A l’issue d’une enquête publique d’un mois, le commissaire enquêteur vient de donner un avis favorable au projet de régularisation du Plan local d’urbanisme (PLU) de Louveciennes afin de le compléter par « une évaluation environnementale » manquante (1). Rappelons que cette régularisation est la conséquence d’un arrêt de la Cour d’appel administrative de Versailles du 9 février 2023 qui avait conclu à un vice d’irrégularité entachant le PLU révisé de 2017, celui-ci n’ayant pas fait l’objet d’une évaluation environnementale.
L’avis favorable du commissaire enquêteur est assorti de deux recommandations : l’une demandant la correction de différentes erreurs et une amélioration de la rédaction du résumé non-technique, l’autre que la commune « envisage sérieusement l’abandon de l’OAP du Coeur Volant, qui aura, avec la construction de seulement 30 logements sociaux, un impact significatif sur l’environnement et la biodiversité ce qui ne justifie pas, malgré les dispositions complémentaires prévues, la consommation de cet espace boisé » (2).
Le peu d’intérêt manifesté par les Louveciennois
L’enquête publique qui s’est déroulée du 8 janvier au 8 février 2024 a suscité peu d’intérêt de la part des Louveciennois. Seules 30 observations ont été faites, notamment par Racine et par des personnes qui sont proches de cette association de défense de l’environnement (3). Il faut dire que même si les modalités de l’enquête publique ont été en conformité avec la loi et les décrets (publicité légale, affichage, pièces du dossier sur internet), la Mairie n’a pas été active pour la faire connaître : pas de réunion publique, pas de communication dans Louveciennes Echos, aucune référence dans les voeux du Maire, aucune évocation au conseil municipal,…. Certains participants se sont plaints qu’il n’y ait pas eu une concertation ce à quoi la commune a répondu que celle-ci n’était pas obligatoire : il s’agissait en l’espèce d’une « régularisation partielle » qui n’avait pas être précédée d’une procédure de concertation. Le commissaire enquêteur a partagé cette analyse.
Dans le cadre de l’enquête, les documents soumis aux Louveciennois étaient relativement indigestes. Le commissaire enquêteur le reconnaît lorsqu’il pointe notamment le résumé non-technique de l’évaluation environnementale qui fait plus de 300 pages… Il écrit que « l’objectif d’un résumé non-technique est de permettre au grand public un accès et une compréhension facile des principaux éléments de l’évaluation environnementale. Je considère que le document présenté ne remplit que très partiellement ce rôle. Il présente les différents thèmes développés dans l’évaluation environnementale d’une façon incohérente et déséquilibrée. »
Sur le fond, la plupart des participants ont remis en cause certains choix faits dans le PLU 2017. Pour la commune, les opposants confondent « une procédure de régularisation d’un vice de procédure avec une réécriture du PLU ».
La partie la plus intéressante du rapport traite des trois Opérations d’aménagement et de programmation (OAP), non encore réalisées, à savoir le secteur du Coeur Volant, le secteur d’extension de la Croix de Marly et le secteur de Villevert.
Interrogations sur le devenir de l’OAP Coeur Volant
Dans le PLU cette zone, d’une superficie de 1,9 hectare environ, est située au sud du chemin du Coeur Volant, à l’ouest de celui des Arcades. Elle est composée de plusieurs terrains auxquels on accède depuis le chemin du Coeur Volant. L’un d’eux, approximativement situé au milieu de ce linéaire, est bâti, les autres terrains qui entourent ce dernier sont libres. Ce secteur jouxte la maison de retraite Korian-Le Coeur Volant à l’ouest, la clinique du Val-de-Seine à l’est, et un vaste ensemble de terrains communaux au sud.
Ce secteur est destiné à l’accueil d’un ensemble résidentiel de 45 logements maximum comprenant une majorité (55%) de logements locatifs sociaux.
Le commissaire-enquêteur observe que la zone est une friche majoritairement occupée par des boisements, que la desserte en transport en commun est faible et qu’elle agit, dans une certaine mesure, comme « un réservoir biologique ».
La commune n’a pas répondu directement aux interrogations du commissaire enquêteur ; elle a préféré s’en prendre aux opposants qu’elle estime directement intéressés : « Il s’agit d’un programme à taille humaine, de densité raisonnable, maintenant des espaces arborés tels que semble le souhaiter certains participants à l’enquête publique et dont l’opposition à cette OAP justifie le propos liminaire exposé par la Commune sur la position des opposants, bien caractérisée par l’expression « not in my backyard ».
En outre, le programme est facilement réalisable.
Enfin, pourquoi des personnes ne pouvant accéder qu’à des logements aidés ou intermédiaires ne pourraient-elles pas profiter de l’environnement agréable offert par le quartier du Coeur Volant ? Ce n’est d’ailleurs qu’une application de l’objectif de mixité sociale qu’il convient d’atteindre dans chaque commune.
Quant aux impacts de l’OAP, la Cour Administrative d’Appel a reconnu qu’ils n’étaient pas excessifs et l’évaluation environnementale ne contredit en rien cette constatation ».
