La beauté confrontée au mal
(Cet article est susceptible d’intéresser ceux qui ont vu le film ; pour les autres, attention « spoiler » comme on dit en bon français.)
« La Ligne rouge » de Terrence Malick qu’on a pu voir récemment sur Arte est indiscutablement un des meilleurs films sur la guerre. Il n’en manque certes pas et des grands comme ceux de Coppola, de Cimino ou de Kubrick mais la vision de Malick est particulière. Plein d’un contraste saisissant entre une nature paradisiaque et la cruauté des combats. La guerre est la face noire opposée à la beauté du monde.
L’histoire suit le quotidien des soldats américains de la compagnie Charlie contre les forces japonaises lors d’un épisode de la célèbre bataille de Guadalcanal en 1942 durant la guerre du Pacifique.
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« La Ligne rouge » marque le retour de Terrence Malick à la réalisation qu’il avait abandonnée durant près de 20 ans, après ses deux premiers et remarquables films, « Badlands » (« La ballade sauvage ») (1973) et « Days of Heaven » (« Les moissons du ciel ») (1978).
L’adaptation d’un roman
Terrence Malick a basé son scénario sur le roman de James Jones, The Thin Red line, paru en 1963. Jones a servi comme fantassin dans l'armée américaine dans le Pacifique Sud et a participé à plusieurs phases de la bataille de Guadalcanal entre août 1942 et février 1943.
Jones reprend les personnages de son premier livre, « From Here to Eternity » (1952), qui traite des événements liés au bombardement de Pearl Harbor. Ce roman a d’ailleurs fait l’objet d’une adaptation cinématographique par Fred Zinnemann (« Tant qu’il y aura des hommes » en VF) avec Burt Lancaster, Deborah Kerr, Montgomery Clift et Frank Sinatra. (Le film avait remporté l'Oscar du meilleur film en 1953).
Pour sa part, « The Thin Red Line » avait donné lieu à une première adaptation en 1964, dans une version signée Andrew Marton (1).
Le tournage
Terrence Malick et ses producteurs ont réuni un casting étoffé avec de nombreux acteurs masculins de Hollywood : Sean Penn, Nick Nolte, John Travolta, Adrian Brody, John Cusack, George Clooney, Woody Harrelson,…
Le montage initial approchant les six heures, Terrence Malick a été dans l’obligation de supprimer bon nombre de séquences, transformant certains acteurs en quasi-figurant (deux répliques pour Adrien Brody qui il est vrai apparaît souvent à l’écran avec sa face tragique, une seule scène pour George Clooney et pour John Travolta) ; certains acteurs n’ont simplement pas été retenus dans le montage final comme Mickey Rourke et Gary Oldman. Le film dans sa version définitive dure 2 h 42.
Quatre acteurs, particulièrement valorisés par le metteur en scène, livrent une prestation extraordinaire : Nick Nolte, Sean Penn, Jim Caviezel et Elias Koteas.
Le directeur de la photographie est John Toll qui avait gagné deux Academy Award pour Legends of the Fall et Braveheart.
Le tournage a eu lieu en Australie, à Guadalcanal et aux Etats-Unis. L’Australie a été retenu pour des raisons logistiques évidentes et parce que le nord du Queeensland offre des paysages analogues à ceux des îles Salomon (plages, récifs de corail, collines aux herbes hautes). Les prises de vue en Australie ont duré 80 jours, à Guadalcanal 20 jours, 3 jours à San Pedro (2).
Une ouverture paradisiaque
Le film s'ouvre sur l'image d'un énorme crocodile plongeant lentement dans un étang rempli de mauvaises herbes et sur des images d’arbres dans étouffés par des lianes. Les premiers mots (en voix off) nous interrogent : « Quelle est cette guerre au cœur de la nature ? Pourquoi la nature rivalise-t-elle avec elle-même ? Pourquoi la terre affronte-t-elle la mer ? Y a-t-il une force vengeresse dans la nature ? Pas une seule force mais deux » alors que s’élève un très beau chant mélanésien.
