Les dés sont en train de rouler.
Le Président de la République a annoncé au soir des élections européennes du 7 juin sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale et d’appeler les électeurs aux urnes les 30 juin et 7 juillet prochains.
L'annonce de la dissolution a constitué un véritable choc dans le monde politique mais également pour les Français. Certes on savait qu’en raison de l'absence de majorité absolue à l’Assemblée, aux tumultes provoqués par le groupe de La France insoumise (LFI), le climat était délétère et le gouvernement à la merci d'une motion de censure. Les experts l'attendaient pour la rentrée à l’occasion de l'examen du budget. C’est le résultat jugé catastrophique des élections européennes avec le score historique du Rassemblement Nationale (RN) et la chute sévère de Renaissance qui a incité le Président de la République à précipiter le mouvement pour rester le maître des horloges. Alors qu’on est à peu de jours du début des JO de Paris qui va concentrer sur la France l’attention du monde entier, de nombreux observateurs pensent qu’il y a là une prise de risque très élevée, voire irrationnelle. Une faute politique majeure.
Et sans faire de psychologie de comptoir, on ne peut manquer d’observer qu’Emmanuel Macron ne peut vivre que dans un état de tension constante. Ses prédécesseurs se ménageaient des moments de silence, de réflexion. De Gaulle, Mitterrand n’étaient pas constamment sur le devant de la scène. Certains diront que le monde a changé et qu’une telle attitude à l’heure des réseaux sociaux, de l’information en continue sur les chaînes TV n’est plus possible. Quoique.
L’actuel Président de la République est dans l’action permanente. Toujours en mouvement. Il ne s’économise pas. Dans les quelques jours qui ont précédé la décision de dissolution, n’avait-il pas fait un aller-retour de 50 heures pour essayer de calmer les émeutiers en Nouvelle-Calédonie, effectué une visite d’Etat de 3 jours en Allemagne, présidé les cérémonies du 80e anniversaire du débarquement en Normandie avec 8 discours, accueilli à Paris le Président des Etats-Unis, Jo Biden. Sans parler des décisions urgentes à prendre sur les innombrables dossiers qui remontent immanquablement vers lui.
La question est moins de s’interroger sur la valeur intrinsèque des candidats qui se présentent dans les 577 circonscriptions mais plutôt de savoir au soir du 7 juillet dans quelle situation le Président de la République se trouvera. 4 scenarii peuvent être envisagés.
Dans le premier scénario, il disposera d’une majorité absolue issue de Ensemble pour la République qui regroupe Renaissance, Mouvement démocrate, Horizons, UDI et le Parti radical. Scénario plus qu’improbable au vu des sondages, même une majorité relative semble hors de portée.
Dans le deuxième scénario, le Rassemblement National (RN) emporte la majorité absolue. On serait alors dans le cas d’une cohabitation mais moins apaisée que dans le passé, la proclamation des résultats puis la mise en oeuvre du programme risquent d’engendre des troubles sérieux dans la rue, dans des entreprises publiques.
Le troisième scénario voit le Nouveau Front Populaire triompher et réunir la majorité absolue. La question qui se posera, indépendamment d’un programme économique aventureux, de quel côté penchera le cartel, LFI ou les sociaux démocrates ?
Le quatrième scénario nous conduirait vers une situation totalement inédite et imprévisible, avec une chambre des députés ingouvernable, beaucoup plus en tous cas que celle qui vient d’être dissoute, et avec un gouvernement introuvable. On serait alors dans de beaux draps. D’autres pays, mais de moindre importance que la France, ont connu de telles situations : la Belgique n’a pas eu de gouvernement pendant plus d’un an, d’autres comme l’Italie ont eu des gouvernements formés de techniciens. Dans un pays aussi centralisé que la France ce serait difficilement concevable. Mais cela risque pourtant d’arriver et de se prolonger, puisque comme on le sait, cette chambre des députés nouvellement élue ne peut être dissoute avant un an.
(Dessin de Xavier Gorce *)
Après cette dissolution puérile, on demande maintenant aux Français, dans l’urgence, par leur vote, de recomposer le paysage politique du pays. L’environnement est dangereux, la guerre est à nos portes, la menace du terrorisme islamique toujours présente, la situation financière est catastrophique avec ses dettes insoutenables. Face à cela, les blocs constitués par le RN et le Nouveau Front Populaire, appuyés apparemment par 70 % des électeurs, proposent des programmes irréalistes axés sur la dépense au détriment de la création de richesses à distribuer. Les économistes les plus éminents, Jean Tirole, prix Nobel d’économie 2014, Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, Philippe Aghion, du Collège de France, peuvent bien alerter sur les réels dangers de ces programmes. Rien n’y fait. Il se trouve même des économistes militants aux visions scolaires pour soutenir toutes les inconséquences, eux qui, comme on a pu le dire plaisamment, seraient incapables de gérer une baraque de frites.
Les électeurs vont se déterminer essentiellement en fonction de quelques préférences ou obsessions, pour les uns c’est la crainte de la submersion migratoire, pour les autres le barrage au « nouveau fascisme » afin de ne plus se retrouver « aux heures les plus sombres de notre histoire », quitte à encenser l’apôtre de la révolution bolivarienne.
A l’heure où nous écrivons ces lignes, on aimerait être rassuré par l’émergence d’une équipe de gens compétents, intègres, réalistes. Malheureusement le scrutin majoritaire, consubstantiel à la solidité de la Vème République, va cette fois-ci accentuer les divergences et nous entraîner dans de fortes turbulences.
FK
(*) Xavier Gorce est un caricaturiste notamment connu pour ses dessins dans lesquels il met en scène des manchots aux prises avec « les choses absurdes de notre monde actuel ». Il a travaillé plus de 18 ans pour Le Monde ; il a démissionné à la suite de la publication d’un dessin controversé, la direction du quotidien s’en était publiquement excusé. Sa réponse : « Je ne veux pas d'un titre qui se couche devant des campagnes de bashing sur les réseaux sociaux. Il faut que la presse soit courageuse.»
Sa production est visible chaque jour sur X et dans l’hebdomadaire Le Point. Ses meilleurs dessins sont régulièrement repris dans des livres sous le titre Les Indégivrables.