On doit à la comtesse Jeanne du Barry, maîtresse du roi Louis XV, le pavillon de musique de Louveciennes qui domine la Seine située en contrebas. Il est actuellement la propriété de la Fondation Dumeste qui l’a mis en vente depuis de longs mois, sans trouver pour le moment d’acquéreur. A la mort de la comtesse, le pavillon a connu de nombreux propriétaires, certains respectueux de l’héritage, d’autres se se comportant comme de véritables vandales (1).
Un récent ouvrage très documenté d’Emmanuel de Waresquiel (Jeanne du Barry, Une ambition au féminin), apporte de nombreux éléments pour nous permettre d’approcher l’histoire de ce pavillon de musique du temps de la comtesse (2).
Louveciennes était alors un petit village de quelques 900 âmes dont le territoire était couvert par des vergers et des vignes. Des familles de la Cour de Versailles en avaient fait un lieu de villégiature, en possédant nombre de folies. Dans l'enclos de la fameuse machine de Marly, destinée, comme on le sait, à approvisionner Versailles en eau prélevé dans la Seine, un pavillon avait été construit en 1683 par Robert de Cotte. Le gouverneur de la machine de Marly, Arnold De Ville, sera le premier occupant de ce pavillon. D’autres suivront, tous, prince ou princesse du sang. C’est en juillet 1769 que Louis XV va offrir à sa maîtresse la jouissance viagère du « pavillon de Louveciennes, jardins et dépendances » afin de lui donner « une marque de la bienveillance dont Sa Majesté l’honore » (3).
Le château de Marly est proche, le château de Versailles à quelques lieux.
La comtesse engage dès le mois d’octobre d’importants travaux, essentiellement des aménagements intérieurs, sous la direction d’Ange Antoine Gabriel, architecte, contrôleur du château de Marly. Eau courante et œuvres d’art viennent agrémenter la résidence, tandis que les jardins sont embellis d’une orangerie, d’une laiterie, d’une serre chaude, des écuries, d’une glacière. Elle achète des vaches et des moutons. Elle élève des faisans chinois et se fait livrer des cygnes blancs pour ses bassins. Une préfiguration du futur hameau de Marie-Antoinette (selon Emmanuel de Waresquiel).
Le pavillon vieux (qui est maintenant connu sour le nom de « Château de Madame du Barry ») malgré sa transformation, n'est pas assez grand pour recevoir le roi. Jeanne lui a aménagé un appartement au premier étage, avec antichambre, cabinet de toilette et garde-robe. Il n'y couchera que rarement étant donné l’exiguïté des lieux. Par ailleurs dans ce pavillon il n’était pas possible d’y organiser des fêtes, il ne correspondait non plus au goût de l’époque.
La construction du pavillon de musique
Jeanne du Barry va alors charger Claude Nicolas Ledoux de lui construire au bout de ses jardins, sur le bord de la falaise, qui domine la Seine, un pavillon entièrement dédié aux arts, aux fêtes et à la musique.
Claude Nicolas Ledoux a alors 33 ans ; comme architecte il bénéficie déjà d’une bonne réputation : à son actif, il y a l’hôtel d’Hallwyll dans le quartier du Marais, l'hôtel d'Uzès, rue Montmartre, l'hôtel de la célèbre danseuse de l’Opéra, Madeleine Guimard, à la chaussée d’Antin.
C’est en remerciement de ses travaux que Jeanne du Barry le fera nommer par le roi commissaire aux salines de Lorraine et de Franche-Comté. Son œuvre majeure sera par la suite la saline d’Arc-et-Senan.
Les travaux commencés en janvier 1771 sont achevés en un temps record pour son inauguration officielle en présence du roi le 2 septembre suivant.
Pavillon de Louveciennes ; Machine de Marly, Aquatine réalisée par par John Hill (graveur) et John-Claude Nattes (dessinateur), 1806. Ce que le graveur appelle ici « Pavillon de Louveciennes » est en réalité le Pavillon de musique de Mme Du Barry. (Archives départementales des Yvelines)
Le pavillon de musique tel qu’il existe aujourd’hui a subi des transformations : surélevé d’un étage en attique, démoli et reconstruit en 1923 en arrière de la falaise par l’architecte Charles Maewès à la demande du parfumeur François Coty.