Le soldat Robert Witt (Jim Caviezel), pacifiste dans l’âme, déserteur de circonstance, préfère goûter à une vie hédoniste plutôt qu’à la dure condition de soldat. Sur ces îles Salomon, il est au contact de tribus locales qui vivent de peu, en harmonie (apparente) entre elles et en symbiose avec la nature. On pense à un monde d’avant le péché originel. Des enfants s’amusent, des adultes pêchent, des mamans protègent et éduquent leurs enfants, et Witt qui plonge dans une mer turquoise, Witt sur sa pirogue qui pagaie sereinement. Avec un sourire emprunt de bonté qui éclaire son très beau visage.
(Robert Witt - Jim Caviezel)
Mais cette parenthèse enchantée a une fin. Afin de lui éviter la Cour martiale pour désertion, le sergent-chef Edward Welsh (Sean Penn) lui offre la possibilité de réintégrer l’armée comme brancardier.
La ruée sur Guadalcanal
C’est ensuite le grand moment du débarquement sur Guadalcanal. Le branle de bas de combat, l’attente anxieuse dans le silence, les barges de débarquement qui foncent vers la plage, et là surprise, les Japonais ne sont pas au rendez-vous, ils se sont repliés dans la montagne.
La mission confiée au lieutenant-colonel Gordon Tall (Nick Nolte) par le général de brigade David Quintard (John Travolta) est de prendre possession de la colline 210 puis de sécuriser un terrain d’aviation sur l’île.
Quintard : « Nous avons besoin d’hommes comme vous qui ont du caractère et de la maturité (…) Vous aimeriez que nos enfants et petits-enfants continuent cette guerre pendant 30 ans ? »
Tall : « Non mon général.»
Quintard : « Alors écrasez les sans pitié. Délogez-les de ces collines. Quel prix êtes vous prêt à payer ? »
Tall : « Le prix qu’il faudra.»
(De gauche à droite, le lieutenant-colonel Tall -Nick Nolte- et le général de brigade David Quintard -John Travolta-)
La prise de la colline 210
La compagnie Charlie s’enfonce dans la jungle. Après une marche dans la chaleur et la végétation tropicale de l’île, au sortir de la jungle, on découvre les étendues herbeuses des collines. Le silence est pesant, la crainte de voir surgir l’ennemi est omniprésente.
Déjà la mort se fait voir : deux cadavres mutilés sont découverts dans les hautes herbes. Il y aussi la rencontre traumatisante avec la troupe qu’il s’agit de relever et qui reflue avec un lot impressionnant de cadavres ensanglantés et d’hommes affreusement blessés.
La compagnie va monter au front sous la conduite d’un capitaine Staros (Elias Koteas) très humain. Au sommet de la colline la plus haute on devine l’ennemi, bien protégé dans son bunker.
(Les Hautes Herbes)
L'assaut frontal occasionne des pertes très lourdes.
Le sergent Keck (Woody Harrelson) attrape une grenade par la goupille et la fait exploser malencontreusement sous lui. « J’ai explosé mon cul ! Quelle connerie de débutant ! » Il agonise devant ses hommes.
Le sergent-chef Welsh se distingue en allant aider à mourir, avec de la morphine et de l’alcool, un soldat sévèrement touché.
De leur bunker au sommet de la colline, les Japonais mitraillent les assaillants et les bloquent au sol.
Le lieutenant-colonel Tall, au téléphone, ordonne qu’on avance, Staros refuse de perdre plus d’hommes dans une manœuvre qu’il estime suicidaire. « J’ai vécu pendant 2 ans avec ces hommes et je ne les enverrai pas à une mort certaine. » Il propose d'effectuer plutôt une reconnaissance par le flanc droit de la colline.
