Deux Louveciennois passionnés de cinéma, Jean-Paul Jaouen* et Daniel Godard**, viennent de créer un véritable ciné-club sous le nom évocateur de « La parenthèse enchantée ».
Ce ciné-club fonctionne sous la forme d’une association présidée par Jean-Jacques Petit et dont nos deux passionnés sont les vice-présidents. Les séances ont lieu, en principe une fois par mois, dans la salle Saint-Saens qui offre un équipement correct pour une diffusion sur grand écran.
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La Tribune de Louveciennes - Cette idée de lancer un ciné-club à Louveciennes a pu étonner. N’est-ce pas là un projet de nostalgiques des années cinquante, soixante qui ont découvert dans ces lieux les chefs-d’oeuvre du cinéma, ceux de d’Orson Welles, de John Ford, d’Howard Hawks, et bien d’ autres et sur lesquels ils ont discuté, ferraillé de longues heures durant ? Est-ce que cette manière de partager l’amour du cinéma correspond encore aux besoins exprimés par les jeunes générations ?
Jean-Paul Jaouen - Cette approche qu’un ciné-club soit uniquement tourné vers le passé est une idée reçue. Lorsque j’ai eu l’idée de ce ciné-club l’objectif premier a été de faire se rencontrer les Louveciennois de tous âges, privés durant deux années consécutives de réunions entre amis pour cause de confinement et de Covid. Le lien social devait être rétabli entre les personnes et entre les générations. Quoi de plus facile pour les réunir que le cinéma et la culture ? Pour ce faire nous avons imaginé la projection d’un film grand spectacle, transgénérationel (pour parler comme aujourd’hui), non clivant, suivie d’une discussion autour d’un verre de l’amitié. Nous avons commencé par « Le dernier empereur » de Bernardo Bertolluci, film fédérateur par excellence. Oublions les soirées prise de tête, nous préférons le cinéma qui fait rêver. Les stars, les paillettes, les courses-poursuites endiablées, les diligences poursuivies par les indiens, les héros magnifiques qui viennent sauver le monde …. ceci n’interdit pas de proposer des films plus intimistes qui correspondent à un choix artistique affirmé.
Daniel Godard - Concernant le « nouveau ciné-club », il y a plusieurs conceptions possibles. Personnellement, étant à l'origine de l'idée (germée pendant notre confinement) et en tant qu'un des Vice-Présidents du « nouveau ciné-club », je suis partisan d'un «vrai» ciné-club, «à l'ancienne».
Il ne s'agit pas réellement de «nostalgie de vieux cinéphiles» comme vous l'avez évoqué rapidement, mais de bien plus que cela : du désir de partager notre passion de cinéphiles, de contribuer à recréer du lien social (fortement abimé pendant la longue période de confinement) et à transmettre un patrimoine culturel considérable.
Dans cette conception, il s'agira de projeter:
- des « grands classiques » que des anciens auront plaisir à revoir et que des plus jeunes seront heureux de découvrir au même titre que les « films de patrimoine » ; il n'y a pas que les films d'action américains, bourrés d'effets spéciaux, dans le vaste univers du cinéma, heureusement… ;
- des œuvres de qualité de différentes cultures : films italiens, japonais, polonais, scandinaves, russes, chinois, voire : britanniques, espagnols, etc… ;
- de permettre des échanges directs mettant en valeur les différents aspects et intérêts de chaque film projeté ;
- d'associer les membres actif du Ciné-club aux choix de films.
TL - L’offre pour visionner des films est très abondante, pléthorique même. On peut les voir dans les salles de cinéma mais également sur les plateformes de streaming (Netflix, Prime Video, My canal,…), en achetant ou en louant un Dvd ? Qu’est-ce que vous apportez de différent ?
Jean-Paul Jaouen - Jean-Luc Godard disait, quand on va au cinéma on lève la tête. Quand on regarde la télévision on la baisse !…J’ajoute que le plaisir de partager avec d’autres personnes une émotion cinématographique est nettement plus fort dans une salle de spectacle que devant un téléviseur si plat soit-il.
Nous proposons un club d’amoureux du cinéma qui aiment regarder des chefs-d’oeuvre ensemble sur un grand écran.
Et ce petit frisson qui souvent vous fait regretter de quitter si vite l’histoire qui vous a emporté durant 2 heures ? Ce que nous apportons de différent ? Une réunion entre amis qui viennent partager plus que du cinéma, de l’émotion et quelques verres à la gloire du passé du présent et de l’avenir. Entre copains. Cela s’appelle la convivialité.
Daniel Godard - La première idée, très simple, de créer in ciné-club à Louveciennes était de contribuer à recréer du lien social en partageant notre passion pour le cinéma, sur place, avec la possibilité d'échanges variés directs. C’est une chose de regarder un bon film tout seul devant sa télévision, c'en est une autre de le regarder au sein d'un petit groupe de cinéphiles dans une vraie salle avec la possibilité d'en parler ensemble ensuite.
TL - A la lecture de votre programmation***, on constate qu’à côté de films dits de qualité (Le dernier empereur, La prisonnière du désert) vous affichez également du cinéma commercial (Le clan des siciliens, Le cave se rebiffe). Que cherchez-vous à travers cette combinaison ?
