L’arbre, être vivant fragile, souvent maltraité en ville, mais pourtant indispensable
par Michel Zourbas
Michel Zourbas, est Louveciennois de longue date, ancien conseiller municipal, correspondant de l’association A.R.B.R.E.S. pour les Yvelines. Il a réalisé le premier inventaire du patrimoine arboré de Louveciennes, qui a permis d’inscrire 24 arbres remarquables et une cinquantaine d’arbres à protéger dans le PLU de 2013 (maintenus dans le PLU de 2017). Depuis dix ans, il fait visiter « Le Circuit des arbres remarquables de Louveciennes labellisé « Ensemble Arboré Remarquable » en 2013 par l’association A.R.B.R.E.S. Il s’agit d’une occasion de faire découvrir les plus beaux arbres des parcs et résidences de Louveciennes.
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Dans nos sociétés toujours plus urbaines, nous sommes confrontés à l’arbre d’abord en tant qu’objet. Les arbres sont souvent utilisés comme mobilier urbain ou perçus comme des gêneurs. Déconnectés de la nature, nous avons tendance à oublier qu’il s’agit avant tout d’un être vivant : un être complexe, dont il faut prendre soin.
1- Dans cet article, nous mettons en avant deux réalités souvent méconnues :
- Les arbres sont des êtres vivants qui doivent être respectés en tant que tel, et dont il faut prendre soin.
- Souvent maltraités en ville, les arbres y sont pourtant indispensables.
2- Dans un prochain article, nous verrons que, parce qu’indispensables en ville, ils doivent être protégés pour pouvoir être conservés.
L’arbre, un être vivant
Pour beaucoup, les arbres ne sont pas vivants. Ils ne bougent pas, ils ne font pas de bruits. Les arbres sont bien des êtres vivants. Ils ont besoin comme nous d’air, d’eau, de lumière, d’espace, de temps, … Comme tout être vivant, l’arbre a besoin de respirer, de boire, de manger et de ne pas être blessé. Sa dégradation affaiblit, parfois irrémédiablement, sa santé, sa solidité et sa beauté.
Les plus grands êtres vivants sont des arbres. Ce sont aussi les êtres vivants dont la vie est la plus longue (1). Ils sont même potentiellement immortels car il n’y a pas, contrairement aux humains et aux animaux, de gènes de la sénescence dans l’arbre. La notion de durée de vie d’un arbre vient uniquement de sa sensibilité aux pathogènes et aux causes externes. Quand un arbre meurt, c’est toujours à la suite d’une attaque extérieure : un coup de vent, la foudre, un bûcheron qui le coupe, un pathogène qui le fait crever.
L’arbre est un être vivant totalement autonome. Il fabrique lui-même sa nourriture (on dit qu’il est autotrophe). Par la photosynthèse (2), il transforme l’énergie solaire en matières organiques (sucres, carbone, …). Son association avec les champignons (mycorhize) (3) lui permet de capter, par ses racines, des éléments minéraux absorbés dans le sol par les champignons. Ses racines lui permettent aussi de « boire » l’eau du sous-sol.
L’arbre est en outre capable de se défendre contre les agressions des pathogènes (insectes, champignons). Dans l’incapacité de fuir face à l’adversité, l’arbre met en place des stratégies pour se défendre face à ses agresseurs : fabriquer des tanins pour rendre ses feuilles toxiques, émettre des COV (composés organiques volatils) pour attirer les prédateurs de ses agresseurs (4). Pour exemple, le hêtre est capable, quand une chenille mange ses feuilles, d’émettre une molécule d’alerte qui attire une guêpe, prédateur de cette chenille.
Comme aime le répéter Francis Hallé (5) : « Les arbres n’attendent rien de nous, juste qu’on leur fiche la paix ».