(De gauche à droite : le sergent-chef Welsh - Sean Penn -, le lieutenant-colonel Tall - Nick Nolte -, le capitaine Staros - Elias Koteas-)
Tall hurle qu’il veut son attaque frontale. La confrontation entre les deux hommes est d’une très grande violence. Finalement Tall vient lui-même constater sur place la situation exactel. Le soldat Jack Bell (Ben Chaplin) fait une reconnaissance rapprochée du bunker où il identifie 5 mitrailleuses qui balaient de leur puissance de feux les alentours.
Disposant de ces renseignements, le lieutenant-colonel Tall décide de constituer un groupe de 7 volontaires pour partir à l’assaut du bunker. Parmi lesquels on trouve, outre Jack Bell, le caporal Fife (Adrian Brody), Don Doll (Dash Mihok), Robert Witt. Le lieutenant John Gaff (John Cusack) dirigera le groupe, Tall lui promet honneur et avancement.
Au petit matin, la patrouille monte à l'assaut de la colline, et parvient à donner les coordonnées exactes du bunker afin de permettre à l’artillerie de déclencher un feu intense. A l'abri d'une corniche, les sept hommes vont réussir à neutraliser les mitrailleuses ennemies, à tuer ses défenseurs, et à faire des prisonniers.
Après cette première victoire, le lieutenant-colonel Tall pousse à la poursuite rapide du combat. Le lieutenant John Gaff attire son attention sur un manque pressant d’eau.
Tall : « Ne vous inquiétez pas pour l’eau. Rien ne doit venir briser cette attaque maintenant que nous avons gagné du terrain. Nous aurons de l’eau dans quelques heures… On ne va pas s’arrêter maintenant, Nom de Dieu et attendre que l’eau arrive. Et si certains hommes s’évanouissent, eh bien ils s’évanouiront, bordel. Ils pourraient mourir tués par l’ennemi ! Ce sont tous de solides gaillards. »
Et d’ajouter « Vous sentez ce nouvel esprit de combat. Je veux en profiter avant que quelque chose vienne leur saper le moral. »
D’un point de vue cinématographique, l’action guerrière est limpide. On a une vue globale de la topographie de l’assaut. Terrence Malick met en scène les combats avec une grande virtuosité (3). Alternativement, des plans serrés sur les visages des hommes montrent leur peur d’affronter la mort. Les dialogues sont d’une grande justesse, notamment, au plus fort des combats, entre Tall et Staros. Bref, ces scènes de bataille sont inoubliables. Pour Malick et son directeur de la photographie, le film n’est pas un documentaire, mais ils ont souhaité s’en rapprocher de la manière la plus réaliste possible.
La mise à sac du camp japonais
Après la prise de la colline 210, les Américains mettront à sac le camp japonais. La charge est d’une rapidité et d’une violence inouïe. Des combats au corps à corps, à la baïonnette, des coups de feu tirés à bout portant, des prisonniers japonais hébétés, en pleurs, d’autres encore qui cèdent à la folie, des Américains qui s’enfoncent dans le nez des bouts de cigarettes pour lutter contre l'odeur des cadavres. On finira par brûler le bivouac japonais au lance-flammes.
Tout au longs de cet épisode chaotique et tragique on admirera la maîtrise de Malick usant de travelings échevelés, de larges panoramiques donnant à voir en même temps la mêlée des Américains et des Japonais. Tourné à la Steadycam et avec d’autres caméras portés, on suit la course folle des soldats américains dont certains nous sont déjà connus. Pour leur part, les acteurs japonais sont tous impressionnants. La séquence est fantastique et rarement vue au cinéma.
Le repos des guerriers
Après ces durs combats, les hommes de la compagnie Charlie bénéficient de sept jours de repos.
