« Don't Look Up : Déni cosmique » a été indiscutablement un des évènements cinématographiques de ces dernières semaines. Il a été vu par des millions de personnes à travers le monde sur la plateforme Netflix. Il concourt pour décrocher un ou plusieurs Oscars.
La satire est cruelle. Prennent pour leur grade les grands médias (la télévision, la presse) et leur volonté de faire avant tout de faire de l’audience, les politiques uniquement obnubilés par la conquête puis le maintien du pouvoir, les adeptes fanatiques des réseaux sociaux qui chassent en meute, les gourous-entrepreneurs de la Silicon Valley avec leurs discours doucereux mais qui en même temps s’enrichissent d’une manière éhontée.
Mais toutes ces dérives sont également liées aux faiblesses des comportements humains. Ils nous empêchent de faire face aux énormes défis qui se posent à l’humanité (le réchauffement climatique, l’explosion démographique, la faim dans le monde, les pandémies, la dissémination des armes nucléaires, la montée des fanatismes notamment religieux,…).
La démocratie minée par l’individualisme est également en danger dans nos pays ; on observe quotidiennement des dérives inquiétantes.
Ce film provoque un plaisir jubilatoire tout en ouvrant des abîmes de réflexion. Le spectateur s’amuse beaucoup à son côté burlesque servi par une pléiade d’acteurs éblouissants.
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Pour ceux qui n’auraient pas vu le film
Deux astronomes américains, le professeur Randall Mindy (Leonardo DiCaprio) et la doctorante Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence), identifient, par hasard, une comète géante, large d’une dizaine de kilomètres, qui fonce droit sur la Terre qu’elle va détruire totalement dans six mois.
(Les deux astronomes incarnés par Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence)
Ils entreprennent alors d’alerter les politiques au plus niveau puis les médias et le grand public. Dans un premier temps ils avertissent « Teddy » Oglethorpe, directeur du Bureau de coordination de la défense planétaire ainsi que la NASA qui sont convaincus de la justesse de leur prévisions. Rendez-vous est alors pris à la Maison Blanche pour informer la Présidente des Etats-Unis, Janie Orlean (Meryl Streep). Après avoir dû patienter une journée entière, ils sont enfin reçus par la Présidente en présence du chef du cabinet qui n’est autre que son fils. Ils essaient de lui expliquer la gravité de la situation. La Présidente, en tailleur rouge, longue chevelure blonde, est plus préoccupée par les élections de Mi-Mandat que par la catastrophe prophétisée par nos deux braves astronomes, qui viennent il est vrai d’une université, celle du Michigan, dont la notoriété ne saurait égaler celle de Harvard ou de Princeton. Sa conclusion : « Pour le moment, je propose qu’on patiente et qu’on avise ». Dans sa logique, c’est clair : « Si l’info sort avant les élections, on perd le Congrès, et on ne peut plus rien faire. »
(Dans le bureau ovale, au fond, La Présidente, Meryl Streep, au premier plan, les deux astronomes)
Devant cet échec, Mindy et Dibiasky décident de s'adresser au grand public en se prêtant à une apparition à la télévision. Ils sont invités dans l'émission The Daily Rip, dont les co-présentateurs sont Brie Evantee, une belle blonde oxygénée (Cate Blanchett) et Jack Bremmer (Tyler Perry), un noir à la carrure impressionnante et à la voix grave. Ils ne sont pas les seuls invités de l’émission qui fonctionne sur le principe de l’infotainment, mélange de l’actualité sérieuse avec le divertissement. L’émission commence par l’évocation d’un scandale de mœurs concernant le sheriff Conlon que la Présidente veut nommer à la Cour Suprême. On passe ensuite à une vedette de la chanson, Riley Bina, qui est sous les feux de l’actualité depuis la rupture avec son petit ami le DJ Chello. Le clou de l’émission sera d’ailleurs leur réconciliation grandiloquente en direct live à l'antenne.
