« Aux Chandelles » l’accueil de notre hôtesse est toujours charmant. Un restaurant à l’étage, c’est encore une richesse de notre village et nous pouvons déjeuner en ne quittant pas des yeux nos chers arbres. Nous commandons notre repas.
- Quand j’ai lu le jugement du tribunal au sujet de votre adjointe à l’urbanisme j’ai pensé à l’encyclique LAUDATO SI’. Je te lis l’entrée 182 : « La prévision de l’impact sur l’environnement des initiatives et des projets requiert des processus politiques transparents et soumis au dialogue, alors que la corruption, qui cache le véritable impact environnemental d’un projet en échange de faveurs, conduit habituellement à des accords fallacieux au sujet desquels on évite information et large débat.»
- Paul, j’ai éprouvé un sentiment de honte quand j’ai appris cela et notre municipalité a ensuite voté pour vendre notre dernier commun boisé au promoteur concerné par ce même jugement. Comme pour l’enquête publique, nos élus sont des adeptes d’une communication étique.
- Pourquoi ? Par quoi ? Où ? Quand ? De quelle manière ? Quels sont les risques ? À quel coût ? Qui paiera lescoûts et comment le fera-t-il ? Sans réponse à ces questions il ne peut pas y avoir de discernement.
- Mais tu as lu comment la municipalité répond aux objections en nous jugeant sur notre solidarité et notre intérêt personnel. En cherchant une sanction d’opinion, sans argumenter. Elle se dit conduite par des circonstances extérieures. La force morale ne s’emploie plus à choisir mais à supporter. Je dois te dire que cela m’a touché. L’idée même que nous ne pouvons rien éviter, le fatalisme, qu’il n’y a rien d’autre à faire et le pessimisme, cachent, j’ai fini par le penser, leur désir, en un sens, des destructions qu’ils annoncent.
- Je comprends. Je pensais que ce type de procédé rhétorique était réservé au dictateur slave. En historien, j’ai étudié les mécanismes qui conduisent aux conflits, aux guerres. Ce n’est jamais pour des motifs rationnels, c’est par passion. La passion de gouverner est sans doute la source de tous les maux humains. L’installation du fait accompli, de décider l’irréparable et de faire sans s’occuper de persuader sont source de la grande jouissance de commander. L’enivrante sensation de puissance balaye les qualités humaines nécessaires à l’exercice du pouvoir.
- Je voulais argumenter encore, Paul, que les arbres vivent en colonie, que c’est aussi au sol que l’on s’attaque et aux bactéries qui ont produit et produisent encore notre oxygène, que le tout n’est pas supérieur à la somme des parties et surtout qu’il ne faut pas essayer de penser sans vouloir.
- Oui et puisque c’est mon jour des citations ce que tu me dis me rappelle Péguy dans son livre - Notre jeunesse - : «Dire ce que l’on voit, et surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit »
- Nous sommes bien sérieux aujourd’hui Paul, par bonheur nous avons choisi un endroit agréable et le repas est délicieux. Je vais aussi te citer, pour ne pas être en reste, un texte, plus léger d’André Chénier qui a rencontré à Louveciennes, Fanny. Quand tu connais les circonstances de la mort du poète, cela évite de se prendre au sérieux. Tu pourras le lire, bientôt, à tes randonneurs sur le Belvédère du Pavillon de Musique. Je t’y rejoindrais.
« Je pense : elle était là. Tous disaient « Quelle est belle ! »
Tels furent ses regards, sa démarche fut telle,
Et tels ses vêtements, sa voix et ses discours,
Sur ce gazon assisse, et dominant la plaine,
Des méandres de Seine,
Rêveuse, elle suivait les obliques détours. »
François Menge
(Pavillon de musique de Madame Du Barry à Louveciennes - Aquatine réalisée par John Hill (graveur) et John-Claude Nattes (dessinateur), 1806. - Archives départementales des Yvelines)