C’est l’occasion de noyer ses angoisses dans le whisky. C’est le moment aussi d’avoir des conversations afin de lever des ambiguïtés. Le lieutenant-colonel Tall annonce au capitaine Staros qu’il a décidé de le relever de son commandement car il juge qu’il n'a pas la force d’esprit suffisante pour mener ses hommes au combat. « Vous êtes trop tendre. Vous n’avez pas assez de fermeté de caractère. » La guerre est brutale. « Regardez cette jungle, regardez ces lianes, la façon dont elles entourent les arbres et les dévorent. La nature est cruelle, Staros ». Tall lui a cependant promis une recommandation pour une haute décoration, la silver star, et un emploi dans les services juridiques de l’armée, à Washington. Il ne veut pas de scandale. « N’ébruitons pas cette histoire, dans l’intérêt de tous. » Staros accepte cette mise à l’écart, résigné, soulagé, même si quelques hommes de la compagnie tentent de le retenir « On voulait vous remercier d’avoir pensé à nous. Pour avoir envoyé des éclaireurs….Ils n’ont pas été corrects. » C’est en vain. Il les réconforte « Vous avez été comme des fils. Vous serez en moi désormais. » Staros est remplacé par le lieutenant Band.
Le soldat Jack Bell, qui a notamment participé à l’assaut du bunker, est sorti vivant pense-t-il grâce à l’amour qu’il voue à sa femme. Dans le passé il avait été officier du génie. « On n’avait jamais été séparé, même pour une nuit. J’ai tenu le coup quatre mois. Puis j’ai démissionné. » Rappelé sous les armes, il a été reversé dans l’infanterie comme soldat de 2ème classe. « Pourquoi devrais-je avoir peur de mourir ? C’est à toi que j’appartiens. Si je meurs le premier, je t’attendrai de l’autre côté des eaux ténébreuses. »
Ou encore : « Ma chère femme, tout ce sang, cette saleté et ce bruit se sont gravés à l’intérieur de nous. Pour toi, je ne veux pas avoir changé. Je veux te revoir comme l’homme que j’étais avant. Comment fait-on pour atteindre ces rivages. Ces montagnes bleues. L’amour. D’où vient-il ? Qui allume cette flamme en nous ? Aucune guerre ne peut l’éteindre, la conquérir. J’étais prisonnier. Tu m’as libéré. »
Dans le courrier qu’il reçoit, sa femme lui apprend qu’elle a rencontré un capitaine de l'Armée de l’Air dont elle est tombée amoureuse, qu’elle lui demande le divorce pour pouvoir l’épouser, avouant avoir été incapable de supporter son absence aussi longtemps. « Je sais que tu peux refuser mais je te le demande quand même en mémoire de ce que nous avons vécu. Aide-moi à te quitter ! » La relation passée entre le soldat Bell et son épouse Marty (Miranda Otto) est traitée dans le film, en une douzaine de flash back, une série d’images de rêve de sa femme (sur une balançoire, en mer, faisant l’amour,…). La dignité avec laquelle Bell encaisse la trahison de sa femme, son bonheur évanoui, est une des plus émouvantes du film.
(Jack Bell - Ben Chaplin)
Le sacrifice de Witt
La guerre continue. La compagnie, sous les ordres maintenant du lieutenant Band, se voit confier une mission de reconnaissance afin de vérifier la proximité des Japonais dont on entend les coups de canon. Band décide d'envoyer trois hommes comme élément précurseur : un Goeffrey Fife apeuré, un Howard Coombs (Matt Doran), encore adolescent, et Robert Witt qui s'est porté volontaire. Remontant prudemment le lit de la rivière, ils sont repérés par les Japonais qui avancent, en nombre, le casque et le haut du corps couverts de branchages. Coombs est blessé par des tirs. Witt envoie Fife alerter la compagnie pour récupérer Coombs. De son côté, il va faire diversion pour entrainer les Japonais dans la jungle. En bout de course, Witt se retrouve dans une petite clairière, entouré par plusieurs dizaines de Japonais. Il se tient immobile quand le commandant ennemi lui intime l'ordre de se défendre. Witt accepte calmement sa mort.
