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest et médecin de famille à Paris d’Auguste Renoir. Celui-ci vante les charmes de Louveciennes au praticien si bien qu’il le convainc d’acheter une jolie maison au bout de la Grande-Rue (au 4, rue du Général Leclerc actuellement). Cette maison existe toujours.
Jeanne deviendra l’élève du peintre, son unique élève. Renoir se liera d’amitié avec elle. En 1896, elle sera d’ailleurs la marraine du deuxième fils du peintre, Jean, le futur grand metteur en scène. Il disposera aussi d’un atelier dans la maison Baudot pendant une quinzaine d’années de 1897 à 1914. Quand il habitait dans le midi de la France, il loua l’été entre 1897 et 1915 une maison rue de Montbuisson dont le jardin jouxtait celui de Jeanne Baudot.
Au cours de cette époque, Renoir peint ses derniers paysages à Louveciennes La route de Louveciennes (1895), Rue du village ou la provende des poules (1895).
Route de Versailles à Louveciennes
1895
Huile sur toile
32,6 cm x 41,5 cm
Palais des Beaux Arts de Lille
Avec ce tableau datant de 1895, Renoir reprend un thème cher à ses amis Monet et Pissarro qui ont peint cette route à plusieurs reprises vingt-cinq ans plus tôt. Il s’agit ici de la portion de route descendante menant de Louveciennes à Port-Marly. La petite silhouette qu’on aperçoit sur la droite est celle de Jeanne Baudot.
Rue de village ou la Provende des poules
1895
Huile sur toile
H : 0,60 cm L : 0,73 cm
Collection particulière
La mère de Renoir a habité la maison qui apparaît sur la toile de 1874, année du décès de son mari, jusqu’en 1881. Le peintre a exécuté ce tableau alors que sa mère n’habitait plus cette maison depuis près de 15 ans.
Cette maison est située face à l'entrée du château de Voisins, propriété actuelle de la BNP et dédiée à son centre de formation. Renoir a placé son chevalet juste devant l’entrée du château en lui tournant le dos. On reconnait bien la maison dont la facade a été légèrement modifiée depuis. Sur ce tableau on découvre une paysanne nourrissant ses poules, dans le fond une carriole s’éloigne sur la route.
Sisley a peint un tableau au même endroit, sous le titre de Rue du Village réalisé beaucoup plus tôt (1872). Il habitait rue de la Princesse un peu en contrebas.
(Photo Chantal Régnier)
Renoir réalise plusieurs portraits de Jeanne Baudot parmi lesquels le Portrait de Jeanne Baudot de trois quarts et de face, Jeanne Baudot en chapeau vert et Portrait de Jeanne Baudot.
Portrait de Jeanne Baudot de trois-quarts et de face
1896
Huile sur toile
Collection particulière
(Fichier Wikimedia Commons)
Etude, Jeanne Baudot en chapeau vert
1896
Huile sur toile
Collection particulière
(Fichier Wikimedia Commons)
En 1906, Maurice Denis peint un tableau bien émouvant où l’on voit Auguste Renoir portant barbe blanche et chapeau, les mains déformés par les rhumatismes face à Jeanne Baudot (Renoir et Mademoiselle Baudot - collection particulière)
L’ œuvre de peintre de Jeanne Baudot est consacrée essentiellement au portrait, au paysage ou à la nature morte. Les Louveciennois retiendront en particulier Le château du Pont en hiver, effet de neige (1948). Elle est morte à Louveciennes le 27 juin 1957.
ER
Sources
- Nous avons emprunté à Jacques & Monique Laÿ, Louveciennes, mon village, 2ème édition, 1989, pp 47 à 50 les passages où nos auteurs relatent précisément les séjours de Renoir à Louveciennes.
- « L’impressionnisme et le paysage français » édité par le Ministère de la Culture à l’occasion d’expositions tenues au Los Angeles County Museum (28 juin - 16 septembre 1984), au The Art Institute de Chicago (23 octobre 1984 - 6 janvier 1985) et à la Galerie nationale au Grand Palais (4 février 1985 - 22 avril 1985). On lira en particulier le chapitre 2 « Le berceau de l’impressionnisme ».
- Anthony Lacoudre « Ici est né l’impressionnisme. Guide de randonnées en Yvelines. », Editions de Valhermeil,