C’est enfin le tour de nos deux scientifiques à qui il est conseillé d’être « léger, marrant » ; en exposant les faits, ils ont droit au regard moqueur des co-présentateurs ainsi qu’à des remarques propres à les ridiculiser. Ainsi lorsque sur un ton rigolard le co-présentateur s’enquiert « Ce truc fait quelle taille ? Cela peut détruire la maison de mon ex-femme ? Est-ce possible ?» Kate Dibiasky hurle qu’elle est sûre « à 100 % qu’on va tous crever », avant de quitter écoeurée le plateau laissant seul un Randall Mindy désemparé. Brie Evantee conclut la séquence par « Le bel astronome peut revenir mais la dame qui crie, on va éviter ».
Après cette émission, les réseaux sociaux se déchainent contre Kate.
(Emission The Daily Rip, de gauche à droite, Cate Blanchett, Tyler Perry, Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence)
Un autre média qui prend cher est la presse. Plus particulièrement visé un grand quotidien new yorkais que de nos scientifiques veulent convaincre du bien fondé de leurs prévisions. Avec beaucoup de suffisance la rédaction estime que l’information est bidon, en guise d’adieu le rédacteur en chef leur lance «Je vous souhaite une agréable fin des temps ».
Les ennuis ne vont pas cesser pour la pauvre Kate, son petit ami Phillip qui travaille pour le site Autopsy publie un article de malotru « Vous connaissez cette fofolle qui pense que nous allons tous mourir ? J'ai couché avec elle » ce qui provoque évidemment leur rupture. Elle sera même un temps arrêtée par le FBI qui lui fait signer un document dans lequel elle s’engage de ne plus prendre la parole. Même ses parents lui ferment leur porte.
Randall Mindy emprunte un chemin plus tortueux. Séduit par Brie Evantee, il entame une relation avec elle ce qui met son mariage en danger. Il devient, lui qui est au départ un scientifique honnête, conseiller de la Présidence et en même temps une star des médias, jusqu’au jour, à nouveau invité dans l'émission The Daily Rip, il se met à hurler en parlant d’un astéroïde « aussi grand que le mont Everest » qui est en train de foncer sur la Terre et de la détruire ; pour lui la Présidente des Etats-Unis et son entourage ont « complètement pété les plombs ». Il est alors arrêté, puis relâché, et revient dans le Michigan pour tenter de reconquérir son épouse et sa famille.
Les Etats-Unis contre-attaque
La comète se rapproche et devient de plus en visible. La population prend peur. La Présidente Orlean mène une campagne autour du slogan Don't Look Up (Ne regardez pas en l'air), mais elle finit par ne plus convaincre devant une foule qui exprime sa colère.
Après beaucoup d’atermoiements, et après avis des plus hautes autorités scientifiques, la Présidente autorise le lancement d’une mission ayant pour but de faire dévier la comète de sa trajectoire grâce à des tirs de missiles nucléaires.
Cette mission est interrompue par la Présidente sur les conseils intéressés de Sir Peter Isherwell qui se trouve être le plus gros donateur de ses campagnes électorales. Peter Isherwell est le créateur de l'entreprise technologique Bash Cellular qui commercialise notamment des smartphones haut de gamme. Grâce au recueil d’innombrables données personnelles, le déroulé de la vie de toute personne et notamment les conditions de sa mort peuvent être dévoilés. « Nos algorithmes peuvent prédire votre mort avec 96,5 % d’exactitude » affirme Peter Isherwell. C’est ainsi qu’il annonce à la Présidente qu’elle mourra tuée par un « Brontéroc ».
(La Présidente Orlean en conversation avec Peter Isherwell)
Isherwell, on le devine, est un avatar des dirigeants qui sévissent dans la Silicon Valley, un Elon Musk (Tesla, Space X), un Mark Zuckerberg (Facebook), un Jeff Bezos (Amazon) ou encore un Tim Cook (Apple). Des gens qui veulent notre bien tout en amassant des fortunes colossales.
