Nous poursuivons l’histoire de Jeanne du Barry à Louveciennes, après la mort du roi Louis XV. Nous nous appuierons comme précédemment, à titre principal, sur le très riche ouvrage d’Emmanuel de Waresquiel (Jeanne du Barry, Une ambition au féminin) (1).
La mort du roi Louis XV, le 10 mai 1774, va entraîner la disgrâce de sa maîtresse. Elle est exilée dans un premier temps au couvent de Pont-aux-Dames. Comme l'écrit Marie-Antoinette à sa mère « Le public s'attendait à beaucoup de changements dans le moment ; le roi s'est borné à envoyer la créature au couvent et a chassé de la Cour, tout ce qui porte ce nom de scandale. »
Cette abbaye royale sert à l’occasion de lieu de détention à l’usage de certaines femmes de la Cour momentanément mises au secret (2). Plus que des raisons morales, il semble que le nouveau roi, Louis XVI, ait voulu empêcher la divulgation de secrets dont elle a pu avoir connaissance.
Dans un premier temps, elle est accueillie sans tendresse par les soeurs mais au fil des mois sa situation s’améliore grandement. Elle aimerait quitter le couvent pour Louveciennes que le roi Louis XVI lui a permis de conserver. C’est finalement au bout d’un an que le roi la libère mais elle n’a pas l’autorisation de se rendre à Paris, ni à Louveciennes trop proches de Versailles et de la Cour.
Elle achète alors un château à Saint-Vrain, au sud de Paris, près d'Arpajon ; elle ne s'y plaît guère mais peut y recevoir des amis fidèles.
Et ce n’est qu’en novembre 1776 que Jeanne va retrouver ses deux pavillons et le parc de Louveciennes. Elle a alors 31 ans. Sans trop se soucier de ses dettes, Jeanne remonte sa maison. Ses collections sont enrichies de celles qu'elle a pu faire venir de son appartement et de son hôtel de Versailles.
À la fin des années 1770, elle se lance dans la création d'un jardin anglais, en contrebas du pavillon des eaux, aménage de nouveaux bosquets, un rocher, des ponts, une rivière, des cascades, fait planter diverses espèces d’arbres, souvent rares comme les sophoras, les ginkgo-biloba, mais aussi des oliviers, des grenadiers, des cèdres, des pins, des cyprès. Comme l’écrit Emmanuel de Waresquiel, « elle est l'une des principales protagonistes de ses modes nouvelles où on se prête aux caprices de la nature, faussement sauvage où la surprise, l'illusion sont comme mis en scène, à travers autant d'itinéraires initiatiques et symboliques. » (3)
Jeanne du Barry face à ses créanciers
Dès la mort du roi, ses créanciers se rappellent à son bon souvenir. Les travaux de Louveciennes et de Versailles ainsi que nombre de ses achats de meubles, de bijoux sont loin d’avoir été payés. Elle doit faire face à ses créanciers, qui lui réclament presque 1,5 million de livres de dettes. Elle commence par vendre des tableaux, des terres, de la joaillerie, son hôtel de Versailles, ses carrosses,… C’est d’ailleurs probablement pour l’aider que Louis XVI lui rend la jouissance de Louveciennes et lui rembourse ses 1,2 million de livres de rentes sur Paris. Jeanne du Barry parvient ainsi à maintenir un niveau de vie confortable. Elle a en effet gardé une bonne partie de son ancienne maison : valet de pieds, maître d'hôtel, cuisinier, jardinier, Suisse, concierge, cocher et palefrenier, soit une trentaine de domestiques.
Elle négocie avec acharnement avec Charles-Alexandre de Calonne, le nouveau contrôleur général des Finances, pour obtenir des revenus conséquents. Elle lui écrit : « songez que mes charges sont bien fortes et mes moyens bien médiocres. Peut-être qu'en tentant un nouvel effort vous compléterez votre ouvrage. » Elle réclame notamment une partie des 2 millions de livres que Louis XV lui avait réservé quelques jours avant sa mort et qu'elle n'a jamais touchés. Elle écrit lettre sur lettre à Calonne, le cajole, lui envoie à Versailles, des fruits de ses serres. En juin 1786, elle lui écrit : « faut-il rappeler encore que tous mes revenus sont épuisés et que je suis obligée pour vivre de faire de nouveaux emplois sur les revenus des années suivantes ». Il faudra encore plusieurs mois avant que Calonne demande à son premier commis de lui délivrer des fonds sans qu'on connaisse pour autant le montant (4). Compte tenu de son train de vie dispendieux, cela sera toujours insuffisant.