(Louveciennes - Allée des Soudanes - Photo ER)
Les arbres sont des organismes vivants fragiles
Comme pour tout organisme vivant, l’amputation et l’altération des organes vitaux des arbres (grosses branches, troncs, racines, écorces protectrices), affaiblissent gravement et irrémédiablement :
- leur santé : amputés d'une partie de leurs branches et de leur feuillage, les arbres font moins de photosynthèse et perdent des réserves énergétiques stockées dans leurs bois. Amputés d'une partie de leurs racines, ils absorbent moins d'eau et d'éléments minéraux ;
- leur solidité : les plaies de grosses sections ne peuvent pas être recouvertes par l'écorce protectrice ; le bois de cœur est donc dégradé par les champignons lignivores et les insectes xylophages. Les branches charpentières et les troncs creux peuvent se briser. Les rejets qui se développent sont mal ancrés et risquent de s'arracher. Le système racinaire amputé, l'arbre est moins bien ancré et il peut basculer. Sa santé et sa solidité étant altérées, sa durée de vie est réduite.
Rédigée par l’association A.R.B.R.E.S., la Déclaration des Droits de l’Arbre (6), proclamée à l’Assemblée nationale le 5 avril 2019 lors d’un colloque sur la protection des arbres, a pour vocation de changer notre regard sur les arbres, notre comportement envers eux, et nous faire prendre conscience du rôle déterminant des arbres au quotidien et pour le futur. Ce court texte (5 articles) est une déclaration d’intention, celle de protéger le plus possible les arbres et de les respecter en tant qu’êtres vivants. Il précise notamment que « l’arbre est un être vivant fixe qui occupe deux milieux distincts : l’atmosphère et le sous-sol » (article 1) ; qu’« il doit être respecté en tant que tel, ne pouvant être réduit à un simple objet » et qu’« il a droit au respect de son intégrité physique, aérienne (branches, tronc, feuillage) et souterraine (réseau racinaire), (article 2) ; que « d’une longévité supérieure à celle de l’être humain, il doit être respecté tout au long de sa vie » (article 3).
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Souvent maltraité en ville, l’arbre y est pourtant indispensable
En ville, l’arbre est souvent maltraité …
La vie d’un arbre est loin d’être facile entre béton et bitume. Notre ignorance à leur égard nous amène à les calomnier et les maltraiter.
On leur reproche d’obstruer les caniveaux avec leurs feuilles mortes, de faire de l’ombre aux étages inférieurs des immeubles, de nuire aux lignes électriques, d’emplir l’air de pollen allergène, d’héberger une faune nuisible, de soulever les trottoirs, de percer les murs avec leurs racines, d’endommager les toitures avec leurs branches mortes, et, pire que tout, de tomber sur les piétons et les voitures à la moindre rafale.
Dans le même temps, on les plante trop près des façades, on les soumet à des tailles extraordinairement brutales, on les contraint à se suffire de pauvres sols de gravats encombrés de canalisations, d’anciennes fondations et de câbles souterrains, on les prive d’eau en les entourant d’une couche d’asphalte imperméable, on les asperge de sel en hiver et on les environne en permanence, eux qui ne peuvent pas s’enfuir, de gaz d’échappement toxiques.
Les arbres des villes souffrent de quantités de blessures : plaies à la base du tronc (choc engins de chantier reculant dans un arbre, pare-buffles des véhicules lourds, …) qui favorisent la pénétration de bactéries qui affaiblissent ses mécanismes de défense et finissent par les tuer ; blessures racinaires qui ne leur laissent pratiquement aucune chance d’échapper à l’infection.
Sans oublier d’ajouter que des arbres sont régulièrement abattus pour réaliser des projets d’urbanisme (construction de logements, élargissement de rues, création de pistes cyclables ou de parkings, …), ou simplement parce que prétendument « malades ». (7) (8)
On peut donc avoir le sentiment que les arbres dérangent ceux qui se sont mis en tête de transformer la ville et qu’ils ne sont pas soignés comme ils le devraient. Beaucoup ignorent ce dont ils ont besoin et profitent de leur silence qui les empêche de protester…
… mais sa présence y est indispensable, et le sera de plus en plus (réchauffement climatique).
(Louveciennes - Place de l'église - Photo ER)
En ville, les bienfaits prodigués par les arbres sont nombreux :
• climatiseur naturel : ombrage, capacité d’évapotranspiration, baisse de la température. Grâce à leur ombre, ils rafraichissent l’ambiance estivale de nos cités. Par évaporation et transpiration, un arbre augmente l’humidité de l’air et en diminue la température. C’est un excellent climatiseur en période de canicule.