Welsh devant la tombe de Witt s’interroge « Où est ta lumière maintenant ? »
Le départ de Guadalcanal
La compagnie va servir sous les ordres d’un nouveau chef, le capitaine Charles Bosche (Georges Clooney). Dans son adresse aux soldats alignés devant lui, il affirme qu’un bataillon est comme une famille dont il est le père et le sergent-chef Welsh, la mère. « Une famille ne peut s’exprimer que d’une seule voix, celle du père. » Le capitaine prévient ses hommes que la guerre est loin d'être terminée et qu'ils doivent se préparer à de futurs combats. Les hommes quittent Guadalcanal et embarquent sur un navire pour une nouvelle destination, pour de nouveaux combats.
(Au premier plan, le soldat Don Doll - Dash Mihok-)
L’utilisation de la voix off
Terrence Malick avait déjà utilisé pour ses deux premiers films la voix off. Dans La ballade sauvage, la voix off était celle de Holly (Sissy Spacek), et dans Les moissons du ciel celle de Linda, l’enfant (Linda Manz). Dans la Ligne rouge la voix off appartient à plusieurs soldats. C’est d’abord celle de Witt puis celle de Staros, elle passe ensuite à Welsh et à Storm, elle devient enfin plurielle, à la fin, sur la barge qui éloigne les soldats de Guadalcanal. En langage plus savant, on parle de « narration décentrée » où l’art classique du dialogue se voit remplacé par une série de monologues en voix off. Selon le critique de cinéma Michel Chion, il s’agit d’une voix off qui « ne recoupe pas exactement ce qu’on voit et manifeste une connaissance des faits différente et désaxée par rapport au récit qui se déroule sous les yeux du spectateur. »
La bande originale
La bande originale est due pour l’essentiel à la très belle partition d’Hans Zimmer avec quelques ajouts comme des extraits du Requiem de Gabriel Fauré et un chant mélanésien qui s’accorde merveilleusement à la beauté époustouflante des paysages. Zimmer a composé et enregistré un matériel musical, une bonne part avant le début du tournage, et d’une durée qui excède « le final cut » (4).
Les personnages emblématiques
Il n’y a pas dans ce film un personnage principal, un héros. Il s’agit d’un film choral où apparaissent des soldats avec leur caractère et qui se révèlent à l’occasion de diverses situations dramatiques.
Il y a bien sûr Witt, le pacifiste, relié à la nature mais qui a plein d’interrogations, le plus souvent d’ordre métaphysique. Sa relation avec le sergent Welsh, le sceptique, est à cet égard révélatrice.
Welsh : « En ce monde, un homme n’est rien. Et il n’y a pas d’autre monde que celui-ci. »
Witt : « Vous vous trompez, sergent. J’ai vu un autre monde. Parfois, je pense que c’est juste mon imagination. »
Welsh : « Eh bien, tu vois des choses que je ne verrai jamais.»
Witt voit la beauté et la bonté en toutes choses. Il est compatissant pour ses camarades mais également pour l’ennemi japonais. Contemplant le visage d'un soldat japonais mort, à moitié enfoui dans la terre, il s’interroge, songeur :« Es-tu vertueux ? Attentionné ? Crois-tu en ces valeurs ? Es-tu aimé de tous ? Je l’étais aussi. Crois-tu que tes souffrances seront moindres parce que tu as aimé la bonté, la vérité ? »
Il se pose des questions sur le mal : « Cette force du mal d’où vient-elle ? Comment s’est-elle immiscée ici bas ? De quelle graine, de quelle racine provient-elle ? Qui en est responsable ? Qui nous tue ? »
Pour Welsh « Tout est un mensonge. La seule chose qu'un homme peut faire, c'est trouver quelque chose qui est sien, faire une île pour lui-même ».