(Le pavillon de musique actuel - Crédit photo : Sothebys)
Le bâtiment est de style néoclassique, un « petit temple grec » ; il se compose d'un rez-de-chaussée à l'antique surmonté d'une balustrade. Son entrée est constituée par un péristyle fermé par quatre colonnes. On entre par le salon de musique, qui fait également office de salle à manger. Les deux côtés en hémicycle abritent deux séries de loges en demi-étage. Le plafond est peint par François Boucher, Le Couronnement De Flore. Le salon Ledoux est tapissé de papiers peints réalisés au pochoir. Le salon du roi, de forme carrée, est décoré de pilastres sculptés par Honoré Guibert. L'ovale du salon Fragonard accueille quatre panneaux Les Quatre Instants de l’Amour (actuellement ce sont des copies, les originaux sont à la Frick Collection de New York). On ne trouve aucune chambre. L’endroit est fait pour les plaisirs et les fêtes.
Le Suédois Mikael Hisinger visitant le pavillon en septembre 1784 note que « tous les maîtres de l’art rivalisant chacun dans sa branche pour le rendre aussi splendide que possible, aussi tout est-il d’un Raffinement exquis ».
Le parc couvre 400 hectares et descend jusqu’à la Seine.
Le 2 septembre 1771, Jeanne du Barry a donné une grande fête en l’honneur du roi. Une aquarelle de Jean-Michel Moreau dit Moreau le Jeune permet d’en apprécier l’atmosphère.
(Jean-Michel Moreau, Fête donnée à Louveciennes le 2 septembre 1771. Paris, Musée du Louvre)
A la table du grand souper, qu'elle fait servir dans la salle de musique, Madame du Barry, en robe blanche, est entourée de ses invités. Les courtisans se pressent autour de la table et dans les tribunes de l'entre sol. Au premier plan, des valets à livrée de la maîtresse des lieux.
Avant et pendant le souper, on a donné l'une des pièces à la mode de Charles Collé intitulée La partie de chasse dans Henri IV ; on jouira ensuite depuis la terrasse du spectacle d’un feux d’artifice.
La comtesse a dépensé des sommes folles pour cette fête. Pour s’en tenir à la seule vaisselle d’argent, l’orfèvre Jacques Roettiers lui livre : 120 assiettes, 74 plats de service, plateau, pot à oilles, terrines, etc à ses armes, soit près de 350 kg. Une dizaine de jours avant l’inauguration la manufacture de Sèvres lui fournit le second des services de porcelaines, une série de 145 assiettes et de très nombreuses pièces de forme à son chiffre entrelacé (DB) ornées de guirlandes de fleurs et de cassolettes antiques bleu céleste (4).
A cet égard, une assiette représentative de ce service vient justement d’entrer dans les collections du Château de Versailles (5).
(Service à petits vases et guirlandes, au chiffre de Madame Du Barry : assiette plate, par Jean-Baptiste l’Aîné Tandart (peintre) et Augustin de Saint-Aubin (dessinateur), 1771, Manufacture de Sèvre, porcelaine tendre. © Château de Versailles, Dist. RMN / © Christophe Fouin. Cette assiette fait partie d’un service de plus de 240 pièces, décoré au chiffre de la comtesse (« DB »), commandé à la manufacture royale de Sèvres et livré fin août 1771 pour l’inauguration du Pavillon de musique.
Toutes les dépenses de la fête ont un prix qui dépasse largement le raisonnable. Le service en argent de Roettiers coûte près de 80.000 livres, celui en porcelaine 20.600 livres. Les dépenses de construction et les décors du pavillon lui-même s'élèveront à plus de 400.000 livres dont 55.000 pour l’architecte - soit le prix d'une très grosse terre aux alentours de Paris. L’extravagance de la dépense se mesure à certains détails : Pierre Gouthière qui livre l’ensemble des bronzes du pavillon demande 3.400 livres pour une seule espagnolette (ouverture de fenêtre) quand un manoeuvre ou journalier parisien gagne entre 100 et 200 livres par an (6).
Madame Du Barry comme « influenceuse »
On connaît le rôle éminent joué par la Marquise de Pompadour et plus tard celui de la reine Marie-Antoinette dans la diffusion de la mode ; en revanche, celui de Madame du Barry était jusqu’à présent largement minoré voire ignoré. Elle a pourtant joué un rôle considérable de mécène à une époque où les arts décoratifs étaient en pleine mutation.
Dans les remarquables « Carnets de Versailles » sont reproduits notamment deux exemples de biens destinés à Louveciennes. Le premier est le dessin d’un fauteuil (nous ne savons cependant pas s’il a été finalement réalisé), le second, une statue qui a vraiment livré à Louveciennes (5).