On laissera chacun juger de la pertinence de ces propos dévalorisants enrobés de considérations morales.
Le commissaire enquêteur, faute d’avoir reçu une réponse satisfaisante à la justification de la consommation de 1,9 ha d’espace boisé pour la construction de 45 logements, recommande à la commune d’ « envisager sérieusement l’abandon de l’OAP du Coeur Volant ».
Le programme immobilier de l’Aqueduc ne fait pas partie de l’OAP Coeur Volant
D’aucuns pourront s’étonner que le programme immobilier de l’Aqueduc ne figure pas dans l’OAP Coeur Volant alors que manifestement il se trouve dans le secteur du Coeur Volant.
Le rappel des péripéties qui ont entouré ce projet controversé permet d’en comprendre la raison.
Le 26 septembre 2016 le conseil municipal de Louveciennes a déclassé de son domaine public un terrain de 15.405 m² sur les parcelles cadastrées AL33 et AL35 situées chemin de l'Aqueduc/allée des Arches. Le but était de construire 64 logements (dont 63 sociaux) et 23 logements privés. Les permis de construire avaient été attribués à ESH Domnis pour les logements sociaux et à la SCVV « Les jardins de l’Aqueduc » pour les logements en accession. A la suite de recours, ces permis ont été annulés par la justice en 2021 (4) Cette même année, le maire de l’époque, Pierre-François Viard et son adjoint à l’urbanisme, Pascal Hervier, ont fait approuver par le conseil municipal une nouvelle version du projet ne comportant plus que les 63 logements sociaux. Dans la foulée autorisation a été donnée au maire par le conseil municipal le 6 juillet 2021, de céder une partie du terrain communal (10.000 m2) au bailleur Domnis pour que celui-ci réalise les 63 logements sociaux (5). Le nouveau maire, Marie-Dominique Parisot, qui a succédé à Pierre-François Viard en décembre 2021 n’a pas remis en cause le projet le jugeant maintenant « trop avancé ».
Alors pourquoi le programme Aqueduc ne figurait-il pas dans l’OAP Coeur Volant ? Parce pour les auteurs du PLU 2017, à savoir Pierre-François Viard et son adjoint à l’Urbanisme, Anne-Laure Pozzo-Deschanel, considéraient, au moment de son approbation en décembre 2017, que l’opération était quasiment réalisée (6).
On ne saura donc pas comment le commissaire enquêteur aurait apprécié ce programme s’il avait été dans son champ d’analyse car là aussi on se trouve face à une « consommation d’espace boisé » importante.
(Vue aérienne - secteur de l’Aqueduc et OAP du Coeur Volant - Au premier plan, les vergers des Rougemonts - Photo Source Artene)
OAP du secteur d’extension de la Croix de Marly
Ce secteur est localisé dans la partie nord-ouest de la commune, au-dessus du chemin du Coeur Volant, entre les voies ferrées et le lotissement des Rougemonts.
D’une contenance totale de 2,2 hectares, il est partagé entre des terrains propriétés de la ville et des terrains privés (les vergers des Rougemonts).
Cet ensemble de terrains est actuellement desservi à partir d’un chemin rural en impasse, relativement étroit.
Ce secteur est destiné à l’accueil de logements diversifiés. 70 logements maximum sont prévus au total comprenant une large part de logements locatifs sociaux. En principe 50 logements collectifs (dont 75 % de logements sociaux) et 20 maisons individuelles.
Le commissaire enquêteur n’a pas émis de recommandation à ce sujet.
OAP Villevert : vers une demande de permis de construire ?
L’aménagement du site de Villevert reste toujours entouré d’un certain mystère. Ce terrain de 22 ha appartient au groupe Unibail Rodamco Westfield à travers une filiale, la SNC Vilplaine ; une promesse de vente du terrain a été faite en avril 2021 au bénéfice d’un promoteur de taille modeste, VIAE-HORIZON dont les réalisations n’attestent pas d’un savoir-faire de grandes opérations, ni de hautes qualités architecturales.
La commune dispose d’une carte en principe maitresse, son PLU qui a défini ce secteur comme devant accueillir un maximum de 130.000 m2 de surface de plancher (SDP) : des habitations (de l’ordre de 350 logements), des commerces de détail, des activités de services, des bureaux,….(7)
On sait que cette répartition ne saurait rester figée : les conditions du marché ont changé, elles ne favorisent plus l’implantation d’un grand centre commercial, ni la construction de bureaux ; le promoteur retenu veut plus de logements ; ceci correspond d’ailleurs aux voeux du Préfet (où plutôt ceux émanant des bureaux préfectoraux).
Selon les informations reçues au cours de l’enquête par les sociétés qui portent ce projet, celui-ci est bien avancé dans sa définition et il pourrait faire prochainement l’objet d’une demande de permis de construire.