Jean-Paul Jaouen - Quelle idée d’opposer la qualité et le commercial ! Parce qu’un film a fait un grand nombre d’entrées salles il ne serait pas de qualité ? Alors « La grande vadrouille », qualité ou commercial ? « Le concert » qualité ou commercial ? Les critiques cinématographiques sont prompts à encenser des films prise de tête. Nous voulons du divertissement intelligent, accessible, qui précisément mélange les genres. Des comédies, des drames, des westerns, des films d’aventure et pourquoi pas des films peu connus mais qui présentent un intérêt artistique ou événementiel. Notre programmation doit convenir à tout le monde, c’est dans cet esprit que nous l’avons faite.
Personnellement j’ai été particulièrement touché par « Blancanieves » de Pablo Berger, film muet de 2012 en noir et blanc, que je suggère à tous de voir. La découverte, encore de la découverte et du rêve. « Le rêve prend du temps sur l’angoisse. C’est un voyage qui ne coûte pas cher et ne dérange personne. Il n’y a pas de grèves dans le train des rêves .»
Daniel Godard - Par rapport à la question du choix des films, il s'agissait dans un premier temps d'initier un processus : susciter un intérêt et faire connaître le principe d'un nouveau ciné-club qui, en fait, vient d'être créé (juridiquement).
Nous avons utilisé pour cela un contrat existant avec la commune (ce qui n'a donc rien coûté pour commencer) pour des séances destinées aux seniors, avec une offre très limitée de quelques films : d'où un choix qui, en réalité était extrêmement contraint.
Jean-Paul Jaouen - Nous avons maintenant accès à un catalogue de plus de 5.000 films. Nous souhaitons aussi de faire des soirées autour de thèmes comme par exemple la musique de films. La plupart du temps on ne peut délier un grand film de sa musique due à des compositeurs comme Ennio Morricone, Hans Zimmer, Nino Rotta, Georges Delerue,….
TL - Depuis son lancement, quels sont les enseignements que vous avez pu tirer en termes de fréquentation, de satisfaction des spectateurs,… Allez-vous poursuivre ? Quels sont vos objectifs ?
Jean-Paul Jaouen - Nous sommes tout jeune, à peine quelques projections avec une cinquantaine de fans à chaque séance mais déjà un constat : nos spectateurs sont heureux de se retrouver ensemble. Heureux de partager un moment d’émotion, ce qui leur a manqué pendant plusieurs années.
Il n’est de voir les discussions autour du bar à l’issue de la projection. Des moments forts d’échanges, de confrontations et de plaisir. Il nous a fallu souvent pousser nos spectateurs à quitter le bar de la salle Camille Saint Saëns alors que minuit sonnait au clocher du village …
Nos objectifs ? Ambitieux , très ambitieux. Donner du plaisir et l’envie de revenir, nous attendons les Louveciennois qui seront conquis par la magie du cinéma ….et de la convivialité.
Daniel Godard - Nous avons constaté un fort enthousiasme à chaque projection de la part des premiers participants qui nous ont vivement encouragé à persévérer.
Notre objectif ? Tirer le meilleur parti des disponibilités de notre salle communale (très demandée) pour diffuser des films permettant de partager et d’échanger avec un nombre croissant de Louveciennois…
(Echanges avec François Kremper)
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* Jean-Paul Jaouen est conseiller municipal de Louveciennes, Président du Musée du Domaine Royal de Louveciennes-Marly
** Daniel Godard est conseiller municipal de Louveciennes. Il avait exercé les fonctions de Maire-adjoint aux Travaux entre 2014 et 2020.
***Programmation 2022
11 février Le dernier empereur
11 mars Et Dieu créa la femme
7 avril Les hommes du Président
10 mai Le faucon maltais
13 mai Le Concert
27 mai Le clan des Siciliens
15 juin Le cave se rebiffe
8 juillet Ridicule
A venir
9 septembre Cinéma Paradisio
11 octobre La Môme
25 novembre Blade Runner
2 décembre Amélie Poulain
16 décembre La prisonnière du désert
Complément (proposé par FK)
Au moment de boucler cet article, nous sommes tombés sur une interview très intéressante de Woody Allen dans la revue Positif du mois de juillet/août 2022. Il exprime son inquiétude sur l’avenir d’un cinéma de qualité dans les salles. (Positif qui fête ses 70 ans d’existence est la grande revue française consacrée au cinéma ; sur la durée elle se distingue nettement des Cahiers du Cinéma qui a connu bien des périodes grotesques.)
« Je ne vois que des films contemporains. 98 % des cinémas qui passaient ce genre de films à New York ont fermé. Dans ma jeunesse, nous allions en salle et voyions chaque semaine un film de De Sica, de Fellini, de Godard. C’était une expérience. (…) Il m’arrive d’entendre du bien d’un film que je souhaite voir mais qui ne sort pas. Je dois alors faire des efforts pour réussir à le voir : je demande une copie pour ma salle de projection privée, parfois je n’obtiens qu’un Dvd que je vois chez moi. Cela n’a rien à voir avec 500 personnes réunies dans une salle pour « Les 400 coups ». Or l’expérience collective du cinéma est irremplaçable. Mais cela n’existe plus. Il n’est pas impossible que cela revienne, c’est peut-être un cycle. Le résultat est qu’il n’y a personne avec qui parler des éventuels films que je vois. Lorsque « 8 1/2 » est sorti dans les salles à New York, les gens se précipitaient pour aller le voir, et en parlaient entre eux dès qu’ils quittaient la séance. Dans les cercles intellectuels et artistiques, tout le monde en parlait, c’était un sujet de conversation inépuisable. Un film de cet ordre, on le voit maintenant chez soi, éventuellement avec un ou deux amis. Ce n’est plus une expérience sociale universelle. C’est une perte immense. Cela affecte la diffusion du cinéma, la réflexion sur le cinéma. (…) »
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