Dans le film, Peter Isherwell et les équipes de Bash ont découvert que la comète contenait d’énormes quantités de métaux précieux, représentant des dizaines de milliers de milliards de dollars. Une nouvelle mission confiée cette fois-ci à Bash va consister à envoyer des drones sur la comète; y placer des explosifs et ainsi la transformer en dizaines de météorites dont l’impact sur la Terre sera beaucoup moins dévastateur.
Mais la grandiose opération échoue. Isherwell et Orlean s’enfuient alors dans un vaisseau spatial avec quelques amis milliardaires.
Quant aux héros de l’aventure, réunis dans la maison de Randall Mindy pour un dîner, ils attendent la fin en dégustant une tarte aux pommes accompagnée d’un excellent café. Randall exprime un dernier regret : « C’est vrai, quand on y pense, on avait vraiment tout. »
Epilogue
Le vaisseau dans lequel ont pris place Isherwell, Orlean et leurs amis arrive, des dizaines de milliers d’années plus tard, sur une planète habitable. Les passagers sortent de leurs capsules cryogéniques pour fouler cette terre inconnue. Janie Orlean s'approche alors d’un animal curieux, sorte d’autruche dotée d'un grand bec. Un Brontéroc ! La bête ouvre son bec et, couic, bouffe celle qui fut la Présidente des Etats-Unis d'Amérique. Les Brontérocs se mettent à encercler les survivants. Isherwell donnent alors aux anciens Terriens un conseil d’une grande sagesse : « Surtout, ne les caressez pas ! ». C’est drôle et absurde à la fois.
Dans la dernière scène du film, Jason Orlean, qui avait été oublié sur Terre, s’extrait d'un amoncellement de gravats, en tenant dans ses mains le sac de sa mère en criant d’une manière pathétique « Maman ! ». Il enregistre ensuite une vidéo sur son téléphone : « Salut les gens, je suis le dernier survivant sur Terre. C'est la merde. N'oubliez pas de liker et de vous abonner, on lâche rien ! ». Le bouffon ultime.
Métaphore sur le réchauffement climatique
Le film indépendamment de ses qualités, a suscité de nombreuses analyses et commentaires autour des réactions de nos sociétés face aux conséquences du réchauffement climatique.
Ainsi pour le climatologue Michael E. Mann, le film « traite de la manière dont les preuves accablantes d’une menace scientifique sont ignorées pour des raisons politiques et idéologiques. Il aborde la façon dont de puissants lobbys, motivés par le profit, bloquent l’action lorsqu’elle ne convient pas à leurs intérêts et promeuvent de prétendues fausses solutions dont ils peuvent personnellement tirer profit. » Michael E. Mann constate qu’il est particulièrement difficile pour les scientifiques de sensibiliser le public d’où « les gens résistent aux messages et aux réalités qu’ils ne veulent pas entendre. Comme nous ne pouvons pas faire irruption par la porte d’entrée, l’humour et la satire offrent une porte latérale – ce que fait le film. » (*)
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(*) Entretien avec le climatologue américain Michael E. Mann, directeur du Earth System Science Center de l’université de Pennsylvanie, publié dans Le Monde du 4 janvier 2022
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Informations sur le film
« Don't Look Up : Déni cosmique » est une comédie écrite et réalisée par Adam McKay qui est sortie le 24 décembre 2021, en diffusion mondiale, sur la plateforme Netflix.
Le film a rencontré un très grands succès.
Il s’agit du 8ème film d’Adam McKay qui avait déjà réalisé un magistral « Big Short » sur la crise financière de 2008, film récompensé par un Oscar du meilleur scénario original en 2015.
Il est également le réalisateur de « Vice » (2018) consacré à Dick Cheney, Vice-Président des Etats-Unis, du temps de Georges Bush junior.
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