(Pavillon ancien ou Pavillon des eaux appelé maintenant « Le château de Madame du Barry »)
Une petite cour à Louveciennes
La comtesse du Barry entretient à Lucienne (devenue Louveciennes), une petite cour d'admirateurs et de fidèles qui ne fera que grandir avec le temps.
Elle reçoit nombre de visiteurs, ses amis, mais également des étrangers de passage. On s'extasie du site du pavillon de musique et de la vue imprenable sur les coteaux de la Seine, « la plus étendue et la plus belle que j'ai jamais vu aux environs de Paris » s’enthousiasme le diplomate américain et futur président John Adams. Même Joseph II, empereur d’Autriche-Hongrie, frère de Marie Antoinette, lui rend visite lors de son séjour à Versailles et « se trouve très bien de sa conversation » (5).
La grande artiste de son temps, Elisabeth Vigée Lebrun, a réalisé trois portraits de Mme du Barry. Nous leur avons consacré un article dans La Tribune de Louveciennes (6).
Les deux premiers portraits ont été faits à la demande du duc de Brissac, l’ami de la comtesse, vraisemblablement à Paris, le dernier a été partiellement exécuté à Louveciennes, dans des conditions troublées et ne sera terminé que bien après la mort, tragique, du modèle.
A propos du troisième portrait, Elisabeth Vigée Lebrun écrit : « je l’ai commencé vers le milieu de septembre 1789. De Louveciennes, nous entendions des canonnades à l’infini, et je me rappelle que la pauvre femme me disait : «Si Louis XV vivait, sûrement tout cela n’aurait pas été ainsi.» (…) « – Souvenirs - (Lettre X) (7).
Elisabeth Vigée-Lebrun, évoque aussi dans ses mémoires son premier séjour à Louveciennes : « Elle (Madame du Barry) m’établit dans un corps de logis, situé derrière la machine de Marly, dont le bruit lamentable m’ennuyait fort. Dessous mon appartement, se trouvait une galerie fort peu soignée, dans laquelle étaient placés, sans ordre, des bustes, des vases, des colonnes, des marbres les plus rares et une quantité d’autres objets précieux ; en sorte qu’on aurait pu se croire chez la maîtresse de plusieurs souverains, qui tous l’avaient enrichie de leurs dons. Ces restes de magnificence contrastaient avec la simplicité qu’avait adoptée la maîtresse de la maison, et dans sa toilette, et dans sa façon de vivre. (…) »
« Les soirs, nous étions le plus souvent seules, au coin du feu, madame Dubarry et moi. Elle me parlait quelquefois de Louis XV et de sa cour, toujours avec le plus grand respect pour l’un et les plus grands ménagements pour l’autre. Mais elle évitait tous détails ; il était même évident qu’elle préférait s’abstenir de ce sujet d’entretien, en sorte qu’habituellement sa conversation était assez nulle. (…) Tous les jours, après dîner, nous allions prendre le café dans ce pavillon, si renommé pour le goût et la richesse de ses ornements. La première fois que madame Dubarry me le fit voir, elle me dit : « C’est dans cette salle que Louis XV me faisait l’honneur de venir dîner. Il y avait au-dessus une tribune pour les musiciens qui chantaient pendant le repas.» Le salon était ravissant : outre qu’on y jouit de la plus belle vue du monde, les cheminées, les portes, tout était du travail le plus précieux ; les serrures même pouvaient être admirées comme des chefs-d’œuvre d’orfèvrerie, et les meubles étaient d’une richesse, d’une élégance au-dessus de toute description. » Souvenirs – (Lettre X) (7)
(Etat actuel du majestueux salon central) © Denniel immobilier)
Des amitiés, des liaisons
Jeanne du Barry reste très séduisante et continue à enflammer les coeurs. Dans son livre, Emmanuel de Waresquiel cite la lettre du jeune Louis d’Armaillé dans laquelle il s’adresse à Madame du Barry en ces termes : « si vous avez besoin d'un chevalier, Madame la comtesse, je serai bien le vôtre. Je connaissais jusqu'à hier une partie de vos qualités aimables. Vous m'avez mis à même de juger du plaisir que vous avez à obliger. C'est beaucoup (…) d’être belle, aimable, essentielle, oui, essentielle ! Je n'ai pas besoin de vous dire que je ne quitte jamais Lucienne sans regrets ; on ne commande pas à son cœur (…) N’aurais-je que quatre heures de libre dans la journée j'en passerai une avec vous, on voudrait y passer sa vie. (…) Vous connaître et vous demeurer attacher sont synonymes. »
Parmi ses amants, un anglais, Henry Seymour, appartenant à l’illustre famille des Somerset. Celui-ci, après un second mariage, s’est établi en France ; il a acheté le domaine de Prunay, en bord de Seine (qui fait maintenant partie de Louveciennes), très proche de la résidence de la comtesse.