Le lieutenant-colonel Tall, sorti de West Point, est un ambitieux, un irascible qui n’admet pas ou peu des opinions divergentes. Il tient enfin « sa guerre ». « J’ai attendu ce moment toute ma vie. J’ai travaillé dur. J’ai bouffé des kilos de merde pour avoir cette chance. Et je compte ne pas la laisser passer. » Les pertes humaines sont pour lui inévitables. Seul compte l’objectif, seule compte la victoire. Il ne peut donc être troublé lorsque Staros lui demande « Vous avez déjà vu un soldat mourir dans vos bras, mon colonel ? »
Devant les cruautés de la guerre, les comportements de certains soldats américains sont loin d’être exemplaires. Il y a celui qui pris d’une rage folle abat un Japonais désarmé, et qui continuerait à tuer s’il n’était pas empêché par un de ses camarades. Il y a le soldat Charlie Dale (Arie Verveen) qui arrache les dents en or sur les cadavres ennemis et qui désigne cyniquement au captif japonais, en passe de mourir, les vautours qui planent au-dessus de lui « Tu sais qu’ils te mangeront tout cru. Que représentes-tu à mes yeux ? Rien. » Mots que le Japonais ne peut comprendre mais que l’attitude de l’Américain trahit. Mais même ce salaud ne reste pas totalement insensible. Dans une séquence ultérieure, on le voit, sous une pluie torrentielle, le visage ravagé, se souvenir du Japonais dont l’esprit vient le hanter.
Mais il y aussi de belles figures comme Witt et Welsh, comme Bell, très courageux dans le combat mais désespéré par le comportement des siens lors de la prise du bunker s’accompagnant de brutalités.
Un hymne ambigu à la nature et à la bonté naturelle des autochtones
Alors que les scènes de guerre sont particulièrement convaincantes, l’hymne à la beauté de la nature et l’éloge des populations autochtones interrogent.
Il y a indiscutablement chez Malick une lecture panthéiste (Dieu est dans tout) mais aussi chrétienne de voir le monde. N’oublions pas que ses ancêtres sont d’origine chaldéenne chrétienne et la suite de son oeuvre a montré qu’il est resté fidèle à cet enseignement. Il a également étudié à Harvard et à Oxford, puis a été enseignant de philosophie au MIT.
On pense parfois aux théories de Rousseau : l’homme naturellement bon est perverti par les institutions.
Witt demande (naïvement) à une mère mélanésienne « Ici les enfants ne se battent-ils jamais ? » et obtient cette réponse « Parfois quand ils s’amusent, ils se combattent continument. »
Lors d’un second séjour chez les Mélanésiens, pour Witt le tableau n’est plus aussi idyllique : un enfant refuse la main qui lui est tendue, une petite fille a le dos dévoré par les moustiques, une maison funéraire apparaît avec un bric-à-brac de crânes. Une dispute très vive éclate entre deux Mélanésiens adultes. On pourrait dire qu’il s’agit là des effets indirects de la guerre toute proche, que les autochtones observent mais sans être concernés. Il y a en effet cette scène étonnante des soldats américains, progressant en file indienne, et croisant un vieux Mélanésien, torse nu qui avance dans le sens opposé sans même faire attention à leur présence.
Mais plus fondamentalement on doit admettre qu’il y a dans la nature (indépendamment des humains) une guerre entre toutes les espèces (les plantes, les animaux) qui est inscrite dans les principes de la vie (et de la mort) qui gouvernent notre planète et notre univers. Darwin l’a amplement démontré. Pourquoi voudrait-on que l’homme puisse échapper à sa destinée, et ceci malgré les efforts parfois admirables de certaines personnes et de rares civilisations ?
« La Ligne rouge » nous offre une vision riche et protéiforme sur la guerre, sur la condition humaine, sur la nature à la fois idyllique et cruelle ; le film laisse au spectateur une grande liberté d’appréciation ; il permet à chacun de se situer par rapport aux questions, toujours en suspens, qui touchent à la destinée tragique de l’homme (5).
FK
- Cette version de 1964 est centrée sur le soldat Doll qui se retrouve dans l’acte de tuer des Japs. Dans la mince ligne rouge qui sépare « les sains d’esprit des fous », Doll bascule du côté de la folie en tentant de tuer tout le monde y compris ses propres camarades. James Jones est également l’auteur d’un roman « Some Came Running » qui a été adapté magistralement par Vincente Minnelli en 1958 (« Comme un torrent ») avec Frank Sinatra, Shirley Mac Laine. Film admirable à recommander.