• régulateur des eaux pluviales et réducteur des risques d’inondation. Les arbres contribuent à limiter l’érosion et réduisent les risques d’inondation. Les racines de l’arbre favorisent le drainage des sols, retiennent les terres et consomment l’eau en excès dans la terre.
• réducteur des flux d’air, avec captation des particules fines et atténuation des bruits ambiants de la ville.
• améliorateur de la qualité de l’air en produisant de l’oxygène et de la vapeur d’eau, en absorbant du CO2, en stockant du carbone.
• support de la biodiversité urbaine en créant des continuités écologiques, en fournissant de la nourriture et en proposant une multitude de micro habitats pour la petite faune (oiseaux, insectes, chauve-souris, écureuils…), la flore, les lichens, mousses et champignons. Ils hébergent aussi quantités d’insectes nécessaires à la pollinisation. Les arbres contribuent ainsi à l’enrichissement et au maintien de la biodiversité en ville.
Les arbres structurent l’espace, apportent de la beauté et offrent des repères pérennes dans la ville du fait de leur grande dimension et de leur longévité.
Enfin, l’amélioration de la qualité du cadre de vie des villes par la présence des arbres contribue à l’augmentation de la valeur foncière des habitations et à l’attractivité économique des territoires.
« Seuls dispensateurs de l’ombre et de la fraîcheur, du calme et de la raison, les arbres sont absolument nécessaires dans la nouvelle conception que les hommes se font des villes. » écrivait Jean Giono en 1970. (9)
(à suivre)
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Les références :
(1) Dans son livre « L’arbre monde » (Le cherche midi), Richard Powers s’interroge : « Si nous voulons tant faire de mal aux arbres, c’est peut-être parce qu’ils vivent bien plus longtemps que nous ».
(2) Photosynthèse : Processus par lequel les végétaux chlorophylliens, sous l’action de la lumière solaire, synthétisent de la matière organique à partir de substances minérales (dioxyde de carbone de l’atmosphère, minéraux du sol et de l’eau) et rejettent de l’oxygène. Si les plantes et les arbres n’avaient pas inventé la photosynthèse, l’homme n’existerait pas.
(3) Mycorhize : association entre les racines de l’arbre et les champignons, symbiose essentielle à la base de la vie des arbres et des plantes en général. Son but premier est nutritif : l’arbre fournit des sucres issus de la photosynthèse au champignon, qui en retour l’alimente en nutriments (azote, phosphate, eau, …) puisés grâce à ses filaments qui explorent le sol.
(4) Sur ce sujet on peut lire le livre de Francis Martin : « Les arbres aussi font la guerre » (humenSciences, Humensis). Une guerre défensive, car pour survivre les arbres déploient des systèmes de défense sophistiqués.
(5) Francis Hallé est un botaniste, biologiste et dendrologue français, reconnu internationalement. Parmi ses nombreux livres : « Eloge de la plante » (Editions du Seuil) et « Plaidoyer pour l’arbre » (ACTES SUD). Pour faire connaissance avec F. Hallé, on peut lire « Francis Hallé, Les vies heureuses du botaniste » de Laure Dominique Agniel (ACTES SUD).
(6) Le conseil municipal de Louveciennes a adopté la « Déclaration des droits de l’arbre » lors de sa séance du 13 avril 2023. Le texte de cette déclaration est disponible sur le site de l’association A.R.B.R.E.S. : https://www.arbres.org/declaration-des-droits-de-l-arbre.htm
(7) « Les arbres malades, il faut les soigner, pas les tuer ! » Francis Hallé. (Les vies heureuses du botaniste – cf. ci-dessus). On n’abat pas un arbre parce qu’il est malade, mais seulement s’il est dangereux.
(8) « La survie des arbres est menacée par l’incompétence de tous ceux qui émettent un avis sur leur santé » Alain Baraton / Dictionnaire amoureux des arbres (entrée : « Allouville-Bellefosse »)
(9) « L’écorce et l’arbre » (1970), dans « La chasse au bonheur » (NRF, Gallimard)