Dans cette galerie, il faut absolument évoquer son grand ami, Louis Timoléon de Brissac. Comme l’écrit Elisabeth Vigée Le Brun « Le duc de Brissac vivait comme établi à Louveciennes ; mais rien, dans ses manières et dans celles de madame Dubarry, ne pouvait laisser soupçonner qu’il fût plus que l’ami de la maîtresse du château. Toutefois il était aisé de voir qu’un tendre attachement unissait ces deux personnes (…) ». Souvenirs – (Lettre X) (7)
Les temps agités de la Révolution
Survient la Révolution et des temps plus agités qui se termineront d’une manière dramatique pour notre héroïne.
Dans la nuit du 10 au 11 janvier 1791, à 11h30 du soir, quatre hommes escaladent le mur du pavillon vieux, un homme faisant le guet. Bien renseignés, ils pénètrent à l’aide d’une échelle dans la chambre et le cabinet attenant, fracturent une commode et un secrétaire et s’emparent d’un nombre considérable de bijoux, de diamants, de rubis, de boîtes en or et en cristal,… Jeanne comptait vendre ces bijoux en Hollande pour solder ses dettes. Elle fait établir une liste des objets volés, d’une valeur d’environ 450.000 livres, et la fait imprimer à plusieurs centaines d’exemplaires. Elle promet « une récompense honnête et proportionnée aux objets qui seront rapportés ». Cet étalage de richesse est bien maladroit dans une période révolutionnaire.
(Deux milles louis à gagner. Diamans et bijoux perdus)
Le butin est partiellement retrouvé un mois plus tard en Angleterre, les voleurs arrêtés et mis en prison. Jeanne va faire le voyage à Londres à quatre reprises, en février, avril, mai 1791 et un dernier d’octobre 1792 à mars 1793. Pendant la Terreur, ses voyages fréquents en Angleterre éveillent les soupçons du Comité de Salut Public. Accusée de soutenir secrètement la contre-révolution, elle est incarcérée le 22 septembre 1793 à la prison de Sainte-Pélagie à Paris. Après un procès expéditif, elle est envoyée à l’échafaud le 8 décembre 1793.
Le sort désastreux des biens confisqués
Ses biens sont confisqués et deviennent biens nationaux. Divisés en plusieurs lots, ils sont mis aux enchères en 1795. Les deux pavillons et le parc sont vendus pour 6 millions de francs à un négociant bordelais qui les cèdera à Julien Ouvrad, célèbre financier de l’Empire, celui-ci les remettra en vente en 1804.
Lors de son retour en France en 1802, après son exil, Madame Vigée Lebrun découvre le domaine de Madame du Barry dans un triste état après la tourmente révolutionnaire.
« En allant à Louveciennes, je m’étais empressée d’aller visiter le pavillon que j’avais vu au mois de septembre 1789 dans toute sa beauté. Il était entièrement démeublé, et tout ce qui l’ornait du temps de madame Du Barry avait disparu. Non-seulement les statues, les bustes étaient enlevés, mais aussi les bronzes des cheminées, les serrures travaillées comme de l’orfèvrerie; enfin, la révolution avait passé là comme partout. » (Souvenirs) (7)
Le pavillon de musique renaîtra, quoique modifié dans certains de ses aspects (nous en avons parlé dans notre premier article) ; témoin d’une époque passionnante de l’ Histoire de France, il est, comme d’ailleurs le pavillon vieux, un lieu exceptionnel.
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(1) Emmanuel de Waresquiel, Jeanne du Barry, Une ambition au féminin, Editions Tallandier, 2023, 585 pp.
(2) Emmanuel de Waresquiel, Jeanne du Barry, p 310
(3) Emmanuel de Waresquiel, Jeanne du Barry, p 330 et 329.
(4) Emmanuel de Waresquiel, Jeanne du Barry, p 346
(5) Emmanuel de Waresquiel, Jeanne du Barry, p 331
(6) Article du 12 août 2012 « Trois portrait de Madame du Barry » > https://louveciennestribune.typepad.com/media/2012/08/trois-portraits-de-madame-du-barry.html
(7) Élisabeth Louise Vigée Le Brun, Souvenirs 1755-1842 (Bibliothèque des correspondances, mémoires et journaux), texte établi, présenté et annoté par Geneviève Haroche-Bouzinac, Paris, Honoré Champion Éditeur, Paris, 2008, 852 pp.
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