La commune a fait remarquer qu’ « elle n’a eu aucun échange régulier avec les deux sociétés propriétaires (Unibail et VIAE-HORIZON) depuis de nombreux mois et a pris connaissance de l’évolution de leurs projets à la lecture de leurs observations exposées dans l’enquête. »
Ce mépris affiché par les deux sociétés laissent à penser que pour elles le pouvoir des élus d’une commune de 7.500 habitants est quantité négligeable car vraisemblablement elles disposent d’appuis sérieux.
***
L’avis favorable du commissaire enquêteur donne ainsi le feu vert au vote de régularisation du PLU qui sera soumis prochainement aux conseillers municipaux.
Au-delà, il faudra s’atteler à une véritable révision du PLU comme cela a été annoncée par Madame le Maire. Mais cela demandera beaucoup d’énergie. Encore plus s’il faudra résister aux pressions des propriétaires de Villevert. Or l’équipe municipale est déjà mobilisée sur le gros chantier représenté par le transfert des classes consécutif à la fermeture prochaine du groupe scolaire Doumer ; elle est également préoccupée par les soucis financiers que connaît la commune. Pourtant, cette révision nécessaire devrait être considérée comme une des priorité du mandat.
FK
(1) Enquête publique « Régularisation Révision du Plan local d’urbanisme de la commune de Louveciennes » -« Rapport, avis et conclusions motivées du commissaire enquêteur » Le Commissaire enquêteur Reinhard Felgentreff, 5 mars 2024
>>> https://www.mairie-louveciennes.fr/download/Rapport__avis_et_conslusions_motivees.pdf
Les observations des Louveciennois ont été soumises à la commune qui a fait part de ses réponses ; celles-ci ont été intégrées dans le rapport du commissaire-enquêteur.
Voir également notre article du 28 février 2024 « Sur une enquête publique discrète » >>> https://louveciennestribune.typepad.com/media/2024/02/sur-une-enquête-publique-discrète.html
(2) Les « conclusions motivées » du commissaire-enquêteur sont les suivantes :
« Je donne un AVIS FAVORABLE à la régularisation du Plan local d’urbanisme de la commune de Louveciennes assorti des 2 recommandations suivantes :
Recommandation 1
Corriger les erreurs constatées dans les sommaires de l’évaluation environnementale, du résumé non-technique et dans l’étude flash et améliorer la rédaction du résumé non-technique.
Recommandation 2
Envisager sérieusement l’abandon de l’OAP du Coeur Volant qui aura, avec la construction de seulement 30 logements sociaux, un impact significatif sur l’environnement et la bio diversité, ce qui ne justifie pas, malgré les dispositions complémentaires prévues, la consommation de cet espace boisé. »
(3) L’association Racine était à l’origine du recours qui a abouti à l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles.
(4) Le 17 janvier 2019, la maire-adjoint à l’Urbanisme prend un arrêté retirant le permis de construire accordé à la SCCV « Les Jardins de l'Aqueduc » au motif de l'existence d'une fraude.
Le 17 mai 2019, le Tribunal administratif (TA) de Versailles annule le permis de construire accordé à ESH DOMNIS à la suite du recours introduit par les associations Racine, Yvelines Environnement, Patrimoine et Environnement, la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (SPPEF) et par cinq riverains « ayant intérêt à agir ».
Le 23 juin 2020, le TA de Versailles annule l'arrêté du 20 mars 2018 par lequel le Maire de Louveciennes a accordé à la SCCV Les Jardins de l'Aqueduc un permis de construire, toujours à la suite de recours.
(5)
Article du 20 août 2021 « La relance du programme immobilier Aqueduc/Coeur Volant » >>> https://louveciennestribune.typepad.com/media/2021/08/la-relance-du-programme-immobilier-aqueduccoeur-volant.html#more
Article du 23 août 2021 « Le programme immobilier Aqueduc/Coeur Volant : les caractéristiques du projet » >>> https://louveciennestribune.typepad.com/media/2021/08/le-programme-immobilier-aqueduccoeur-volant-les-caractéristiques-du-projet.html
Article du 28 août 2021 «Le programme immobilier Aqueduc/Coeur Volant : les critiques » >>> https://louveciennestribune.typepad.com/media/2021/08/le-programme-immobilier-aqueduccoeur-volant-les-critiques.html#more
(6) Le plan de financement ayant été obtenu, les 63 logements sociaux ont été comptabilisés dans les programmes triennaux 2014/2016 et 2017/2020 prévus en application de la loi SRU.
(7) Le PLU a défini ce secteur de 22 ha comme devant accueillir un maximum de 130.000 m2 de surface de plancher (SDP) se répartissant de la manière suivante :
Habitations : 21.000 m2, soit environ 350 logements diversifiés (30% de logements sociaux en résidences dédiées, 30% de logements sociaux familiaux, 40% de logements familiaux)
Artisanat et commerce de détail : 66.000 m2
Restauration : 5.000 m2
Activités de services où s’effectue l’accueil d’une clientèle : 10.500 m2 dont 5.000 m2 dédiés au sport et aux loisirs
Hébergement hôtelier et touristique : 8.000 m2
Industrie : 4.500 m2
Bureau : 15.000 m2