« Fauteuil pour Lusienne », projet pour le mobilier de Madame du Barry à Louveciennes, attribué à Jean-Charles Delafosse, 1769-1774. © RMN-GP (Château de Versailles) / © Gérard Blot. « Lucienne(s) » (ou ici « Lusienne ») est le nom usité jusqu'au XVIIIe siècle pour désigner Louveciennes.
Vénus instruisant l'amour à tirer à l'arc, par Louis-Claude Vassé, 1755-1760, © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / © Adrien Didierjean. Commandée en 1749 par la Direction des Bâtiments du roi, cette œuvre est offerte par Louis XV à Mme Du Barry pour son château de Louveciennes. Elle fera l'objet d'une saisie révolutionnaire en 1793 et sera alors transférée à Versailles (elle est aujourd’hui déposée au musée du Louvre).
A suivre : Le pavillon de musique du temps de Jeanne du Barry après sa disgrâce (2)
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(1) La notice Wikipedia >>> https://fr.wikipedia.org/wiki/Pavillon_de_musique_(Louveciennes) , très bien faite, énumère la succession des propriétaires du Pavillon de musique après la mort de Jeanne du Barry. On voudra bien s’y reporter >>>>>> Parmi ces propriétaires, et sans être exhaustif, on citera le banquier Jacques Laffite qui l’a acheté en 1808. A son décès, sa veuve fait morceler en 1850 le domaine en trois parties : le château (c’est-à-dire le pavillon vieux), le pavillon de musique et le domaine des Lions à Bougival. En 1911, Louis Loucheur, industriel, homme politique, plusieurs fois ministre, a acquis la propriété et y a fait construire un étage sous combles mansardés venant alors défigurer l’oeuvre. En 1929, le parfumeur François Coty achète le pavillon. Il y fait mener de grands travaux, le pavillon ayant alors subi de graves désordres dus à une construction trop rapide, ainsi qu'au poids excessif exercé par l'ajout malencontreux et scandaleux de Louis Loucheur. François Coty fait appel à l'architecte Charles Mewès, en vue de déplacer le bâtiment, qui est alors vidé de tous ses décors intérieurs et quelques décors extérieurs. Le reste du bâtiment, trop dégradé, est entièrement détruit et est reconstruit à l'identique, une quinzaine de mètres en arrière, avec une façade en pierre de Saint-Leu enchâssée autour d'une armature en acier et béton. Les décors sont alors tous replacés et l'étage mansardé est remplacé au profit d'un attique au toit-terrasse, plus harmonieusement accordé à l'œuvre initiale de Claude-Nicolas Ledoux. En 1990, le pavillon est acheté par Julienne Dumeste, industrielle qui le transmet en 1993 à « La Fondation Julienne Dumeste pour l’innovation sociale et humanitaire. » Un vaste chantier de rénovation est entrepris en 2002 qui va durer trois ans. Il porte d'abord sur l’extérieur, puis sur la réhabilitation intérieure et les mises aux normes nécessaires à l'ouverture d’un établissement pouvant recevoir du public.
(2) Emmanuel de Waresquiel, Jeanne du Barry, Une ambition au féminin, Editions Tallandier, 2023, 585 p. Nous avons retenu de l’ouvrage que ce qui avait trait aux séjours de Madame du Barry. L’amateur de la grande et petite histoire trouvera beaucoup de plaisir à ce livre, écrit d’une plume alerte, qui lui permettra de revisiter les dernières années du règne de Louis XV.
(3) L’acte de donation du pavillon cité par Emmanuel de Waresquiel est rédigé en ces termes
« Aujourd'hui, 24 juillet 1769, le roi, étant à Compiègne, voulant donner à la comtesse du Barry, une marque de bienveillance dont S.M. l’honore, lui a accordé et fait don du pavillon de Louveciennes, jardins et dépendances (…) pour,(…) jouir sa vie durant tels qu’ils se composent conformément au plan déposé à la direction générale des bâtiments de S.M. (…) Et pour assurance de sa volonté, S.M. a signé de sa main le présent brevet et fait contresigner par moi, secrétaire d'État, de ses commandements et finance. » Suivent les signatures du roi et de son ministre de la Maison, Louis Phélypeaux, comte de Saint-Florentin.
(4) Emmanuel de Waresquiel, Jeanne du Barry, Une ambition au féminin, page 248, page 249
(5) « Visiteurs : le nid d’amour de Mme du Barry », Les Carnets de Versailles, 17 février 2021, Flavie Leroux,
attachée de recherche au Centre de recherche du château de Versailles
(6) Emmanuel de Waresquiel, Jeanne du Barry, Une ambition au féminin, page 249