- A Guadalcanal se posait des problèmes de logistique (difficile d’amener sur les lieux les acteurs, les membres de l’équipe technique et 200 à 300 figurants, très fort risque de malaria, chaleur souvent insupportable).
- Alors que l’ensemble de l’action est vue du côté des assaillants, quelques plans nous déportent du côté du bunker, du côté des Japonais et de leurs mitrailleuses. Cela nous apparaît comme une erreur.
- Bande originale - Hans Zimmer - « The thin red line »Extraits > 9 minutes 21 secondes > https://www.youtube.com/watch?v=s5KDD7iyP-Q
Bande originale - Hans Zimmer - « The thin red line »Extraits 48 minutes 10 secondes (avec publicités) > https://www.youtube.com/watch?v=9KUI7Gk8_4I
Bande originale - Hans Zimmer - « The thin red line » - Full Expanded soundtrack > Durée 4 h 5 minutes 10 secondes (avec de nombreuses publicités) > https://www.youtube.com/watch?v=EIB92m7P-_A
(5) « Nous aimerions nous croire nécessaires, inévitables, ordonnés de toute éternité. Toutes les religions, presque toutes les philosophies, et même une partie de la science témoignent de l'effort héroïque et infatigable de l'humanité qui nie désespérément sa propre contingence.» (Le Hasard et la Nécessité, Jacques Monod)
Pour Jacques Monod, la vie est née par hasard et que tous les êtres de la vie, y compris les humains, sont les produits de la sélection naturelle.
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Fiche technique
(liste reprise de Wikipedia)
- Titre original : The Thin Red Line
- Titre français : La Ligne rouge
- Réalisation : Terrence Malick
- Scénario : Terrence Malick, d'après le roman La Ligne rouge (en anglais The Thin Red Line) de James Jones (1962) édité en français en 1963 sous le titre Mourir ou Crever, puis réédité ultérieurement sous le titre La Ligne rouge.
- Décors : Jack Fisk
- Costumes : Margot Wilson
- Photographie : John Toll
- Son : J. Paul Huntsman
- Montage : Billy Webern, Leslie Jones et Saar Klein
- Musique : Hans Zimmer
- Production : Robert Michael Geisler, Grant Hill et John Roberdeau
- Société de production :20th Century Fox
- Format : couleur Technicolor - 35 mm - é,35:1 - son DTS/Dolby Digital/SDDS
- Durée : 170 minutes
Distribution
- Sean Penn : Sergent-chef Edward Welsh
- Jim Caviezel : Soldat Robert Witt
- Nick Nolte : Lieutenant-Colonel Gordon Tall
- Elias Koteas : Capitaine James « Bugger » Staros
- Ben Chaplin : Soldat Jack Bell
- Dash Mihok : Soldat Don Doll
- John Cusack : Lieutenant John Gaff
- Adrien Brody : Caporal Geoffrey Fife
- John C. Reilly : Sergent Maynard Storm
- Woody Harrelson : Sergent Keck
- Mirando Otto : Marty Bell
- Jared Leto : Sous-lieutenant William Whyte
- John Travolta : Général de brigade David Quintard
- George Clooney : Capitaine Charles Bosche
- Nick Stahl : Soldat Edward Bead
- Thomas Jane : Soldat Jason Ash
- John Savage : Sergent Jack McCron
- John Dee Smith : Soldat Edward P. Train
- Kirk Acevedo : Soldat Alfredo Tella
- Mark Boone Junior : Soldat Christopher Peale
- Penny Allen : la mère de Witt
- Arie Verveen : Soldat Charlie Dale
- Matt Doran : Soldat Howard Coombs
- Paul Gleeson : Premier lieutenant George « Brass » Band
- Don Harvey : Sergent Paul Becker
- Danny Hoch : Soldat Leonardo Carni
- Tim Blake Nelson : Soldat Tills
- Larry Romano : Soldat Mazzi
- Simon Billig : Lieutenant-colonel Billig
- Simon Westaway : le premier éclaireur
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